Salon du livre Jeunesse de Montreuil : treize choses à savoir sur l'écrivaine Marie Desplechin, Grande Ourse 2020
Marie Desplechin a publié une centaine de livres, pour la jeunesse mais pas seulement. Le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, qui se déroule du 2 au 7 décembre sous une forme un peu particulière cette année, lui a décerné son prix "La Grande Ourse", qui lui sera remis en direct sur les antennes de la télé du Salon le 6 décembre.
L'écrivaine Marie Desplechin a été sacrée Grande Ourse 2020 par le Salon du livre jeunesse de Montreuil. Cette distinction, créée l'an dernier, récompense l'œuvre d'un auteur ou d'une auteure pour la jeunesse"dont l'écriture, le geste, la créativité d'une ampleur ou d'une audace singulière, marque durablement la littérature jeunesse". Auteure d'une centaine de livres, en grande partie pour la jeunesse mais pas que, six font partie de la "Bibliothèque idéale" du Centre national de la littérature pour la jeunesse (BnF) (Verte (1996), La Prédiction de Nadia (1997), Le Monde de Joseph (2000), Élie et Sam (2004), Satin grenadine (2004) et Séraphine (2005). Elle est aussi l'auteure du Journal d’Aurore (2006-2007-2009), ou encore de Babyfaces (2010). Mais qui est Marie Desplechin ? Pourquoi aime-t-elle écrire pour la jeunesse, comment conçoit-elle son métier, qu'est-ce qui la met en joie et qu'est-ce qui provoque sa colère, quelles sont ses passions ? La lauréate nous accueille chez elle, à Paris, avec un bon café comme le veut la tradition du Nord, la région où elle est née il y a un peu plus de soixante ans.
1Sa région : le Nord
"C'est pas pareil ans le Nord, il y a quelque chose de différent non?" lâche-t-elle en versant le café. Une région qui ne manque jamais de faire des apparitions dans ses livres, comme dans le dernier, La capucine (L'école des loisirs) en lice pour les Pépites 2020 dans la catégorie Fictions Junior.
Son livre raconte les aventures d'une jeune fille au service d'un maraîcher de Bobigny, élevée par une femme un peu sorcière, qui chasse les fantômes et se prend pour Victor Hugo. L'histoire se déroule au XIXe siècle, une époque que l'écrivaine aime particulièrement, et qu'elle a déjà explorée dans les deux premiers romans de cette trilogie intitulée Les filles du siècle (Satin grenadine, et Séraphine). "L'idée de ce livre vient de mon arrière-grand-mère, qu'on appelait Nana, et qui était née en 1870. C'était une famille du Nord, et au XIXe siècle au moment de la Révolution industrielle, il y a eu un grand brassage de populations, les gens partaient de leurs régions et arrivaient à Paris avec leurs accents de la Bretagne, du Nord, ou d'Auvergne. Là, ils n'étaient pas forcément bien accueillis par la population locale", raconte l'écrivaine, qui confie avoir muri ce livre depuis longtemps. Dans La capucine, le Nord s'invite au fil de l'eau, avec un couple de mariniers dont Marie Desplechin s'amuse à reproduire le parler régional. "Il y a des choses de la mémoire familiale qui remontent comme ça, c'est inconscient", souligne-t-elle.
2Sa matière de prédilection : l'Histoire
Dans La capucine, la jeune héroïne, Louise, est née de père inconnu mais elle a la peau sombre et les cheveux crépus. "Cela m'intéressait de mettre cette histoire en scène, avec une apparition dans le roman aussi du fils Dumas. La présence des Noirs à l'époque est une réalité. J'ai essayé de me documenter mais j'ai trouvé très peu de choses. On trouve très peu de choses sur ce sujet, c'est une question qui est peu traitée. Et pourtant, la question d'être noir ou blanc, c'est hyper important, on ne peut pas faire comme si ça n'existait pas. Il faut apprendre à être noir, et aussi apprendre à être blanc", souligne l'écrivaine. "J'adore l'Histoire. Je suis abonnée au magazine Histoire et quand je le reçois, je saute de joie. L'histoire, je trouve ça super excitant intellectuellement. C'est très utile pour mieux penser le monde contemporain. Quand on se penche sur l'histoire, on ne s'éloigne pas du temps présent, au contraire, cela nous permet de mieux comprendre notre 'maintenant'. Et j'aime beaucoup les histoires dans l'histoire".
3Son cheval de bataille : l'écologie
"Déjà au collège j'ai suivi la campagne de René Dumont à la présidentielle, alors vous voyez, ça remonte", souffle cette "écolo" de la première heure, qui ne rate aucune manifestation pour défendre le climat. Elle use à l'occasion de sa plume pour transmettre cette préoccupation aux enfants, comme par exemple dans Ne change jamais, Manifeste à l'usage des citoyens en herbe (L'école des loisirs).
