Sports d'hiver : comment les stations de ski s'arment-elles face au défi du changement climatique ?
Pour qu'une saison de ski soit rentable, on considère qu'il faut au moins 100 jours d'ouverture de pistes. Certains domaines, comme celui de Céüze 2000, n'avaient pas pu atteindre ces chiffres et ont déjà été contraints de fermer. La petite station des Hautes-Alpes est devenue, depuis 2020, un musée à ciel ouvert, comme plus d'une centaine d'autres à travers l'Hexagone, fantômes d'une économie florissante tombée face au manque de neige.
Un destin funeste que les 350 stations tricolores fuient au mieux. Pour plus de 90% d'entre elles, le risque de fermeture est "très élevé" selon la trajectoire d'un réchauffement à + 3°C, attendu pour l'horizon 2100, relève une étude de Nature Climate Change, publiée en août. Et d'ici à 2050, la moitié ne serait déjà plus rentable. Budgets décuplés, plans de relance, activités alternatives, tout est bon pour tenter de garder l'attractivité d'un milieu sur une pente descendante.
Un système au bord de l'avalanche ?
Plus qu'une passion, le ski alpin est avant tout un moyen de subsistance pour de nombreuses communes montagnardes. Chaque année, ce sont 10 milliards d'euros dépensés en station sur un hiver, d'après Domaines skiables de France, et des recettes liées aux forfaits qui auraient dépassé 1,6 milliard d'euros en 2022-2023. "Notre modèle économique de montagne ne vit que grâce au ski", assure Christian Sarran, directeur de l'office de tourisme de Font-Romeu. De cette économie fructifiante dépendent, au-delà des 18 000 salariés de station, 120 000 emplois au total. Sans compter les fournisseurs d'énergie et autres matières premières qui comptent aussi sur l'économie blanche.
"On essaie de trouver des alternatives mais personne n’a eu l’idée miraculeuse. Tant que le modèle ski fonctionne, on ira au bout, car c’est notre survie qui en dépend."
Christian Sarran, directeur de l'office de tourisme de Font-Romeuà franceinfo: sport
"Une crise sans précédent". C'est le constat inquiétant rendu par la Cour des comptes, dans un rapport annuel de 2022 traitant des stations de moyenne montagne en Pyrénées-Atlantiques. Une crise qui profite à d'autres, car dans un marché du ski français en recul de 5%, la compagnie des Alpes annonce une augmentation de 7,2% de son chiffre d’affaires sur la saison 2022-2023. Et comme un pied de nez à ceux qui traitent sa candidature pour les JO d'hiver 2030 d'"hérésie climatique", la station savoyarde de Val Thorens a pu ouvrir cette année certaines de ses pistes dès le 18 novembre, plus d'un mois avant les vacances d'hiver.
Ce n'est en réalité qu'un sursis. L'alternance coutumière et imprévisible des bonnes et mauvaises saisons ne change rien à l'inévitable constat qu'elles se raccourcissent d'année en année. Au total les massifs français auraient perdu près d'un mois d'enneigement depuis les années 50 selon une étude de Climsnow, reprise par la revue The Cryosphere [article en anglais]. "Quoi qu’on fasse, on assistera à une réduction de l’enneigement à basse et moyenne altitude comprise entre 10 et 40% d’ici à 2050 dans les Alpes", explique Samuel Morin, directeur du Centre national de recherches météorologiques dans la même étude. Et ce, même "en haute montagne [...] quel que soit le scénario d’émissions", précise le GIEC dans un rapport de 2019 en partie dédié à l'évolution de la cryosphère.
La solution plébiscitée pour l'instant ? La neige de culture. Son utilisation aurait réduit l’exposition des domaines skiables à l’aléa climatique d’un facteur 3, permettant de contenir la baisse de journées skiables durant l'année et offrant une certaine marge de manœuvre aux exploitants. Un répit onéreux car "pour assurer le début de saison", Vincent Gatignol, directeur de la station de Superbesse, dans le Massif central, nous explique avoir "investi trois millions d'euros en 2020 dans une unité de production de neige haute température". Elle pourrait être utilisée pour produire de la neige à toute température, mais "on a limité son usage à 14 degrés, sinon elle fondrait instantanément".
Des stations sans ski, utopies et réalités
Si rien pour l'instant ne semble pouvoir faire vivre les stations autant que le ski alpin, un rapport parlementaire du 24 février 2022 annonce que le "tout ski" n'est plus un modèle applicable. Il est impératif de s'adapter. En premières de la classe : les stations qui sont les plus exposées aux pénuries neigeuses, en basse et moyenne montagne. Christian Sarran explique à Franceinfo: sport que Font-Romeu a toujours été une station "polymorphe", dans laquelle la pratique du ski n'a jamais été exclusive. "Nous sommes la station de France avec le taux de transformation le plus faible : sur 100 personnes dans la station, on n'a jamais dépassé les 48% qui skient", assure-t-il.
