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Sports d'hiver : la pratique professionnelle du ski nordique en France est-elle vouée à disparaître avec le changement climatique ?

La station du Grand-Bornand (Haute-Savoie) accueille du 15 au 18 décembre la troisième étape de la Coupe du monde de biathlon. Faute de neige naturelle suffisante, les organisateurs ont dû acheminer par camions des substituts en partie artificiels. Des images qui sont amenées à se reproduire de plus en plus souvent à ces altitudes.
Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Epreuve de poursuite hommes lors de la Coupe du monde de biathlon, le 18 décembre 2021, au Grand-Bornand (Haute-Savoie). (OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP)

Des prairies d’un vert vif, et des dameuses qui façonnent une piste de neige. Dix jours avant l’accueil de la troisième étape de la Coupe du monde de biathlon, ces images de la station du Grand-Bornand (Haute-Savoie) avaient suscité un vent de critiques. En cause : l’absence de neige naturelle tombée sur la station. Alors, pour recevoir la troisième étape de la Coupe du monde de biathlon, les organisateurs ont acheminé de la neige en partie artificielle pour tracer la piste qui est actuellement utilisée (du 15 au 18 décembre) par les biathlètes. La neige provenait d’une réserve à proximité. Une méthode qui a été décriée par les défenseurs de l’environnement.

Haute-Savoie : de la neige acheminée par camion au Grand-Bornand fait polémique

"On a tiré à boulets rouges sur [les JO d’hiver à] Pékin. Ou, plus récemment, sur les Jeux asiatiques d’hiver attribués à l’Arabie saoudite. On s’est beaucoup moqué de ça, en France en particulier. Mais là, on se rend compte qu’on est dans les mêmes logiques absurdes", déplorait Corentin Mele, de France nature environnement (FNE) Haute-Savoie, le 7 décembre à l’AFP. "Pékin a participé à la banalisation de la langue de neige au milieu du désert. Il faut que ça continue de choquer, comme au Grand-Bornand", pestait de son côté Vincent Neirinck, de l’association grenobloise engagée pour la préservation de la montagne, Mountain Wilderness, à la même agence.

Une "irrégularité" de l’hiver de plus en plus fréquente

Si les polémiques n’ont duré que quelques jours, le problème du manque d’enneigement en altitude, bien que très variable d’une année sur l’autre, est de plus en plus visible et inquiétant. Maurice Manificat, fondeur français quadruple médaillé de bronze olympique par équipes, a constaté les effets liés au changement climatique en moyenne montagne (inférieur à 2 000 mètres d'altitude). "Il y a de plus en plus d'irrégularité, d'inconstance dans l'hiver. Dans les stations à 1 200-1 400 mètres d'altitude par exemple, il y a toujours de la neige mais en plein hiver, on peut parfois subir un redoux, qui peut ruiner une belle chute de neige", livre l’athlète originaire de Haute-Savoie. "Il y a une quinzaine d’années, se rappelle-t-il, on restait tout le mois de juin à Tignes [Savoie] pour skier. A présent, ce n’est plus possible. Cette année, nous sommes restés dix jours, et au bout d’une semaine les conditions sont devenues exécrables. Une situation qui arrive de plus en plus."

"On remarque des quantités de neige plus faibles. Avant, le mois de janvier était une valeur sûre pour nos entraînements, ce n’est plus le cas aujourd’hui."

Maurice Manificat, fondeur, quadruple médaillé de bronze olympique

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Un phénomène d’autant plus visible en basse et moyenne altitude, comme au Grand-Bornand où la station se situe aux alentours des 1 000 mètres d'altitude. "Avec la hausse de la température mondiale et locale, nous nous attendons dans les prochaines décennies à une poursuite de cette baisse de la durée d'enneigement, et de la quantité de neige qui s'accumule pendant l'hiver dans nos massifs", confirme Samuel Morin, chercheur à Météo France et au CNRS.

Avec la hausse de la température mondiale, une réduction de l'enneigement en moyenne montagne est à prévoir d'après les prédictions de WWF. (WWF)

D’après le rapport du WWF "Dérèglement climatique : le monde du sport à + 2°et + 4°", publié en juillet 2021, il est avéré que dans les Alpes, à une altitude de 1 500 m en moyenne, "une hausse des températures globales [planétaires] de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels correspond à une réduction de 30 % de l’épaisseur moyenne du manteau neigeux en hiver" d'ici à 2055 environ. "Dans un monde à + 4°C, cette réduction pourrait s’élever à 80 %", cette fois à l'horizon de la fin du siècle*.

Un mois de durée d'enneigement en moins

Les scientifiques vont même plus loin dans leurs déductions et prédisent des hivers de plus en plus courts, et ce plus fréquemment. "Quand on regarde les enregistrements de l'évolution de l'enneigement dans les Alpes depuis le début des années 70, on remarque qu’on a perdu de l'ordre d'un mois de durée d'enneigement [20 jours sur la date de fonte, 10 jours sur le début de l'enneigement] en basse et moyenne altitude", expose le chercheur Samuel Morin. 

Un constat qui ne fait pas d’exception pour l’Hexagone, mais dont les effets pourront être différents selon les massifs. L’évolution du manteau neigeux de 175 stations des Alpes et des Pyrénées a été observée, dans une étude publiée par un collectif de scientifiques, dont Samuel Morin, en 2019. Le constat est sans appel : "Dans un monde à + 2°C, dans les Pyrénées, seules trois stations pourront encore compter sur un enneigement naturel suffisant, écrit le rapport en se projetant à l'horizon 2055. Dans un scénario à + 4°C, les projections indiquent même "qu’aucune station de ski ne présente un enneigement naturel fiable dans les Alpes et dans les Pyrénées", d'ici 2090.