Dans son dernier roman La capucine, la terre tient aussi une place importante. "Je voulais faire un lire sur Bobigny, qui est une ville avec laquelle j'ai des liens particuliers, et j'aime aussi le XIXe siècle, et donc je trouvais ça intéressant de raconter comment cette ville qui est devenue aujourd'hui une ville de béton était un endroit où l'on faisait déjà de la permaculture. Ces maraîchers fabriquaient leur terre, ils associaient tels ou tels légumes, c'était déjà de la permaculture !", s'enthousiasme-t-elle. "Il y avait là une terre hyper fertile, qui donnait tout. Une dame me disait récemment que pour aller au centre de Bobigny, elle traversait des champs de salades jusque dans les années soixante dix", raconte-t-elle. "Je pense que ma fascination pour la terre vient du fait que j'ai toujours vécu en ville, et cette fascination a été réactivée par le soucis de l'écologie. Imaginez, les lombrics sont en train de disparaître, c'est une catastrophe !"
4Ce qu'elle a en tête quand elle écrit pour les enfants : leur âge
"Quand j'écris, j'essaie toujours de penser à l'âge des enfants à qui je m'adresse. Cela ne sert à rien de leur raconter des histoires qui ne les intéressent pas, et puis il faut faire attention à la syntaxe et au vocabulaire. Il ne faut pas leur balancer 14 mots qu'ils ne connaissent pas par page, c'est pas le jeu du dictionnaire !". Marie Desplechin s'attache, nous dit-elle, à écrire des phrases accessibles, et si elle glisse des mots "rares" dans son texte, elle veille à ce qu'il soit compréhensible dans le contexte. "Il ne faut surtout pas décourager les enfants. Ça ne veut pas dire qu'il faut leur proposer des livres ''au rabais', il faut une exigence, mais en restant accessible".
5Les lieux où elle écrit : le salon et la cuisine
"J'ai un bureau, mais il y a trop de 'bazar dessus", dit-elle en souriant. Mais quel que soit l'endroit, "c'est dur d'écrire", ajoute-t-elle. "S'y mettre, c'est horrible. Mais ne pas écrire, ce n'est pas possible non plus pour moi. Ce qu'il me faut pour démarrer, c'est une histoire. Et souvent, ça commence par une scène de début. Pour La Capucine, par exemple, j'avais les idées depuis longtemps, et la scène de début. L'idée de cette ado de 13 ans bien bâtie et au caractère bien trempé. J'aime bien ce genre de personnages. Et ça m'amusait de démarrer avec cette scène d'une jeune fille qui rosse un garçon. C'est jouissif", raconte-t-elle. "Mais ensuite il me fallait une histoire, pour mettre en scène toutes les idées que j'avais envie de développer dans le livre, Bobigny, les maraîchers, le métissage de Louise…"
Et puis elle rencontre dans la vie la femme qui a inspiré le personnage de Bernadette. "Cette dame m'a raconté qu'elle était Saint-Exupéry et qu'elle chassait les spectres. Alors là c'était parti, j'avais mon histoire !", confie Marie Desplechin. "Je ne fais pas de plan, sinon ça m'ennuie, mais je sais à peu près où je veux aller". Même si elle a écrit une centaine de livres, pour la jeunesse mais aussi pour les adultes, elle confie ne pas pouvoir écrire en permanence. Je fais plein d'autres choses, et j'ai vraiment besoin d'histoires. Parfois on me dit tiens tu pourrais écrire sur tel ou tel sujet ? Mais ça, j'en suis incapable !" confie cette touche-à-tout qui a travaillé pour le cinéma, pour le théâtre et qui est engagée dans de nombreux projets.
6Sa méthode : une vision, plus qu'un message
"Parfois on me demande : c'est quoi le message de votre livre ? Je ne sais pas quoi répondre. Je n'ai pas de message. En revanche j'ai une vision, qui est visible, je pense, dans mes livres", confie-t-elle. "Mais je n'essaie pas de convertir le lecteur. J'essaie de créer une distance. L'idée avec un livre, c'est plutôt de dire 'partageons une bonne histoire', et ensuite chacun en tire son truc".
7Son ingrédient indispensable : l'humour
"L'humour, c'est important dans la vie non ? C'est la meilleure défense, c'est l'ultime refuge, et parfois ça peut sauver des situations. C'est une distance, c'est un regard. Je ne pourrais pas écrire un livre que triste".
8Son cheval de bataille (2) : les livres et la lecture
"Lire, ça fait travailler les neurones. Ça donne des outils pour penser. C'est une porte sur d'autres temporalités, d'autres représentations. Je ne vais pas dire que lire rend bon, ou meilleur, car des gens qui lisent peuvent aussi être des gens atroces, mais les livres et la lecture donnent les moyens d'avoir accès à tout, au monde, et à soi-même. Le livre permet de se rassembler en soi-même. La lecture est un moment de retrait, d'élaboration, et je suis certaine que ceux qui lisent enfants seront ensuite les plus forts. Le livre, c'est l'outil ultime", défend l'écrivaine.
