Quand l'archéologie fait revivre l'esclavage colonial
Un phénomène occulté par la honte
«Après 1848 [année de son abolition, NDLR], l’esclavage a disparu du roman national. Il a été remplacé par le silence et la honte», a souligné au cours du colloque Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.
En clair, la honte a trop souvent freiné la recherche. Elle a «rempli un espace qui devrait être rempli par le savoir», a insisté Alissandra Cummins, du Barbados Museum and Historical Society. «Le récit officiel est très souvent consensuel», a ajouté la responsable de musée de l’île de la Barbade, qui insiste sur la nécessité d’appréhender la question à l’écart «de l’influence biaisée des préoccupations occidentales».
Le quotidien des esclaves
L’archéologie permet de «revisiter certains sites et de donner ainsi une vision de plus en plus exhaustive» du phénomène, a constaté Sylvie Jérémie (Institut national de recherches archéologiques préventives, INRAP). Il en va ainsi d’un cimetière colonial à Baillif en Guadeloupe, «sorti des mémoires après avoir été recouvert par un abattoir et remis au jour lors de la construction d’une route». Ce genre de découverte permet de confirmer que les esclaves, vendus et traités de leur vivant comme des animaux, étaient enterrés chrétiennement, contrairement à ce que l’on pourrait croire. «Les maîtres tenaient se faire bien voir de Dieu», a constaté Lourdes S. Dominguez Gonzalez, professeure au Colegio Mayor de San Geronimo à Cuba.
Outre des ossements, les fouilles permettent de trouver des restes d’habitations et certains objets : pendentifs (notamment avec des perles), des amulettes, des pipes… Dans certains cas, comme à Cuba, elles confirment des coutumes venues d’Afrique, comme le limage des dents, comme l’a expliqué la chercheuse de La Havane.
Même si les restes exhumés sont souvent pauvres, l’archéologie «a beaucoup de choses à apporter sur le quotidien de gens qui n’ont pas d’archives. Elle peut faire parler des choses très simples comme les poubelles d’une case d’esclaves», souligne Jean-Paul Jacob, président de l’INRAP, qui fut responsable de la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) en Guyane de 2001 à 2006. Dans les Antilles françaises, les seules sources d’archives venaient des colons blancs : elles sont donc forcément univoques…
De la même façon, l’archéologie, longtemps domaine des prêtres et des békés blancs, ne s’intéresse que depuis peu à l’esclavage. Auparavant, elle travaillait exclusivement sur l’époque précolombienne, l’industrie locale, les habitations de maîtres…
Manque de spécialistes
Puis peu à peu, il y a une prise de conscience sur ce que peut apporter cette discipline pour la connaissance du passé colonial. «Il y a eu des petits déclics comme la découverte du cimetière Sainte-Marguerite (lien payant) en 1995 grâce à deux cyclones qui ont dégagé un grand nombre de restes d’ossements d’esclaves sur une plage du littoral nord-est de la Grande-Terre au Nord de la ville du Moule en Guadeloupe», raconte André Delpuech, responsable de l’unité patrimoniale des collections Amériques du musée du quai Branly, ancien responsable à la DRAC de l’île. Comme souvent, le site avait été très abîmé par des personnes venant chercher du sable pour fabriquer du béton.
Côté français, l’archéologie de l’esclavage est encore entravée par le manque de spécialistes. «Dans la mesure où il n’y a pas de tradition dans ce domaine, contrairement à ce qui se passe en Amérique du Nord, il faut former des personnes compétentes», explique André Delpuech. Mais les choses progressent. «En quelques années, on a accumulé beaucoup de documentation : poteries, éléments ADN… Il est nécessaire de faire une synthèse avec l’apport d’autres disciplines. On est sur la bonne voie», estime Jean-Paul Jacob.
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