"Les Pyrénées couvrent une gamme d'altitudes moins hautes que dans les Alpes et c'est encore plus vrai évidemment dans les Vosges, le Jura et le Massif central, approfondit le chercheur Samuel Morin. C’est ce qui rend la situation plus tangible et plus perceptible dans ces massifs. De nombreuses stations des Alpes seront concernées par cette réduction d'enneigement, de manière très forte, mais celles-ci sont entourées de stations beaucoup plus hautes où les difficultés interviendront de manière différée."

Une neige de culture plus complexe à produire

Face au manque de neige, les stations se tournent de plus en plus vers la neige de culture. Ce recours est même imposé par les organisateurs d'étapes de Coupe du monde de biathlon ou de ski de fond. L’Union internationale de biathlon (IBU) impose aux villes accueillant des épreuves un cahier des charges drastique quant à la qualité de la neige, qui doit être compacte et régulière. 

Le fondeur Maurice Manificat lors des championnats de France de ski nordique au stade des Tuffes, lors du relais masculin, à Prémanon (Jura), le 1er avril 2018. (MAXPPP)

En France, 32 % de la surface de pistes des stations françaises sont équipés pour produire de la neige de culture, un chiffre en constante augmentation, note le rapport de WWF. Mais là encore, cette solution est limitée. Au-delà d’un non-sens écologique [processus de fabrication énergivore, épuisement des ressources en eau, hausse des émissions de gaz à effet de serre, et effets sur les sols, la faune et la flore], fabriquer de la neige artificielle sera de plus en plus complexe sur une planète qui se réchauffe. "Même si aujourd’hui les stations trouvent des créneaux de froid pour produire en début de saison, ce qui n’est pas toujours le cas d'une saison sur l'autre, il leur sera plus compliqué de trouver ces fameux créneaux dans un climat plus chaud", soulève Samuel Morin.

Quelles alternatives pour la survie du ski nordique ?

Alors que les spécialistes sont unanimes sur la question de la réduction de l’enneigement en moyenne montagne, quelles sont les solutions pour le milieu du sport ? Doit-on arrêter d’organiser des compétitions dans les montagnes françaises ? Doit-on modifier le calendrier international afin de mieux adapter les lieux de compétition aux climats locaux ? Contactés par franceinfo: sport, les dirigeants de la Fédération française de ski en charge du biathlon n'ont pas répondu à nos sollicitations.

"Pour moi, lance le fondeur Maurice Manificat, le snowfarming [conservation de la neige de l’année précédente, grâce à la sciure de bois] est une solution, tout comme l’adaptation du calendrier peut l’être aussi, bien qu’il ne soit pas malléable d’une année sur l’autre, les contrats étant signés pour quatre ans", qui précise que la Fédération internationale de ski travaille sur le sujet depuis une dizaine d’années. "Peut-être pourrions-nous entamer plus tard la saison et finir en avril ?", questionne encore l’athlète. 

"La neige d'avril n’est pas le rêve à skier et surtout, le printemps n’est pas associé aux sports d’hiver pour le public, face aux sports d’été qui battent leur plein à cette période."

Maurice Manificat, fondeur, quadruple médaillé de bronze olympique

à franceinfo: sport

Ou bien faudrait-il réfléchir à relocaliser l’ensemble de la saison dans les pays du Nord de l’Europe comme la Suède, la Norvège ou la Finlande ? Car même si leurs stations sont moins hautes en altitude, leur latitude les épargnerait, du moins dans un premier temps. "Quand on monte en latitude, vers le Nord, c'est un peu analogue à monter en altitude. En termes d'évolutions climatiques sur l'enneigement, les tendances en cœur d'hiver sont différées, et moins fortes dans les observations passées et les projections futures", analyse Samuel Morin. Bien que ces pays n’y échappent pas totalement aujourd’hui. "Il ne faut pas croire, il y a aussi moins de neige au Nord. Il y a quelques années, on programmait des stages en Norvège, mais nous avons arrêté, car cela coûte cher et il n’y a plus cette certitude d’avoir de la neige et des meilleures conditions qu’en France", affirme Maurice Manificat.  

Trois jours avant la première course [le sprint hommes, jeudi 15 décembre], la neige tant attendue est arrivée dans les temps sur les hauteurs d'Annecy, recouvrant d'un manteau blanc l’ensemble de la station. Mais la polémique qui a visé le Grand-Bornand ne sera sans doute pas la dernière sur le sujet. Car au-delà de la réduction de l'enneigement, conséquence la plus visible, "le dérèglement climatique continuera aussi d’affecter l’intensité et la fréquence de certains risques naturels déjà présents en montagne" prévient le WWF, comme "les crues qui gagneront en importance avec les changements de régime de précipitation, les avalanches de neige humide, les glissements de terrain, ou encore la déstabilisation des parois rocheuses". Les débats ne font que commencer. Les polémiques aussi.

*Le rapport du WWF a été construit autour des scénarios de réchauffement climatique de +2°C d'ici 2055 et +4°C d'ici 2090. Bien qu'il s'agisse des scénarios les plus documentés, ces échéances temporelles sont à considérer avec prudence car les courbes de réchauffement planétaire évoluent constamment au gré des émissions de gaz à effet de serre.

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