Prix Goncourt 2020 : quel roman a le plus de chances de l'emporter aujourd'hui ?
Trois écrivains et une écrivaine, et quatre romans encore en lice : qui obtiendra cette année le plus prestigieux des prix littéraires français ? Verdict lundi 30 novembre 2020, à midi trente, à distance, sans gastronomie et sans cohue.
Les impatientes, de Djaïli Amadou Amal (Emmanuelle Collas), L'anomalie, d'Hervé Le Tellier (Gallimard), Thésée, sa vie nouvelle, de Camille de Toledo (Verdier) et L’historiographe du royaume, de Maël Renouard (Grasset), sont les quatre romans finalistes d'un Goncourt 2020 un peu particulier, puisqu'il a fallu dès les premières sélections délibérer à distance.
"C’est une bonne rentrée mais j’en ai connu de plus belles. Il n’y a pas comme les autres années un livre qui surnage, où l’on se dit que c’est la crème du lait", confie Didier Decoin, président de l'Académie Goncourt, interrogé par franceinfo. "Cette année nos quatre finalistes nous plaisent", ajoute-t-il, se gardant bien de donner des indices sur le choix final, qui sera tranché le 30 novembre, à distance toujours.
Lequel de ces quatre romans emportera le morceau ? Un pronostic hasardeux, tant "les livres sont extrêmement différents", estime Didier Decoin. "Cette finale est très spéciale car on pouvait s’attendre dans le fond, avec tout ce qui s’est passé dans l’année et l’année précédente, à avoir des romans qui parlaient du contemporain", remarque Didier Decoin.
"Hormis le roman de Djaili Amadou Amal, les autres sont vraiment de la fiction, mais sans prendre en compte les problèmes que la société française a pu repérer depuis le dernier Goncourt. Il aurait pu y avoir un livre sur la fin de l’empire américain, vous voyez, des grands thèmes qui touchent vraiment la société française", ajoute le président du Goncourt. "Quand Leila Slimani a publié son livre, elle posait un problème sociologique français, c’était un livre qui est arrivé en pleine crise et qui méritait très largement le Goncourt. Cela a été évident très vite tellement il était en phase avec les préoccupations de la société", remarque Didier Decoin, "cette année moins", conclut-il.
Pour vous faire une idée des quatre finalistes du cru 2020, voici un aperçu de chacun des quatre romans du carré final.
"Les impatientes", de Djaïli Amadou Amal : un roman "coup de poing" contre l’obscurantisme et la soumission aux hommes
C’est l’une des grandes plumes actuelles de l’Afrique, qui porte la voix des femmes victimes de violences, mariages forcés, excision, viols… On ne l’attendait pas forcément au Goncourt, mais son livre, Les impatientes, qui raconte l’histoire de trois de ces femmes et de leur combat pour la liberté prend le lecteur aux tripes, sans concession, mais sans voyeurisme. Un roman "coup de poing" contre l’obscurantisme et la soumission aux hommes via un dogmatisme religieux qui s’étend en Afrique qui, s’il obtient la reconnaissance des jurés du Goncourt, pourrait donner de la visibilité à un combat féministe digne héritier des Lumières.
"Le livre de Djaïli Amadou Amal c’est poignant, car c’est une histoire vraie, c’est quelque chose qui arrive à beaucoup de femmes", souligne Didier Decoin. "Beaucoup de livres sont publiés aujourd’hui, beaucoup trop. Quand on publie un livre c’est parce qu’on croit que ce livre peut changer quelque chose. Ce texte-là est essentiel", confie de son côté l'éditrice Emmanuelle Collas, interrogée par franceinfo. "C’est un bon livre, c’est une belle écriture, incisive, forte puissante. C’est un texte universel, qui parle à toutes les femmes, qui fait sens et donne toute sa valeur à ce qu’est la littérature", ajoute l'éditrice. (Emmanuelle-Collas, 252 pages, 17 euros).
