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Reportage Mondiaux de ski alpin 2023 : de reine du luxe à station sportive, le long chemin de Courchevel pour redessiner son image

En accueillant les championnats du monde de ski, la commune savoyarde poursuit son travail, entamé à la fin des années 90, pour redonner au village un statut de station avant tout sportive.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial à Courchevel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
Le front de neige de Courchevel 1850. (ERIC BERACASSAT / HANS LUCAS)

Avez-vous déjà vu une yourte Louis Vuitton ? Dans un monde normal, la réponse serait évidemment non. Mais à Courchevel, la normalité n’est plus en vogue depuis des années. C’est ainsi qu’en déambulant entre les boutiques de luxe de Courchevel 1850, on tombe sur la surprenante yourte du plus célèbre des bagagistes tricolores. Une originalité presque banale dans une station qui a depuis les années 80 érigé le luxe en art de vivre.

La yourte Louis Vuitton, à Courchevel (Savoie). (ADRIEN HEMARD-DOHAIN/FRANCEINFO: SPORT)

Entre les bolides allemands, les tarifs des chambres, les 23 hôtels cinq étoiles ou encore les moniteurs de l’ESF qui parlent russe, la "Saint-Tropez des Alpes" a du mal à faire dans la simplicité. Pourtant, à l’occasion des championnats du monde coorganisés avec la voisine Méribel, Courchevel entend bien se défaire de cette image de reine du luxe pour revenir à ses fondamentaux : le sport. "Ces Mondiaux, c’est l’aboutissement de vingt-cinq ans de travail”, confie ainsi Jean-Christophe Vidoni, adjoint aux Sports depuis plus de vingt ans, et qui a justement pour mission de redonner une dimension sportive à sa station.

Une pionnière oubliée

"Redonner", car Courchevel, historiquement, est un haut lieu du ski français. Et ce, bien avant de devenir le théâtre des épreuves de saut à ski lors des JO d’Albertville en 1992. Natif de la vallée, l’écrivain Guillaume Desmurs, auteur d’Une Histoire des stations sport d’hiver (Glénat, 2022) raconte : "Dans l’histoire des stations de ski, Courchevel est la pionnière, le prototype de la station moderne, lancée en 1945. Tout y a été inventé pour la pratique du ski alpin". Remontées mécaniques, pisteurs, damage, domaine skiable… Toutes ces notions bien connues des vacanciers actuels ont en effet vu le jour sur ce plateau de la commune de Saint-Bon, renommé Courchevel pour "ecortzevé ", qui signifie "écorché"  dans le patois local.

"Le club des sports de Courchevel date de 1948, à la création de la station. Depuis l'origine, le sport a été très présent à Courchevel et il a toujours été au centre du village. Mais dans les années 1980, c’était plus compliqué. Il y a eu un recul."

Jean-Christope Vidoni, adjoint aux Sports de Courchevel

à franceinfo: sport

Destinée d’abord à un tourisme social pour rendre la montagne accessible à tous, Courchevel a vite délaissé sa mission fondatrice. “Au début, Courchevel n’est pas une station richissime d’oligarques, mais ils ont pris le virage très vite. A un moment, tous les hôtels étoilés du Rhône-Alpes se trouvaient ici", se souvient Guillaume Desmurs. Et pour cause, dès les années 1980, période de recul pour le ski alpin tricolore, la station s’est peu à peu tournée vers la clientèle de luxe et étrangère.  

Les rues de Courchevel et ses magasins de luxe. (MAXIME GRUSS / HANS LUCAS)

Un phénomène encore plus accentué depuis la fin des années 2000, en raison de la crise économique, explique Guillaume Desmurs : "Les stations ont constaté une perte de vitesse du tourisme français, le modèle économique a commencé à tirer la langue. C’est là qu’il a fallu développer autre chose, et aller chercher une clientèle de plus en plus fortunée. Il fallait mettre plus de charbon dans la locomotive pour entretenir le domaine. Cette montée en gamme était la seule solution viable." Une orientation remise en cause aujourd’hui, notamment par les évolutions sociétales. 