Mais que font ces 52% venus sans chausser leurs spatules ? Il y a des curistes, des adeptes des raquettes, de luge d'été ou des amateurs d'attractions à sensations fortes... Des perspectives intéressantes certes, mais tous s'accordent à dire qu'elles ne sont pas, et ne seront probablement jamais, viables. "Les coûts de mise en place sont énormes. On ne peut pas emmener autant de monde sur ces activités alternatives. Il est possible de faire skier 2 300 personnes, mais pas de les mettre en simultané sur des karts, du tubbing et des tyroliennes", explique Christophe Boivin, directeur de la station du Mont-Dore, dans le massif de Sancy. "J'ai des gens qui parcourent plus de 1 000 km pour venir skier dans les Pyrénées-Est", surenchérit Christian Sarran."Ce n'est pas pour venir faire de l'accrobranche."
Le tourisme "quatre saisons", érigé en sauveur de l'économie d'altitude permettrait de rattraper une saison hivernale décevante par une économie plus égale tout au long de l'année. En 2023, la station des Pyrénnées a enregistré une fréquentation record durant la période de la Toussaint, en proposant notamment des activités autour du thème d'Halloween. "Avant, on mettait la clé sous le rideau en septembre et on réouvrait seulement en décembre, rappelle Christian Sarran. Maintenant, on arrive à maintenir la moitié des commerces de la station ouverts."
Dans les faits, aucun site n'a encore été capable d'assumer un rythme quaternaire, malgré de nombreuses aides dans ce sens, comme le Plan Avenir Montagne lancé en 2021 prévoyant au total plus de 650 millions d'euros de subventions pour la diversification et l'adaptation des stations. Pour l'instant, la seule saison qui pourrait venir complémenter l'économie hivernale, sans parler de la supplanter, c'est l'été. "Nous remarquons que les canicules et les grosses chaleurs estivales poussent les Français et les étrangers à venir à la montagne en quête de fraîcheur et de tranquillité", explique Quentin Reinhart, responsable de la communication du domaine des 3 Vallées.
Entre obsolescence d'un modèle et reconversion au vert
Gourmandes en énergie, les stations de ski ne sont évidemment pas étrangères à la cause de leur propre perte, d'autant plus quand elles cherchent à y échapper. Acheminement de neige par hélicoptère, "snow-farming", logements vides et mal isolés... Vouloir maintenir l'activité des stations de ski serait-il alors contreproductif ? Stéphane Passeron, ancien skieur de fond professionnel, prévient : "Les stations de moyenne montagne ferment les unes après les autres, il faut se remettre en question : ça ne fonctionne plus, il faut changer la façon de faire". Ce signal d'alarme est relayé par bien des acteurs écologiques, comme le groupe Extinction Rébellion, qui avait sectionné les câbles de certains enneigeurs de la station de la Clusaz et des Gets en janvier 2023.
Bien que qualifiés d'absurdité écologique, ces enneigeurs constituent une "réserve d’eau qui fondra au moment opportun : lorsque les arbres en ont le plus besoin", assure Christophe Boivin, d'après lequel "les écologistes se mettent le doigt dans l'œil" à ce sujet. Ski et écologie sont-ils finalement compatibles ? C'est du moins l'ambition de la candidature française aux JO 2030. En contraste avec le fiasco environnemental des JO d'hiver de Pékin 2022 (JO tenus dans une zone semi-aride sur de la neige 100% artificielle..) , elle vise à mettre en place des Jeux "sobres et responsables", qualifiés de "premiers JO durables" par Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne Rhône-Alpes. L'initiative, justifiée en partie par la présence des infrastructures des JO précédents (Chamonix 1924, Grenoble 1968 et Albertville 1992), n'est pour autant pas appréciée de tous.
"[La candidature aux JO 2030] C'est vendre du rêve en faisant du ski, mais dans un monde qui fond."
Fiona Mille, présidente de l'association Mountain Wildernessà France Bleu Pays de Savoie
"Selon une étude réalisée par le cabinet Utopies, 52% des émissions de gaz à effet de serre produits durant les vacances d’hiver à la montagne sont liées au transport", décrit Quentin Reinhart depuis le plus grand domaine skiable de France, les 3 Vallées. Mettre en place des moyens de mobilité plus doux serait un moyen de préserver les vallées des pics de pollution observés tous les hivers. Un objectif qui semble particulièrement complexe à atteindre à cause de la longueur des réformes ferroviaires et lorsqu'on sait que 30% des skieurs sur les pistes françaises viennent de l'étranger.
Pour pouvoir faire des investissements en vue de la diversification, "on ne peut que compter sur les recettes du ski", affirme Vincent Gatignol, directeur de la station de Superbesse, pointant ici le cercle vicieux qui assombrit l'avenir des montagnes françaises, avant d'ajouter, fataliste : "On subit ce réchauffement climatique, on n'en est pas la cause, mais on paie les pots cassés".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.