JO de Paris 2024 : pourquoi les sauts et les lancers sont-ils les parents pauvres de l'athlétisme français ?
Elles sont les parents pauvres de l'athlétisme français. Les disciplines de lancers – javelot, poids, disque, marteau – et de sauts – longueur, hauteur et triple saut – sont les spécialités les moins pourvoyeuses de médailles chez les Tricolores. Il suffit d'observer les palmarès, lors des championnats du monde et des Jeux olympiques, pour s'en rendre compte. Le bonnet d'âne revient au lancer de javelot, où la France n'a remporté aucune médaille dans l'histoire de ces deux événements, et au lancer de poids, avec une seule breloque – en or – remportée par Micheline Ostermeyer aux Jeux de 1948. Si le disque est la spécialité la plus médaillée parmi les lancers avec quatre médailles olympiques et deux mondiales, la moitié de ce palmarès a été glané par une seule athlète, Mélina Robert-Michon, porte-drapeau de la sélection tricolore qui va participer à Paris à ses septièmes Jeux.
Constat identique dans les disciplines de sauts, avec seulement deux médailles glanées à la longueur lors des Mondiaux et une seule aux JO de 1900. En hauteur, le bilan est pour l'heure arrêté à quatre médailles olympiques (la dernière remonte à 1948), et aucune aux Mondiaux. Au triple saut enfin, la médaille d'or mondiale glanée en 2013 par Teddy Tamgho a été la seule breloque française remportée en championnat du monde. Il faut remonter à 1896 pour retrouver la trace d'une récompense olympique sur cette épreuve, l'argent remporté par Alexandre Tufferi.
Des choix culturels et des préjugés tenaces
Un bilan comptable qui tranche avec les neuf médailles mondiales remportées à la perche (et cinq autres aux JO) par exemple, ou les cinq breloques olympiques gagnés sur les 100 et 110 m haies (deux autres aux Mondiaux). Alors, comment expliquer ces différences de résultats en fonction des disciplines ? La réponse est multifactorielle. "Au niveau mondial, nous savons que sur certains groupes de disciplines, nous sommes en difficulté parce que le contexte international fait qu'il est dur d'émerger. Le système des universités américaines donne énormément de possibilités à des gens qui, dans leurs pays, n'en auraient pas eu", pose d'abord Stéphane Diagana, champion du monde du 400 m haies en 1997 et consultant pour France Télévisions.
Ensuite, vient la question culturelle. "En France, nous ne sommes pas orientés sur les sports de force, comme les lancers. Et nous n'avons pas essayé de les rendre plus accessibles", admet Laurence Manfredi, entraîneure à l'Athletic Club Miramas (Bouches-du-Rhône), et conseillère technique et sportive au ministère des Sports. Maryse Ewanjé-Épée, ancienne sauteuse en hauteur, et consultante pour France Télévisions, pousse même la réflexion plus loin : "Les disciplines de lancer ne sont pas une tradition française. Les hommes et femmes à fort gabarit ne sont pas dans notre tradition sportive, et ces préjugés collent à la peau de ces disciplines."
"Je le constate dans mon club et ailleurs. Quand on veut orienter un enfant doué pour le lancer, notamment une jeune fille, il y a une vraie réticence."
Maryse Ewanjé-Epée, consultante pour France Télévisionsà franceinfo: sport
Le constat est aussi partagé par la Fédération française d'athlétisme (FFA). "Aujourd'hui, l'homme qui va vite ou l'homme fort ne s'oriente pas vers l'athlétisme mais plutôt vers le rugby par exemple", souligne Philippe Leynier, directeur technique national (DTN) adjoint.
En parallèle, ces disciplines souffrent d'un manque de médiatisation et de popularité, autant de barrières au recrutement de jeunes athlètes, sans représentation ou référence sur lesquelles s'appuyer. "Dans les lancers, nous avons obtenu des résultats, mais ces médailles ont eu peu d'effet sur la structuration et le développement. Avoir des athlètes qui performent en championnats n'est pas suffisant pour créer une dynamique autour de ces spécialités", regrette Laurence Manfredi. Au contraire de la perche ou des haies par exemple, qui ont toujours attiré grâce aux médailles remportées à différentes époques.
L'athlétisme compte "un nombre de pratiquants assez léger [environ 300 000 licenciés au total à la Fédération française d'athlétisme], et par effet domino, une densité moindre pour le haut niveau", appuie Yoan Rago, entraîneur spécialiste du lancer au Nice Côte d'Azur athlétisme et qui suit une quinzaine d'athlètes, dont une douzaine à un niveau national. S'ajoute aussi à cela "un problème de détection", à en croire Philippe Leynier : "Les jeunes athlètes n'arrivent pas jusque dans nos clubs. Si on a longtemps été alimenté par les enseignements d'EPS, c'est beaucoup moins le cas aujourd'hui." Sans oublier le frein des installations sportives aux terrains synthétiques qui se multiplient et qui empêchent de lancer, notamment.
