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Reportage Mondiaux de ski alpin 2023 : "carrelage", neige salée ou "soupe"... Quel est l'impact de la neige sur la performance ?

Avec un soleil toujours aussi généreux sur Courchevel et Méribel, et une hausse des températures depuis deux jours, les géantistes et slalomeurs vont devoir s'adapter à des conditions de neige pas forcément idéales.
Article rédigé par Quentin Ramelet, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La piste du Roc de Fer, à Méribel, est longtemps exposé au soleil. (MICHAEL KAPPELER / AFP)

Il suffit de lever les yeux. Un océan de ciel bleu et une puissante lumière. Le grand soleil qui accompagne ces Mondiaux savoyards depuis maintenant une dizaine de jours pourrait, dès jeudi 16 février, jouer un grand rôle à l'occasion des quatre dernières courses au programme (les deux géants et les deux slaloms). La faute à des conditions de neige plus instables que les précédentes journées : les revêtements du Roc de Fer (Méribel) surtout, et d'une partie de l'Eclipse (Courchevel) sont directement exposés au soleil. Les skieurs vont devoir s'adapter : les réglages et la manière d'aborder une course, surtout pour les spécialistes des disciplines techniques, évoluent du tout au tout entre une piste complètement verglacée et bien compacte, endurcie par du sel, ou ramollie par la chaleur.

La neige de culture, la base

Les acteurs du cirque blanc sont unanimes. Pour obtenir les meilleures conditions possibles, à l'entraînement ou en course, la neige de culture est "une nécessité et une priorité", selon le patron du groupe technique des Bleus, Frédéric Perrin. Cette neige, plus communément appelée artificielle, "est une neige qui est dense. Quand on a une neige bien dense que l'on doit arroser, on arrive facilement à faire de la glace. Alors que faire de la glace avec de la neige naturelle, c'est quasiment impossible aujourd'hui". Cette glace permet de rendre beaucoup plus compact le revêtement d'une piste. Plus elle est compacte, plus il est facile d'entretenir la piste pour qu'elle convienne à tous les concurrents.

"C'est la base, car ce que l'on recherche pour les courses, d'abord, c'est d'avoir la meilleure équité possible entre tous les coureurs", renchérit notre consultant Luc Alphand. Cette équité sportive, dans des bonnes conditions météorologiques, n'est devenue possible qu'avec l'invention de la neige de culture. "Il y a 30-40 ans, il n'y avait pas toute cette technologie, rappelle le vainqueur du gros globe de cristal en 1997. Tu skiais sur de la neige naturelle mais quand tu arrivais au dossard 30, ce n'était pas du tout la même histoire."

"Quand j'étais jeune, lorsque j'ai fait mes premières courses, au bout d'un moment, il y avait des trous qui faisaient 60 centimètres de profondeur. Du premier aux dernier dossard, ce n'était plus du tout la même course !"

Luc Alphand, consultant France Télévisions et ancien descendeur

à franceinfo: sport

Aujourd'hui, il y a toujours un certain avantage à partir parmi les premiers dossards. Que ce soit Alexis Pinturault en géant, ou Clément Noël en slalom, entre autres, ils préféreront toujours partir parmi les premiers, la piste se dégradant naturellement sous le passage des skieurs. Mais les outils et les moyens utilisés pour limiter les conséquences de cette usure se sont développés. À la fin des années 1990, l'Autrichien Christian Steinbach a inventé la fameuse machine à injecter. C'est grâce à ce système qu'est arrivée l'expression de "neige injectée" qui permet de renforcer le manteau neigeux.

Rien de mieux qu'un beau "carrelage" bien entretenu

Le "système Steinbach" consiste à planter dans la neige "un picot qui fait 15 centimètres, au bout d'une grande barre et qui injecte de l'eau sur plusieurs dizaines de centimètres de profondeur", détaille Luc Alphand. "Avec ça, tu fais une jolie couche de glace de plus de 15 centimètres de profondeur. Cela permet d'avoir une neige très endurcie. C'est presque de la vraie glace, tu descends avec des patins si tu veux. [rire]" 

La glace, justement, la plupart des stars du circuit en raffolent. Ces fameux "carrelages", comme on dit dans le jargon, se retrouvent sur une grande majorité des épreuves de Coupe du monde, tout au long de la saison blanche. Alors que le commun des mortels fera tout pour éviter la fameuse plaque qui le fera terminer sur les fesses, les pistes glacées sont à l'inverse bien moins piégeuses pour les skieurs professionnels qui gardent le contrôle total de leurs courbes et de leur glisse.

