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Prix Goncourt : Didier Decoin nous raconte les coulisses de cette édition 2020 bouleversée par la pandémie

Repoussé au 30 novembre, le prix Goncourt sera annoncé en virtuel, sur la plateforme de visioconférence Zoom. Les quatre auteurs finalistes sont Hervé Le Tellier, Camille de Toledo, Maël Renouard et Djaïli Amadou Amal. Le président du Goncourt Didier Decoin nous raconte une édition chamboulée par la Covid-19. 

Article rédigé par Manon Botticelli
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les jurés du Goncourt Pierre Assouline, Philippe Claudel, Patrick Rambaud, Pascal Bruckner, Didier Decoin, Camille Laurens, Francise Chandernagor, Eric-Emmanuel Schmitt and Tahar Ben Jelloun posent ici le 3 mars 2020 chez Drouant. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

"Le Goncourt 2020 est attribué à …". Cette phrase aurait dû être prononcée le 10 novembre dernier devant une foule de journalistes à Paris, au célèbre restaurant Drouant où est remis le prix littéraire depuis un siècle. Quelques minutes plus tard, le lauréat aurait fendu un mur de reporters et caméras pour rejoindre les jurés dans le salon Goncourt. Mais cette année, la pandémie de Covid-19, et les mesures sanitaires qu’elle implique, en ont décidé autrement.

Repoussé de trois semaines, le prestigieux prix Goncourt sera décerné le 30 novembre prochain… sur la plateforme de visioconférence Zoom. Mais pas question pour autant de déroger au rituel ! "A 12h30, nous allons donner le nom du prix Goncourt sur Zoom, en présence (virtuelle) des journalistes", détaille Didier Decoin, président de l'académie Goncourt. "Nous inviterons ensuite le lauréat à nous rejoindre. Je lui poserai quelques questions, pour recueillir son émotion, et j’espère qu'il ou elle sera profondément ému". Viendra ensuite l’annonce du Renaudot, qui suit traditionnellement celle du Goncourt. Le fastueux décor du restaurant Drouant en moins, l'édition 2020 suivra donc peu ou prou le même schéma que les années précédentes, mais en virtuel.

Un calendrier chamboulé

"Dès l’apparition du Covid-19, nous avons su que tout allait être bousculé", témoigne Didier Decoin. Mais le début de la rentrée littéraire, et l'envoi des livres aux membres du jury, se sont déroulés sans accroc. "La réception des livres a suivi le cheminement normal, ils ont commencé à arriver fin mai, début juin", nous raconte le président du Goncourt. Les dix académiciens ont pu se rencontrer physiquement deux fois, mais avec l’arrivée de la deuxième vague, les échanges se sont fait majoritairement par visioconférence ou messages. "Tout l’été, on s’envoie des fiches de lecture", explique Didier Decoin, qui précise avoir lu une soixantaine d'ouvrages. "Cela permet de faire en sorte qu’aucun bon livre ne passe entre les mailles du filet."

Et pour que chaque livre de la rentrée littéraire ait sa chance, l’académie Goncourt a décidé dès juin de repousser au 15 septembre la première sélection initialement prévue au début du même mois et d’accepter les romans parus jusqu’à cette date. Une mesure pour soutenir les maisons d’édition durement touchées par le premier confinement.

>> Prix Goncourt 2020 : quel roman a le plus de chances de l'emporter lundi ?

Pendant plusieurs mois, l’académie a espéré pouvoir remettre le prix en physique. Le rendez-vous était donné début novembre au Drouant avec une interdiction d'accès au restaurant pour les journalistes. "On s’est dit qu’on allait le proclamer depuis les fenêtres du salon Goncourt, avec les journalistes sur la place Gaillon", se souvient Didier Decoin. Mais le 29 octobre, Emmanuel Macron annonce un nouveau confinement avec la fermeture des commerces jugés non essentiels, dont les librairies.

Pour le président du Goncourt, pas question de procéder sans ce "partenaire n°1" qu’est la librairie indépendante. Il prend la décision (dans son lit à deux heures du matin, précise-t-il) de repousser l’annonce du lauréat. "J’étais extrêmement consterné par le fait qu’on allait décerner un prix, qui est le prix littéraire le plus important de France, et que les lecteurs ne pourraient pas se le procurer chez un libraire", rapporte-t-il. L'annonce du Goncourt 2020 est alors fixée au 30 novembre. Un ultime délai pour ce sésame qui doit impérativement être remis dans l’année 2020.

La crainte d'un "souvenir entaché"

Soulagement, les librairies rouvriront leurs portes dès samedi et bénéficieront ainsi de l’attrait que suscite le bandeau "prix Goncourt" placé sur la couverture du livre couronné. Didier Decoin, qui a lui-même reçu le Goncourt en 1977, craint néanmoins que le futur lauréat ne garde de cette cérémonie virtuelle qu'un "souvenir entaché". "Ce qui m’attriste, c’est que le prix Goncourt, on ne l’a qu’une fois dans la vie, sauf quand on s’appelle Romain Gary*. C’est une fête, un moment formidable". 

C’est tellement solitaire, le travail d’un écrivain. Et tout d’un coup débouler au Drouant, avec des journalistes qui vous interpellent, vous font des sourires... C’est rassurant, on se dit alors qu’écrire c’est aussi chaleureux. Cette année, cela va rester assez froid.

Didier Decoin, président de l'Académie Goncourt

à franceinfo Culture

Pour sa part, Didier Decoin regrettera le traditionnel repas au Drouant qui accompagne l’annonce du prix, qu'il compare au "festin à la fin des aventures d’Astérix". "Nous, on ne mange pas des sangliers, mais c’est la même ambiance", sourit-il. "On a rempli notre mission : décerner le prix à un livre qu’on est une majorité à aimer très fort et qu’on a défendu."

Les impressions d'une finaliste

A quelques jours du délibéré, l'écrivaine Djaïli Amadou Amal, en finale pour son roman Les Impatientes (éditions Emmanuelle Collas), nous confie être "un peu stressée" et "pressée" de connaître le résultat de la compétition. "Mais je serai heureuse quoi qu'il arrive", dit l'autrice camerounaise sur un ton enjoué. Venue à l'automne à Paris pour la promotion de son roman, elle est revenue au début du mois et a prolongé son séjour pour l'annonce du 30 novembre. 

L'écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal, en lice pour le Goncourt 2020.  (JOEL SAGET / AFP)

Dans Les Impatientes, elle décrit l'effroyable quotidien des femmes dans certaines parties de l'Afrique, entre mariages forcés, viols et violences physiques. Pour elle, le Goncourt et son rayonnement représentent "un espoir pour l’avenir, pour les femmes du Sahel, pour faire changer les lois". 

"Si Djaïli Amadou Amal est lauréate, cela nous changerait la vie", estime son éditrice Emmanuelle Collas. Pour cette petite maison d'édition engagée, la perspective d'un prix Goncourt venant couronner ce texte jugé "puissant" et "essentiel" est vue comme un "beau rêve". "Cela ferait du bien dans un monde qui va franchement mal", estime Emmanuelle Collas.

* Romain Gary a reçu deux fois le prix Goncourt, la seconde fois pour un roman écrit sous ce pseudonyme.

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