Une transition complexe entre junior et senior
Les préjugés qui entourent ces disciplines s'ajoutent aussi à une transition parfois complexe entre les juniors et les seniors. "Nous avons de belles générations chez les jeunes, sur les championnats d'Europe cadets, et sur les championnats du monde juniors. Mais derrière, nous avons du mal à aller chercher ce très haut niveau en senior, et notamment cette recherche de médaille", constate Yoan Rago. Une observation partagée par Nathan Ismar, champion de France du saut en hauteur en 2021 et vice-champion d'Europe espoirs la même année. "On a des talents en France, qui savent très bien sauter quand ils sont jeunes. Mais nous sommes trop concentrés sur la technique et pas assez sur l'aspect physique", commence-t-il.
"Un jour, les barres deviennent si hautes, que même avec une très bonne technique, si musculairement on n'a pas de quoi placer une grosse impulsion et assumer une prise de vitesse, on n'arrivera pas à déclencher plus haut."
Nathan Ismar, champion de France du saut en hauteur en 2021à franceinfo: sport
Le manque d'expertise au niveau senior est aussi pointé du doigt par Mickael Hanany, ancien athlète de saut en hauteur et désormais entraîneur à El Paso (Texas). "En saut, la France a un manque de connaissance dans les disciplines techniques, et a pris du retard sur d'autres nations sur le plan technique et du développement de la force physique", argue-t-il. Un argument toutefois nuancé par Yoan Rago."Ce n'est pas forcément l'expertise qui nous manque mais plutôt un manque de coachs. Les entraîneurs de lancer sont assez rares, à la différence de ceux de sprint par exemple. Avoir plus de coachs permettrait de faire plus de volume", répond l'entraîneur de club.
Nathan Ismar déplore lui aussi ce manque de formation dans sa spécialité, qui selon lui fait stagner les athlètes en devenir. "Certains font avec ce qu'ils ont, et quand ils n'ont pas beaucoup, ils se basent sur ce qu'ils voient, ce qui n'est pas suffisant pour le haut niveau. 2m10 en cadet c'est très bien, en junior et en espoir c'est correct, mais en senior, on n'en parle plus", constate celui qui n'a pas validé son billet olympique pour Paris.
Un système construit autour d'individus plutôt qu'autour des disciplines
Enfin, le problème structurel d'un sport basé encore à majorité sur l'amateurisme explique aussi ce compteur à médailles bien pauvre. "En France, nous mettons des systèmes en place autour des athlètes performants depuis les juniors mais pas autour de la discipline, afin de faire émerger plusieurs athlètes", observe notre consultante Maryse Ewanjé-Épée, en liant le manque de médaille à ce constat. "Aujourd'hui, pour arriver à la haute performance, il faut des moyens, sauf que ces moyens arrivent quand on y est. Avant, il faut compter sur sa bonne volonté", appuie Laurence Manfredi.
De fait, si de nombreuses disciplines se sont professionnalisées, permettant ainsi aux athlètes de vivre de leur carrière, en athlétisme, le statut amateur persiste, sans ligue ni droits télévisés pour générer des recettes et les réinvestir. À tel point que certains athlètes, notamment ceux des spécialités les moins médiatisées, peinent à en vivre, faute de sponsors et aides financières. "À niveau égal, les lancers sont un peu laissés de côté. Si les top athlètes sont aidés par l'Agence nationale du sport (ANS), ceux juste après, doivent jongler entre un travail à temps plein et les entraînements vingt heures par semaine. Une gestion complexe, qui ne facilite pas la performance, surtout quand celle-ci s'envole à l'étranger", explique Yoan Rago. Selon le DTN adjoint à la FFA Philippe Leynier, les lancers ne sont pas délaissés financièrement. "Mais la masse financière les concernant est moindre puisqu'ils ont moins d'athlètes compétitifs", observe-t-il.
Des lueurs d'espoir
S'il paraît difficile d'espérer des médailles dans ces disciplines aux Jeux de Paris, l'espoir peut affleurer pour la suite. Début juin, Rose Loga s'est offert la médaille de bronze au lancer de marteau lors des championnats d'Europe à Rome avec un jet à 72,68 m, son premier podium européen senior à 22 ans. Le 17 mai dernier, le lanceur de javelot Teuraiterai Tupaia a lui amélioré son record personnel au meeting de Fontainebleau en lançant à 86,11 m, faisant tomber le record détenu jusqu'ici par Pascal Lefèvre depuis plus de trois décennies.
Ce jet, qui correspond à la sixième meilleure performance mondiale de l'année et qui s'inscrit dans les standards du dernier podium olympique en 2021, a ainsi permis à Teuraiterai Tupaia de décrocher son ticket pour Paris 2024, les minima étant établis à 85,50 m. Deux jours plus tard, Tom Reux a réalisé lors du meeting de la Martinique la deuxième meilleure performance française de tous les temps au lancer de disque (67,91 m), lui assurant aussi une place à Paris.
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