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L'histoire de l’esclavage s'écrit grâce à l'archéologie

Le 10 mai, on célèbre depuis 2006 la Journée commémorative de l’abolition de l’esclavage. A cette occasion, le musée de l’Homme à Paris programme, du 10 au 12 mai 2019, une série d’évènements sur cette thématique. A commencer par une "archéocapsule", "exposition légère et graphique"...

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Colonne d'esclaves. Gravure pour le livre "Aventures au pays des gorilles" de Paul Belloni Du Chaillu, "L'Univers illustre", 1868.  (AFP - Bianchetti/Leemage)

La date de commémoration correspond à l’adoption par le Parlement, le 10 mai 2001, de la loi Taubira "reconnaissant la traite négrière et transatlantique et l’esclavage". "Après 1848 (année de son abolition, NDLR), l’esclavage a disparu du roman national. Il a été remplacé par le silence et la honte", soulignait en mai 2012, au cours d’un colloque, Françoise Vergès, du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Lequel aurait entraîné la déportation de quelque 20 millions d’Africains.

L’esclavage a été aboli en 1833 dans les colonies britanniques, en 1860 dans les colonies néerlandaises, en 1865 aux Etats-Unis d’Amérique. En France, sa suppression définitive est intervenue le 27 avril 1848, sous l’impulsion de Victor Schoelcher. Il avait été aboli une première fois en février 1794 (sous la Convention) puis rétabli sous Bonaparte en 1802.

"Individus surexploités"

Depuis les années 1990, l’archéologie participe de manière importante à l’écriture de cette page sombre de l’histoire humaine en général, occidentale en particulier. "Certains évènements ont entraîné un déclic. Comme en 1995, lorsque deux cyclones ont notamment frappé la plage de l’anse Sainte-Marguerite en Guadeloupe révélant de nombreux ossements humains", expliquait en 2018 à franceinfo Thomas Romon, de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et l’un des deux commissaires scientifiques de l’exposition "Tromelin, l’île des esclaves oubliés".

Coupe longitudinale d'un navire esclavagiste et plan du pont, montrant les esclaves entassés dans la soute. Lithographie pour l'ouvrage : "Galerie complète en tableaux fidèles des peuples d'Afrique", de Friedrich Wilhelm Goedsche (1785-1863), édition Meissen (Allemagne), 1835-1840. (AFP - Florilegius/leemage)

Un ancien cimetière d’esclaves réapparaissait ainsi fortuitement. Les découvertes réalisées par la suite sur de tels sites révèlent notamment que les individus enterrés étaient "en moyenne âgés de 30 ans". "Ils portaient des marqueurs de dégénérescence, notamment d’arthrose, prouvant un usage intensif de toutes les articulations. Un phénomène que l’on constate habituellement chez des sujets âgés. C’est là un argument pour dire que ces individus devaient être surexploités", ajoutait-il.

L'"archéocapsule" du musée de l’Homme, développée notamment par Thomas Romon, présente plusieurs découvertes archéologiques faites en Afrique et aux Amériques. Elle "montre au travers de courts textes, d'illustrations et de photographies comment les apports récents de l’archéologie ont renouvelé l’histoire de l’esclavage et comment l’approche de cette dernière par des vestiges matériels (traite, vie quotidienne, rites funéraires...) enrichit et complexifie notre perception des esclaves", explique le site de l’Inrap.

"Refuges temporaires"

Exemple parmi d’autres : le mont Kasigau, au sud du Kenya, où ont ainsi été mis au jour les vestiges d’une trentaine d’abris naturels fortifiés. Lesquels ont servi, au XVIIIe et le XIXe, de refuges temporaires à ceux qui fuyaient les razzias de la traite négrière sur la côte.

