Que vaut le nouvel album des Rolling Stones "Hackney Diamonds" ? Première écoute et premières impressions

Les Rolling Stones publient leur 24e album studio aujourd'hui. Mick, Keith et Ronnie signent un disque varié, consistant et énergique qui réserve de bonnes surprises, mais pèche aussi par son aspiration à rester dans le coup.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Ronnie Wood, Sir Mick Jagger et Keith Richards des Rolling Stones lors de la présentation de leur album "Hackney Diamonds" le 6 septembre 2023 à Londres (Angleterre). (DAVE BENETT / GETTY IMAGES EUROPE)

Comment aborder le nouvel album des Rolling Stones Hackney Diamonds ? Difficile de le prendre comme un disque de rock parmi d’autres. D’abord, parce que ce 24e album studio est leur premier depuis la mort en août 2021 de leur regretté batteur Charlie Watts. Il s’agit aussi de leur premier disque de chansons originales depuis 18 ans et l’album A Bigger Bang paru en 2005. Doit-on y voir leur chant du cygne, alors que leur chanteur Mick Jagger vient de fêter ses 80 ans et que leur guitariste Keith Richards le rejoindra le 18 décembre au club des octogénaires ? Visiblement, non. Les Pierres roulent toujours et paraissent plutôt en forme sur ces douze titres. Première écoute et premières impressions.

Cette bête obsession d'être dans le coup

Ce qui frappe d’abord, c'est la dynamique du groupe. Deux explications à cela. D’abord, les Stones ont travaillé dès le mois de décembre 2022 dans une certaine urgence, Mick Jagger ayant fixé une deadline assez rapprochée à ses complices, celle de la Saint-Valentin 2023 (en février), comme il l’a expliqué lors de leur conférence de presse en septembre. Le groupe venait alors à peine de terminer sa tournée en août 2022 et les musiciens étaient encore chauds et connectés. Ensuite, leur fidèle producteur Don Was n’étant pas disponible, ils ont fait appel à Andrew Watt, 32 ans, connu pour son travail en studio avec Ozzy Osbourne, Dua Lipa, Miley Cyrus et Iggy Pop, et surtout gros fan des Stones (en studio il portait chaque jour un t-shirt différent du groupe). Sa mission, selon le grand ordonnateur Mick Jagger : faire un album "qui soit fier de l’héritage des Stones mais avec le son de maintenant".

Alors que les Rolling Stones sont depuis longtemps intemporels, être actuel, ne pas faire daté, rester dans le coup, apparaît de fait comme une obsession sur cet album, et c’est son principal défaut. On l’a vu avec le premier single Angry et son clip clinquant qui se voulait désespérément jeune en convoquant la jeune actrice en vogue Sydney Sweeney (Euphoria, White Lotus). Enlevez les images et l’implication vocale de Mick saute soudain aux oreilles, tout comme le travail de dentellière de Keith et Ronnie sur ce titre d’ouverture de l’album, écrasé cependant par un beat pachydermique et noyé dans un fouillis shooté aux stéroïdes.

De mieux en mieux

Sur les deux morceaux suivants, Get Close et Depending On You, le swing et la subtilité de Charlie Watts nous manquent déjà. Son remplaçant Steve Jordan, collaborateur de longue date du groupe sur les tournées et avec les X-Pensive Winos de Keith, tape sur ses fûts de façon bien marquée et n’a pas la grâce du disparu. De son côté, Mick chante le tourment amoureux comme s’il avait 20 ans, et pourquoi pas, lâchant cependant "I’m too young for dying, but too old to lose" ("Je suis trop jeune pour mourir, mais trop vieux pour perdre"). Mais on n’entend ni le piano d’Elton John sur Get Close, pas plus qu’on ne distingue la section de cordes sur Depending On You. Il aurait fallu élaguer, laisser respirer les chansons.

Alors qu’on commence à mouronner sérieusement, arrive la petite déflagration Bite My Head Off, un titre presque punk franchement divertissant qui donne envie de pogoter gentiment avec un invité de marque à la basse, Paul McCartney, néanmoins si discret qu’on ne le remarque pas. Mick change par ailleurs de registre, évoquant "un putain de bateau en train de couler" dont il tente de "s’échapper rapidement", sur un solo enflammé de Keith. À partir de là, l’album va enfin éclore. Ouf de soulagement.