"L'anomalie" d'Hervé Le Tellier : un roman exigeant et divertissant
Le roman d'Hervé Le Tellier, "oulipien" rythmé comme une série télé, raconte l'histoire d'un événement survenu à bord d'un avion d'Air France au cours d'un vol entre New York et Paris, qui va bouleverser la vie des passagers, mais aussi la face du monde. Ce roman, écrit comme un scénario de série télévisée, est un savant jeu de construction dont les pièces s'emboîtent à la perfection pour raconter une histoire "surréaliste". Faussement d'anticipation, ce roman aux mille facettes, mais avant tout philosophique, nous questionne en réalité sur notre présent, sur le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, en suggérant de folles hypothèses : et si le monde n'était finalement qu'une gigantesque simulation informatique dont les êtres humains sont de simples programmes, plus ou moins intelligents ?
L'anomalie est aussi un hymne à l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), dont Hervé Le Tellier est le président depuis 2019. Ce mouvement littéraire lancé dans les années 60 entre autres par Raymond Queneau, et comptant parmi ses adeptes des écrivains tels que Georges Perec, Italo Calvino, ou encore des artistes comme Marcel Duchamps ou Clémentine Mélois, entend produire une "littérature sous contrainte", l'auteur oulipien étant "un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir". "Le livre de Le Tellier est nouveau dans le paysage littéraire", résume laconiquement Didier Decoin. Bref, L'anomalie est un roman à la fois exigeant et divertissant, qui le place, s'il faut en mettre un, en tête des pronostics. (Gallimard, 336 pages, 20 euros)
"Thésée, sa vie nouvelle" de Camille de Toledo : un ovni
L'écrivain Camille de Toledo se glisse dans ce carré final avec un livre singulier composé de textes et de photographies en noir et blanc, qui fait le récit d'une introspection abyssale entamée quelques années après le suicide de son frère Jérôme, en 2005. Après avoir tenté de reprendre une vie nouvelle en s'exilant à Berlin, Thésée est rattrapé par son passé, qui se manifeste par des douleurs dans tout le corps, qui le paralysent. Il décide alors d'ouvrir les cartons d'archives et observe attentivement les photographies de la famille, exhume les lettres des ancêtres. Il médite, apprend à respirer, et réussit ainsi à relier, rattacher, construire des passerelles entre les générations, entrevoir des échos entre les drames, observer des miroirs entre les dates, et remonter à la vérité d'une histoire familiale gommée par ses ancêtres. A travers son corps, à travers la matière, "qui sait infiniment plus que nous", Thésée comprend à quel point son être "porte la trace des violences subies sur plusieurs générations", et combien la rupture avec ce passé a produit une histoire qui n'en finit pas de bégayer.
La matière est aussi au cœur de l'écriture de Camille de Toledo. Ecrit à la première personne, parfois à la troisième, ce roman est comme texturé, avec glissés dans le fil du texte des photographies, des italiques, des poèmes en prose, des débuts de phrases sans majuscule, des interlignages irréguliers. "Le livre de Camille de Toledo est peut-être littérairement plus poussé que les autres, bien écrit, mais pas d’une gaité folle", résume Didier Decoin. En couronnant ce roman, le jury ne choisirait pas la voie de la facilité, "mais enfin on ne couronne pas un livre de rigolade", souligne le président du Goncourt. Ici, nous avons beaucoup aimé ce livre, qui interroge le réel, à la fois notre intimité, et notre histoire commune d'êtres humains, et notre présent, d'une manière inhabituelle. (Verdier, 250 pages, 18,50 euros)
"L’historiographe du royaume", de Maël Renouard : un certain classicisme d’écriture remis au goût du jour
D’une langue ouvragée, l’auteur, qui fût aussi un temps la plume de François Fillon, écrit le destin d’un modeste lettré de l’ombre, compagnon d’études du roi Hassan II. Il en décrit l’ascension, les grâces et les disgrâces, dues à l’arbitraire du pouvoir. Un destin exceptionnel qu’il ne maîtrise pas, mais que Maël Renouard nous fait traverser avec lui. L’occasion d’une réflexion sur ces conseillers de l’ombre des royaumes (et des républiques ?), qui ont toujours oscillé entre docilité et hardiesse face au pouvoir. Pour Didier Decoin, le roman de Maël Renouard "est un livre formidablement bien documenté et écrit, c’est curieux d’être allé chercher cette histoire marocaine, cela fait un roman formidable, mais c’est un peu moins concernant". Un Goncourt serait la reconnaissance d’un certain classicisme d’écriture remis au goût du jour. (Grasset, 330 pages, 22euros)
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