Paris 2024 : une aubaine pour l'emploi des personnes en situation de handicap ?

"Une opportunité en or." À l'occasion d'une grande journée de recrutement organisée par Paris 2024, vendredi 17 novembre, Chantal Lasnier se félicite de la tenue des premiers Jeux paralympiques d'été en France, un événement dont elle pense qu'il permettra plus facilement aux personnes en situation de handicap d'accéder à l'emploi. La directrice déléguée talents et diversité au sein du Comité d'organisation (Cojop) souhaite "faire tomber l'auto-censure" des travailleurs handicapés et note que "beaucoup de collaborateurs valides s'aperçoivent qu'ici, des personnes qui ont un handicap, visible ou non, ont une importance, font un vrai job avec des responsabilités".

C'est le cas d'Halima Lazreg, cheffe de projet sur les services aux spectateurs pour Paris 2024. "Mon recrutement s'est déroulé dans un processus ordinaire, avec deux entretiens. C'était important pour moi. On était une quinzaine ce jour-là, trois personnes ont été recrutées", se rappelle celle qui est en fauteuil depuis son enfance.

"Une amie m'a dit que le Comité cherchait du monde et qu'il fallait que je candidate. Je lui ai dit que je ne connaissais rien au sport, mais elle m'a rassurée en m'expliquant qu'il n'y avait pas forcément de rapport !"

Halima Lazreg, cheffe de projet sur les services aux spectateurs pour Paris 2024

à franceinfo: sport

Au Comité d'organisation, la souriante Halima s'occupe du pôle de formation et de planification de tous les volontaires. Une mission importante pour cette détentrice d'un troisième cycle en sciences humaines, car la répartition des effectifs et des volumes pendant les Jeux sera cruciale.

"L'objectif, c'est de se mettre dans la peau de tous ces volontaires, explique-t-elle. Ils sont d'un âge différent, viennent de pays différents, parlent des langues différentes... On va trouver une formation relativement simple pour que tout le monde la comprenne, sans qu'elle soit simpliste", détaille-t-elle, heureuse d'avoir décroché cette mission.

Le parcours professionnel n'a pas été un long fleuve tranquille pour Halima. "Cela a toujours été compliqué de trouver du travail. Il y a des stéréotypes qui ont la peau dure, des représentations selon lesquelles on fait une fleur à quelqu'un en lui donnant un travail, que les personnes en situation de handicap ne peuvent prétendre qu'à des emplois peu qualifiés en raison d'un niveau de formation inférieur... Même quand il n'y a pas d'inadéquation avec le marché du travail, souvent ça ne marche pas", regrette-t-elle. Aujourd'hui, son profil de senior (plus de 50 ans) est un autre facteur limitant, mais il colle à une certaine réalité : les demandeurs d'emploi en situation de handicap sont plus âgés que la moyenne ( 50% ont 50 ans et plus, contre 26% pour l'ensemble de la population).

Des forums de recrutement organisés en marge de compétitions parasportives

Pour pérenniser les emplois créés grâce aux Jeux, des associations comme l'Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) œuvrent de concert avec le Comité d'organisation. Chargé d'études et de développement, Julien Viaud se réjouit que Paris 2024 "intègre des personnes qui sont parfois éloignées de l'emploi", et assure que l'association "travaille déjà avec [ses] entreprises partenaires pour accompagner ces personnes après les Jeux, car dans un an, c'est fini."

Ces derniers mois, elle a notamment impulsé et participé à des forums de recrutement. Le premier a eu lieu en février 2022 lors de la Coupe d'Europe de rugby fauteuil. "Une cinquantaine d'entreprises étaient présentes, dont des grands groupes", précise Philippe Ephritikhine, responsable des partenariats sportifs. Sur les 500 personnes présentes à l'événement, 50 ont été recrutées. Il y en a ensuite eu 239 embauches lors des Mondiaux de para athlétisme l'été dernier à Charléty et une cinquantaine fin octobre lors de la Coupe internationale de rugby fauteuil.

De grosses difficultés pour maintenir les personnes en situation de handicap en emploi

Si les chiffres témoignent d'une baisse du taux de chômage des personnes reconnues handicapées ( 12 % en 2022 contre 17,3 % en 2015), il n'y a pas que dans l'accès à l'emploi que les choses sont difficiles. À l'occasion de la semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH), l'APF France Handicap a publié un état des lieux sur le maintien dans l'emploi des travailleurs en situation de handicap. L'association alerte les pouvoirs publics sur une "désinsertion professionnelle grandissante".

"Cela a toujours été un serpent de mer, et je ne sais pas si l'organisation des Jeux à la maison aura un effet sur ce problème structurel dans l'organisation du travail", s'interroge Pascale Ribes, la présidente de l'APF France Handicap. Car derrière le sujet du handicap, il s'agit surtout d'une problématique bien plus universelle et moins stigmatisante : celle de la santé au travail. 

Selon le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS "Handicaps et emploi", 2020), un à deux millions de salariés sont exposés au risque de perdre leur emploi à court ou moyen terme, soit 5 à 10 % d’entre eux, en raison de leur état de santé ou d’un handicap.

"Au lieu d'aménager les postes de travail, on oriente les personnes vers l'inaptitude ou des avis de restriction d'aptitude. L'impact de la fatigabilité, la nécessité de soins... Tout cela n'est pas vraiment étudié. Beaucoup ont des parcours hachés ou interrompus, ne sont pas assez formés et opèrent donc sur des métiers peu qualifiants et souvent pénibles, qui génèrent des troubles. C'est un cercle vicieux, ces personnes se retrouvent dans l'inaptitude alors qu'on aurait pu adapter le poste."

Vers un effet post-Jeux comme à Londres en 2012 ?

Tous les acteurs s'accordent pour dire que l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris dans quelques mois, pensée comme un véritable tremplin vers la société pour les personnes en situation de handicap, ne le sera qu'à condition que ceux-ci soient inclusifs "pendant et après l'événement". L'accessibilité - enjeu majeur dans l'accueil des milliers de spectateurs venus du monde entier - doit s'inscrire dans un héritage plus large. Quant à l'emploi stricto sensu, pour Pascale Ribes, "il est encore trop tôt pour évaluer un effet des Jeux. Néanmoins, on a le sentiment qu'il y a un certain nombre d'initiatives qui émergent. On souhaiterait que cela prenne plus d'ampleur, notamment dans l'obligation d'emploi [qui impose à toute entreprise de 20 salariés et plus d’employer au moins 6% de personnes en situation de handicap] pour que le mouvement soit plus structurant."

D'autres, comme Philippe Ephritikhine, veulent s'appuyer sur l'exemple de Londres en 2012. "Les Jeux avaient été une avancée énorme en termes de visibilité du handicap. Ce levier du parasport est très important pour changer le regard, y compris dans les entreprises." En août 2022, le président du Comité paralympique international (IPC), Andrew Parsons, expliquait à franceinfo: sport que plus d'un million d'embauches supplémentaires de personnes en situation de handicap avaient eu lieu après la tenue des Jeux paralympiques au Royaume-Uni.