"Ce sont des conditions qu'on aime vraiment bien mais que nous avons de moins en moins", regrette le coach des géantistes et slalomeurs tricolores, Frédéric Perrin. Face à ce constat, les coachs ont réagi. Aux entraînements et en préparation d'avant-saison, ils travaillent la polyvalence avec leurs athlètes, afin d'être performants sur toutes les conditions de neige. Loin d'être une sinécure.

Méribel, à 1850 mètres d'altitude, d'où l'on peut apercevoir l'intégralité du Roc de Fer, exposé en entier au soleil. (QUENTIN RAMELET / FRANCEINFO: SPORT)

"C'est un casse-tête monstrueux, concède Frédéric Perrin. Il est hyper important pour nous, pour l'athlète et pour son technicien, de pouvoir essayer de trouver tous les types de neige possibles et imaginables. À Ushuaïa [le stage estival de pré-saison], par exemple, c'est quelque chose sur lequel on essaie d'être 'focus'."

"Je pense qu'aujourd'hui, la clé c'est d'être capable d'être un skieur passe-partout et d'avoir dans sa boîte à outils, à la fois le réglage, et à la fois la manière de faire sur tout type de neige. Sinon on ne s'en sort pas."

Frédéric Perrin, responsable du groupe technique masculin de l'équipe de France

à franceinfo: sport

Si Alexis Pinturault et Clément Noël apprécient particulièrement les pistes glacées, c'est moins le cas d'un Mathieu Faivre, champion du monde en titre du géant, qui trouve ses meilleures sensations sur "une neige plus tendre et plus douce". Et si la neige dure (ou verglacée) demeure le revêtement classique, tout peut être chamboulé en l'espace de quelques minutes. De la pluie, une chute de neige importante ou une chaude éclaircie : la moindre évolution météorologique peut tout changer. Puis, évidemment, elle ne sera pas forcément la même en fonction des massifs et des pays, de Kitzbühel en Autriche, en passant par Bormio en Italie ou Beaver Creek aux Etats-Unis.

Du sel pour limiter la crasse

C'est d'ailleurs exactement ce qui est en train de se passer à Méribel et Courchevel. Le thermomètre affichant entre cinq à huit degrés de plus qu'au début de la compétition, entre midi et deux heures, les conditions de neige sur le Roc de Fer, très exposé au soleil, et l'Eclipse, bien plus ombragée, évoluent pile au moment où les épreuves techniques débutent. "S'il commence à faire chaud, la couche neigeuse sera plus malléable, plus souple et plus molle, observe Luc Alphand. Et quand tu arrives vraiment au très chaud, au printemps et en fin de la saison, là, tu es obligé de saler."

Le salage est le dernier levier pour transformer une piste difficile. "Quand tu sales une neige qui est mouillée, elle va durcir et ça évite de faire de la 'soupe', justifie Luc Alphand. Tu sales sur les trajectoires et ta neige molle va se compacter avec le gros sel. C'est toujours dans le but de trouver la neige la plus dure possible." On la connaît bien cette "soupe", celle qui colle sous les spatules, offrant une sensation désagréable de ne plus maîtriser comme il faut ses skis. Inimaginable sur des pentes à plus de 30 ou 40% de moyenne, à l'occasion d'un slalom des championnats du monde.

La "Medal Plazza", en bas de la piste du Roc de Fer, à Méribel, où le soleil frappe fort et où la neige se transforme petit à petit en "soupe". (QUENTIN RAMELET / FRANCEINFO: SPORT)

Très régulièrement, des courses sont reportées ou annulées à cause des conditions météorologiques ou quand il est impossible de proposer une neige décente. Comme à Zagreb, il y a un peu plus d'un mois, où le slalom femmes avait été reprogrammé et délocalisé à cause de la chaleur. Si les organisateurs et la Fédération internationale de ski (FIS) ne prennent pas la bonne décision, un accident peut vite arriver.

Le 6 janvier 2022, le Français Victor Muffat-Jeandet s'était fracturé le péroné, l'empêchant de participer aux JO de Pékin, après une lourde chute lors du slalom de Zagreb. Sur une piste déplorable et indigne du niveau professionnel, les organisateurs et la FIS avaient attendu le passage de 19 dossards pour finalement annuler la course, considérant que la neige n'était plus praticable. 

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