Avec Whole Wide World, dont le riff semble chipé à Girls d’Iggy Pop, on comprend surtout que cet album s’est construit en partie sur des démos écrites à différentes époques du groupe – de fait, Andrew Watt a trié au départ une centaine de démos qui lui avaient été soumises. D’où la variété de ce disque. Certes, on aurait souhaité que Mick soit un poil plus en retenue vocalement sur ce titre, mais la sauce prend tandis qu’il se fait plus intime et laisse poindre la nostalgie : "The streets I used to walk on are full of broken glass / And everywhere I’m looking there’s memories of the past".

Ronnie Wood, Keith Richards et Mick Jagger des Rolling Stones arrivent à la conférence de presse au sujet de leur nouvel album "Hackney Diamonds" le 6 septembre 2023 à Londres (Angleterre). (DANIEL LEAL / AFP)

Beau clin d'oeil à "Exile"

Dreamy Skies, un titre de country shuffle, qui n’aurait pas déparé dans le chef-d'œuvre Exile On Main Street, apparaît comme une véritable oasis après ces débuts tapageurs. Ici les guitares, l’harmonica et l’orgue Hammond tanguent doucement à l’unisson pendant que Mick se fait Dylanien au micro, chantant fort à propos "I’ve got to take a break for a while" (j’ai besoin de faire un break). Une chanson qu’on réécoutera, on le sait, avec plaisir. Mess It Up, l’un de deux titres sur lequel Charlie Watts (enregistré en 2019) est à la batterie, reprend la main sur la danse, et avec son clin d’œil appuyé à la Nile Rodgers de Chic, on tient là un tube disco potentiel.

Live By The Sword, avec Charlie Watts à nouveau aux baguettes et son ancien complice à la basse Bill Wyman, de retour après avoir quitté le groupe il y a trente ans, est un bon gros rock illuminé du joyeux piano boogie woogie d’Elton John en supplément. Euphorisant. Driving Me Too Hard, une ballade countrysante, gracieuse et aérée, offre une pause agréable. Sur Tell Me Straight, Keith s’empare du micro pour une chanson plaintive, elle aussi plus dépouillée, où affleure une sensibilité bienvenue – "Is my future all in the past ?", demande le guitariste.

Le son du paradis

La dernière ligne droite est une ascension vers les étoiles qui nous console de tout. Sweet Sounds Of Heaven, écrite à l’origine par Mick seul au piano, est un gospel de 7 minutes qui monte en puissance doucement, et un probable hommage à Charlie Watts. Lady Gaga, venue presque par accident passer une tête en tant que voisine de studio, est formidable en choriste soul, avec pour modèle évident Merry Clayton (mais aussi Lisa Fischer, la choriste star des Stones), somptueuse interprète de Gimme Shelter en duo avec Mick Jagger. Avec Stevie Wonder, qui ajoute sa touche magique aux claviers (piano, Rhodes, Moog), c’est assurément le climax de cet album, les Stones à leur meilleur, tels qu’on les a aimés, qu’on les aime et qu’on les aimera.

L’album se referme sur une autre pépite hautement symbolique : Rolling Stone Blues, une reprise de Rollin’ Stone de Muddy Waters, le morceau dont ils ont tiré leur nom et qu’ils n’avaient jamais repris, pas même sur leur excellent album de reprises blues Blue and Lonesome (2016). Cette chanson de Muddy Waters que Mick tenait avec quelques autres sous le bras lors de sa mythique rencontre avec Keith sur un quai de la gare de Dartford en 1961, ils la reprennent de la plus belle façon qui soit : dépouillée, habitée, et même légèrement dissonante au début avant de filer l’union parfaite de la guitare et de l’harmonica. Pure merveille. Un point final à l’album ou bien à la carrière des Stones ? Tssst tssst. Vous n’en avez pas fini avec les Pierres qui roulent. Elles ne s’arrêtent jamais. Le groupe a travaillé non pas sur les douze chansons de l’album, mais sur une grosse vingtaine. Où sont les autres ?

"Hackney Diamonds" des Rolling Stones (Polydor) sort vendredi 20 octobre 2023

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