Le relief de l’île française de La Réunion offrait aux marrons, les esclaves en fuite, un terrain propice pour échapper à leurs maîtres. Dans une petite vallée, quasiment inaccessible, du cirque de Cilaos, on a ainsi trouvé les restes de deux abris, fouillés en 2011 et en 2012. "Occupé au début du XIXe siècle, ce refuge secret servait aussi de halte de chasse : une parfaite connaissance de l’île permettait aux marrons d’échapper à la traque incessante des 'chasseurs de nègres' en vivant de chasse et de cueillette", explique le document de présentation de l'"archéocapsule". Cette rare découverte contribue ainsi à reconstituer leurs dures conditions de vie.

A la Guadeloupe, les archéologues ont fouillé une importante habitation-sucrerie des XVIIIe et XIXe sur le site de l’hippodrome régional à Anse-Bertrand. Ils ont notamment mis au jour de multiples rangées de cases rectangulaires formant un quartier d’esclaves. La disposition des lieux permettait au colon d’exercer un contrôle permanent sur sa main d’œuvre captive qui produisait le sucre à moindre coût. Produit ensuite vendu très cher en métropole. "En 1830, à l’apogée du système des habitations-sucreries, la Guadeloupe en comptait plus de 600, qui employaient près de 90 000 esclaves."

Ruines de l'ancienne prison des esclaves à à Petit-Canal en Guadeloupe.  (BRUSINI AUR?LIEN / HEMIS.FR / HEMIS.FR)

Toujours dans le même département, sur le site d’une autre habitation-sucrerie, à Saint-Claude sur l’île de Basse-Terre, on a fait une découverte en apparence anodine : une… marmite en terre cuite. Celle-ci "ressemble indéniablement par sa forme et son mode de fabrication aux poteries d’Afrique de l’Ouest", explique le document de présentation. "Rarement mentionné dans les archives, ce genre d’objet était certainement fabriqué par les esclaves pour eux-mêmes, selon des savoir-faire traditionnels. Une production discrète côtoyait donc la masse des céramiques que les esclaves fabriquaient, utilisant des techniques européennes pour la production industrielle du sucre."

L’ancien cimetière aux esclaves de New York

Le Brésil est le dernier pays des Amériques à avoir mis fin à l’esclavage en 1888. En 2006, une fouille a révélé un pan du passé de la ville de Rio de Janeiro en dégageant les vestiges de deux quais. Le plus vaste, appelé quai de Valongo et construit en 1811, était utilisé par les navires négriers. "Pendant trois décennies, quelque 900 000 Africains y ont transité contre leur gré. Puis, en 1843, le débarcadère aux esclaves a été remblayé et recouvert d’un quai flambant neuf." "L'esclavage est un héritage difficile à porter pour le Brésil, dont près de la moitié de la population se déclare noire ou métisse", constate RFI. Devenu lieu mémoriel, le site a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Il n’y a pas qu’au Brésil que l’héritage est lourd à porter… En 1991, lors de la construction d’un gratte-ciel à Manhattan, en plein cœur de New York, on a découvert l’ancien cimetière aux esclaves de cette ville du nouveau monde, utilisé de 1697 à 1792. Et où plus de 15 000 personnes ont été enterrées. "La mobilisation de la communauté afro-américaine" a alors permis de lancer "une opération archéologique et mémorielle", rapporte l'"archéocapsule". Les restes de 400 individus ont été étudiés. "Ainsi dévoilé, le passé esclavagiste de la ville, bien moins connu que celui du Sud, a dû être assumé".

Cérémonie en 2003 en l'honneur des esclaves du cimetière oublié de New York. 400 d'entre eux ont ainsi été réenterrés. (AFP - STEPHEN CHERNIN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Un passé qui ne doit pas faire oublier le présent. "On estime qu’aujourd’hui, il y a 40 millions d’esclaves dans le monde", expliquait en juin 2018 à franceinfo Afrique la réalisatrice Fanny Glissant, co-auteure pour France Ô et Arte d’une remarquable série intitulée Les routes de l’esclavage. Ces dernières années, les "marchés aux esclaves" de Libye, la persistance du fléau en Mauritanie ou les conditions de vie des ouvriers travaillant sur les chantiers de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar sont venus récemment rappeler cette sinistre réalité…

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