Reportage À Saint-Brieuc, au cœur du processus de classification des nouveaux para-athlètes

En marge des championnats de France indoor de para-athlétisme qui se tiennent samedi, plusieurs athlètes en situation de handicap ont suivi, vendredi, une session de classification afin de pouvoir concourir, eux aussi, dans la cité bretonne.
France Télévisions - Rédaction Sport
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Denis et Véronique, deux apprentis classificateurs en para-athlétisme, supervisent Eve, 13 ans, adepte du frame running, un cadre de course à trois roues utilisé principalement par des personnes souffrant de paralysie cérébrale, le 9 février 2024. (Clément Mariotti Pons)

Au beau milieu d'une éclaircie qui ferait presque plisser les yeux, chassant momentanément la grisaille, neuf ombres, de dos, pénètrent à l'intérieur de la Halle Maryvonne Dupureur de Saint-Brieuc, vendredi 9 février. Le pas assuré, elles rejoignent la salle de réunion qui surplombe la piste d'athlétisme pour un briefing minuté.

Orianne Lopez et Rudi Van Den Abbeele prennent la parole pour distiller les bons conseils et dérouler l'organisation aux sept autres "apprentis" classificateurs. Ces derniers travaillent, de près ou de loin, avec la Fédération française handisport (FFH) et possèdent des profils dits "médicaux" pour certains (ergothérapeutes, kinésithérapeutes), ou "techniques" pour d'autres (responsables sportifs, entraîneurs, anciens athlètes).

Ensemble, ils sont venus se former à la classification d'athlètes souhaitant participer à des compétitions de para-athlétisme, et notamment les championnats de France indoor, attendus dès samedi dans l'enceinte. "C'est un vrai challenge, on a besoin de sang neuf", confesse Serge, l'un des stagiaires du jour.

Les neuf classificateurs en para athlétisme - dont sept en formation - présents à Saint-Brieuc, le 9 février 2024. (Clément Mariotti Pons)

"On va constituer deux panels - un de cinq personnes et l'autre de quatre - qui vont devoir faire passer en classification six athlètes chacun aujourd'hui", explique Orianne, classificatrice sur le volet médical et médecin du Comité paralympique et sportif français (CPSF). À peine le temps d'avaler un bout de pizza à la va-vite sur un coin de table que, déjà, l'heure est venue de s'installer dans les vestiaires au rez-de-chaussée et de bricoler une salle d'attente.

Une batterie de tests médicaux et physiques

Pierrick, 37 ans, se présente devant le premier panel. Blessé à la cheville droite en 2015 lors d'une opération, cet infirmier toulonnais au service de santé des armées revient de loin. "On m'a dit que je ne pourrai plus jamais faire de sport à charge, raconte-t-il. Après quatre opérations et quatre ans de rééducation, j'ai pu recourir début 2019. J'ai repris à fond pour pouvoir faire les Invictus Games [compétition rassemblant des soldats et vétérans de guerre blessés et des personnes en situation de handicap]. Si je parviens à être classifié au niveau national, puis ensuite international, l'idée est de disputer les premiers championnats du monde militaires handisport à Venise fin mars."

Il se soumet à toute une batterie de tests : sauts pieds joints, marche sur la pointe des pieds ou les talons, examen de sa perte d'amplitude articulaire avec des manipulations... Toutes les limitations fonctionnelles sont sondées afin de s'assurer, comme le définit la classification, que la déficience est permanente et la gêne suffisante au vu du code paralympique. Ensuite, c'est sur la piste qu'il va être testé et s'essayer à différents exercices, sous la supervision technique de Denis, avant que n'arrive le temps de la délibération.

Orianne Lopez examine sous toutes les coutures la cheville droite de Pierrick, qui passe sa première classification en para athlétisme, le 9 février 2024. (Clément Mariotti Pons)

"C'est assez localisé, il n'y a pas de trauma au genou... Ce qui prime, c'est le déficit de force", débattent les classificateurs. "Tu seras en catégorie T44 [mouvement d’une partie inférieure de la jambe légèrement limité], et on te met pour l'instant en statut "révisable" car c'est ta première classification", annoncent-ils. "Tu devras être revu. On pense que tu es clairement éligible mais tu es à la limite. Il y a une petite marge de mesure qui, pour ta classification internationale, sera dépendante du panel de classificateurs."

Une future crack du frame running

Une jeune fille avec son déambulateur postérieur succède à Pierrick dans la salle médicale. Eve, 13 ans - "14 dans une semaine" - a découvert le frame running, un cadre de course à trois roues, il y a moins d'un an au hasard d'un après-midi dédié à la pratique handisport. Atteinte au niveau cérébral, elle a réalisé l'un de ses rêves : celui de pouvoir courir, grâce à un engin encore très méconnu. Grand sourire aux lèvres, elle n'a pas hésité à franchir le pas de la classification pour pouvoir pratiquer en compétition.

À ses côtés, sa mère rappelle que jusqu'à une radicellectomie - une chirurgie consistant à sectionner des nerfs dans la colonne vertébrale pour réduire la spasticité et améliorer la motricité - pratiquée en 2018, elle ne pouvait pas marcher. De quoi mesurer le chemin parcouru jusqu'à aujourd'hui... La Nantaise regagne, elle aussi, la piste d'athlétisme pour montrer ce dont elle est capable. Verdict ? Elle sera en catégorie T72, récemment créée pour les pratiquants du frame running. Eve devient, par la même occasion, la première athlète pratiquant la discipline officiellement classée en France !

Eve montre ses prouesses en frame running lors de la journée de classification de para athlétisme à Saint-Brieuc, le 9 février 2024. (Clément Mariotti Pons)

Juste à côté, au niveau du panel 2, les discussions sont vives. À quelle catégorie appartient Jérémy, 30 ans, athlète polyvalent et atteint au niveau cérébral que les classificateurs ne parviennent pas à classer ? Chacun avance ses observations et ses éléments objectifs et quantifiables. Ce sera finalement T35 (troubles de la coordination tels que l'hypertonie, l'ataxie et l'athétose) après l’intervention technique de Rudi, classificateur international depuis 1992, qui, avec deux exercices dans le virage de la piste, a pu déterminer une grosse limitation fonctionnelle.

"Selon notre décision, l'athlète peut avoir un destin paralympique ou non"

Quelques minutes plus tard, c'est Zoubir qui monte sur la table d'observation avant d'être scruté sous toutes les coutures par les professionnelles du médical. L’homme de 59 ans, gêné au niveau de l’épaule droite et du coude droit, est pourtant jugé trop juste pour être classifié. Ça ne passe pas, il n'existe pas de catégorie où il serait éligible en raison d’un handicap jugé trop léger.

"Il aura l'opportunité de repasser une nouvelle fois en classification afin d'être fixé", explique Rudi Van Den Abbeele, avant de s'épancher sur la difficulté de son rôle. "Ce n'est pas toujours évident, il faut être vraiment attentif et méticuleux sinon, c'est vrai que selon notre décision, l'athlète peut avoir un destin paralympique ou ne pas en avoir", précise le multiple médaillé aux Jeux de Séoul et de Stoke Mandeville. "Mais cela peut également dépendre du changement du code paralympique, des catégories retenues ou non aux Jeux... Par exemple, mes épreuves ne sont plus au programme, le pentathlon n'existe plus."

La journée marathon se poursuit jusqu'à plus de 21 heures, tandis que des champions tricolores, comme Dimitri Jozwicki, viennent prendre leurs marques à la veille des championnats de France, le regard déjà tourné vers Paris.

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