"Comme les marques de sport qui étaient parties sur le lifestyle et qui avaient oublié les fondamentaux sportifs qui faisaient leur force, Courchevel revient à ses fondamentaux sportifs aujourd’hui, ce qui lui redonne de la légitimité pour tous, contrairement à l’orientation haut de gamme vers des étrangers fortunés", analyse le spécialiste du marketing sportif Virgile Caillet. Il ajoute : "Le sport d’hiver reste du sport avant tout et organiser des compétitions est un gage de qualité des pistes, de la préparation de la neige, c’est immuable".

Vingt ans de travail

En réalité, même si elle a pu être éclipsée par des logiques économiques, cette réorientation stratégique ne date pas des derniers mois, mais de la fin des années 1990. L’accueil des JO d’Albertville en 1992 agit alors en électrochoc. A cette époque, Courchevel succombe au luxe à tout-va, tandis que son club des sports, autrefois le plus grand du pays, périclite. C’est à cette période que Jean-Christophe Vidoni enfile la casquette d’adjoint aux Sports, avec un objectif précis : "Remettre le sport et le ski au centre du village"

"La mairie a décidé d'une reprise en mains en 1995. On a aidé le club au départ à se restructurer, on a essayé d’être innovant. Ensuite, on a recommencé à faire nos gammes avec les courses européennes puis mondiales. Il fallait recréer ce lien via le club des sports, depuis la base."

Jean-Christophe-Vidoni, adjoint aux Sports de Courchevel

à franceinfo: sport

Volontaire et assumé, ce changement d’image touche aujourd’hui au but, pour le plus grand bonheur de l’adjoint aux Sports. "Nous, les locaux, notre ADN, c’est le ski alpin. On se reconnait dans les athlètes, plus que derrière des enseignes de luxe. Bien sûr, on a une qualité de vie, des hôtels, des restaurants, mais les gens viennent avant tout faire du sport. Ces personnes se retrouvent autour du ski de compétition." C’est pour en arriver là que Bruno Tuaire, directeur du CS Courchevel, a été embauché au changement de millénaire avec deux ambitions : "Organiser des évènements sportifs internationaux et former des champions".

Le Tour de France, autre événement central

Avec Alexis Pinturault star de ses Mondiaux, et une présence redevenue régulière sur le circuit de Coupe du monde depuis dix ans, la station a largement atteint ses objectifs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Tour de France y a fait son retour en 2020, avec le nouveau col de la Loze au programme, goudronné pour l’occasion. La redoutable ascension sera d’ailleurs de retour en juillet prochain, sur la Grande Boucle.

"Il s'agit de la même stratégie, reconnait Jean-Christophe Vidoni. Les skieurs font beaucoup de vélo l’été, donc associer le Tour à Courchevel nous tenait à cœur. On a lancé le projet de la Loze et aujourd'hui on parle d’une liaison des trois vallées en vélo." Détail qui en dit long, le départ de la piste de l’Eclipse tutoie le sommet du col routier, à une vingtaine de mètres.

Le vélo géant du sommet de la Loze est pris dans la neige, en attendant le retour du peloton en juillet prochain. (ADRIEN HEMARD-DOHAIN/FRANCEINFO: SPORT)

A travers ses championnats du monde, ses athlètes, et la Grande Boucle, Courchevel a ainsi adouci son image de reine du luxe. "Accueillir des compétitions sportives a toujours fait partie de l’arsenal de communication des stations. On a le ski de bosses à l’Alpe d’Huez, le biathlon au Grand Bornand, le ski alpin à Val d’Isère et Chamonix, le ski cross à Val Thorens…", énumère Guillaume Desmurs. "Cette articulation entre les athlètes stars d’une station et les épreuves a toujours existé, c’est un écosystème. Accueillir des étapes du Tour l’été s'inscrit dans la même logique." L’écrivain ajoute qu’il s’agit aussi d’une façon de parler de nouveau aux Français, après des années à se tourner vers la clientèle étrangère. 

Reste une question, maintenant que Courchevel a atteint son but, avec en plus déjà deux médailles pour l’enfant du pays Alexis Pinturault, quelle sera la suite ? En attendant un éventuel retour des JO d’hiver en France, Bruno Tuaire sourit : "Rester au top, maintenant qu’on y est. Et c’est sûrement le plus dur..."

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