9Ses colères : les violences policières et l'éducation nationale
"Tout me met en colère. En ce moment, c'est la Loi sur la sécurité globale, et de manière plus générale, les violences policières. Ce n'est pas normal qu'en France, on ait peur de la police. Autre motif de grosses colères de l'écrivaine : l'éducation nationale. "Il y a des profs qui sont des saints, d'autres des génies, mais je suis furieuse contre la machine de l'éducation nationale quand elle broie certains enfants, et il y a des tas de gosses qui sont broyés par ce système. Cela me met très, très en colère", insiste Marie Desplechin. "Ca a commencé quand j'étais petite, à l'école, et ça a recommencé quand mes enfants y sont allés. J'aurai passé ma vie à être en colère contre l'éducation nationale", ajoute-t-elle. "Mais la colère est un bon sentiment, qui peut faire bouger les choses, si ce n'est pas une colère paralysante".
10Ce qui la met en joie : tout
"Tout me met en joie. Les livres, la nourriture, la poésie, les langues anciennes… Je rêve de me remettre au latin ! L'arrivée d'un mot nouveau, peut provoquer un feu d'artifice dans la tête. J'aime aussi rencontrer une classe, avec des enfants et avec un prof. Le contact avec les ados, c'est très facile. Cela remplit de bonheur et ça vous remet à une bonne place. Mais par contre je n'aime pas enchaîner les rencontres, sinon ça devient une mécanique, et ça ne laisse pas de souvenirs. Et c'est beau de se souvenir, non ?"
11Ce qu'elle lit : de tout
"Je recommande le dernier livre de Daniel Mendelsohn 'Trois anneaux. Un conte d’Exil'. Pour moi cet auteur, c'est une manière de penser idéale". Dans ses dernières lectures également, Récidive 1938, de Michaël Foessel "l'auteur analyse la presse d'extrême droite de l'époque, c'est un livre passionnant, je le refile à tout le monde". Elle recommande également Les mémoires d'une portraitiste d'Elisabeth Vigée-Lebrun. "Tout le monde s'en fout des femmes peintres, personne ne sait qu'elles existent !" râle l'écrivaine en allant chercher encore d'autres livres qu'elle empile avec enthousiasme.
Marie Desplechin lit aussi de la littérature jeunesse. Le dernier des branleurs, de Vincent Mondiot (Actes Sud Junior), par exemple, "c'est trash mais pas complaisant, j'ai adoré". Elle nous parle aussi du tome 5 de L'Arabe du futur, de Riad Sattouf (Allary) "Ce génie ! Un magnifique travail autobiographique. Un livre qu'il faudrait faire lire dans les collèges !". L'écrivaine nous dit avoir aussi beaucoup aimé le livre de Camille de Toledo, Thésée, sa vie nouvelle, (Verdier) finaliste du Goncourt. Bref, Marie Desplechin lit beaucoup, et de tout. "Il faudrait un jour que je fasse une sorte de bibliothèque idéale, avec des sous listes pour pouvoir les adresser en fonction du lecteur !".
12Ce qu'elle recommande pour faire lire les enfants : la simplicité
"Leur donner des livres qui les intéresse, et qui leur sont accessibles. C'est difficile. Ils sont en permanence sur leurs écrans. L'accès à la lecture reste socialement très marqué, et à l'école, les enseignants ne sont pas formés à la littérature jeunesse. Et ensuite dans les collèges, on leur donne des livres à lire qui ne les intéressent pas. Il y a pourtant des livres extraordinaires pour les ados et heureusement il y a des profs géniaux, qui font le travail", remarque Marie Desplechin, qui cite Marie-Claire, de Marguerite Audoux. "C'est l'histoire d'une adolescente au XIXe siècle, c'est écrit dans une langue très simple, et très belle". "Il y a aussi la lecture à voix haute. Ça marche bien. Pendant le confinement j'ai lu 'La vie devant soi' de Romain gary à mes deux ados, et ça a bien fonctionné. Je leur ai même lu du Racine à voix haute, et l'une des deux m'a dit 'oh, c'est beau !'"
13Sa Grande Ourse : elle l'aurait donnée à ses collègues
"Ça me fait plaisir. Et je suis très honorée parce que je succède à Gilles Bachelet, que j'adore. Mais je pense que plein d'autres auteurs l'auraient mérité : Marie-Aude Murail, Susie Morgenstern, Grégoire Solotareff, Claude Ponti... Il y a au moins quinze noms d'auteurs et d'autrices qui me viennent en tête qui auraient mérité de le recevoir ce prix, plus que moi ! Mais bon, c'est à moi qu'il a été décerné alors allez hop, je l'accepte avec plaisir. En plus, je n'ai jamais eu beaucoup de prix, donc je me dis que celui-là les remplace tous!"
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