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Reportage Mondiaux de ski alpin 2023 : à Courchevel, sur les traces de l’enfant du pays Alexis Pinturault

Parmi les cinq skieurs tricolores licenciés à Courchevel lors de ces Mondiaux, Alexis Pinturault était le plus attendu de tous, mardi lors du combiné qu'il a remporté brillamment. Et pour cause, “la Bête” est un enfant de la station.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial à Courchevel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Alexis Pinturault lors des finales de Coupe du monde à Courchevel, le 17 mars 2022. (NICOLAS TUCAT / AFP)

"Alexis a du sang parisien, mais c’est un vrai montagnard, un vrai savoyard". Derrière son comptoir, Alain Péant, trente-huit ans de service à l’hôtel Annapurna de Courchevel, a le regard qui s’illumine quand on vient lui parler d’Alexis Pinturault, qui a débuté ses Mondiaux mardi, lors du combiné en décrochant la médaille d'or, à l'issue d'un slalom bien maîtrisé. Né dans une famille d’hôteliers de la station, "Pintu" a grandi dans cet hôtel, qui surplombe tous les autres.

"Alexis a ses racines ici. Pour le premier confinement, il est instinctivement venu ici. Il revient souvent se ressourcer chez nous."

Alain Péant, chef barman de l'Annapurna

à franceinfo: sport

Quand le calendrier chargé de la Coupe du monde de ski lui permet, Alexis Pinturault revient donc arpenter les couloirs de l’hôtel cinq étoiles fondé - et construit - par son grand-père André en 1974, dirigé ensuite par son père Claude et aujourd’hui par sa sœur ainée Sandra. "Il adore faire du vélo, aller se promener avec son chien. Il en a besoin. Dès qu’il peut, il revient", explique Alain.

Courchevel et les Pinturault, un lien historique

A l’année, Alexis Pinturault vit en Autriche pour des raisons logistiques, lui qui pratique toutes les disciplines de ski alpin. Mais sa maison reste Courchevel. "C’est le meilleur ambassadeur, un gamin du pays qui a grandi ici, fait ses armes au club des sports", pose Jean-Christophe Vidoni, adjoint aux Sports de la ville depuis trente ans. Il ajoute : "Alexis est exceptionnel sur les skis, mais aussi humainement. C’est notre porte-étendard."

En 1974, après avoir ouvert une pension de famille plus bas dans la station, André Pinturault achète un terrain sur les hauteurs, à 1900 m d’altitude, quelques années après avoir quitté Paris pour la station, à la suite d'un coup de coeur. A la force de ses bras, le grand-père bâtit l’hôtel Annapurna, devenu depuis une référence de la station grâce à son ambiance familiale, qui évite le luxe tape-à-l'oeil.

La terrasse de l'Annapurna, l'hôtel de la famille Pinturault à Courchevel. (FRANCEINFO: SPORT / Adrien Hémard-Dohain)

"Depuis, la famille et la station sont liées, le père d’Alexis est toujours conseiller municipal", résume Bruno Tuaire, directeur du club des sports local, au pied de la piste de l'Eclipse, sur laquelle il espère voir le champion briller. Le meilleur témoin de cette histoire, c’est André Péant. Arrivé comme commis en 1985 à l’Annapurna, il a vu passer toutes les générations de la famille Pinturault.

Tout en assurant le service, le chef barman replonge dans ses souvenirs, le sourire aux lèvres : "J’ai connu André Pinturault, puis Claude, et la mère Hege, quand ils se fréquentaient. Puis le mariage et l’arrivée des enfants : Sandra, aujourd’hui ma patronne, et évidemment Alexis, sans oublier Cédric, le petit dernier". Le frère de "Pintu" prolonge d’ailleurs cette histoire à sa façon, lui qui vient d’intégrer l’Ecole du Ski Français (ESF) de Courchevel à 21 ans.

Alain Péant a vu grandir Alexis Pinturault à l'hôtel Annapurna de Courchevel. (FRANCEINFO: SPORT / Adrien Hémard-Dohain)

Quelques tables plus loin, les habitués de l’Annapurna et leurs enfants aussi ont vu le petit Alexis devenir “la Bête” (son surnom). "Alexis et Sandra jouaient à cache-cache dans les canapés. Ils ont vu Alexis faire ses premières chutes, ses premières cascades, ses premières bêtises. C’est un lien assez émouvant entre la famille, le personnel et la clientèle", raconte Manon Augustin, responsable marketing des lieux.

"L’hôtel était un terrain de jeu pour eux, puisqu’ils y vivaient. Alexis était une boule d’énergie, mais toujours contenu. Il savait toujours ce qu’il voulait et allait de l’avant. De toute façon, son père lui répétait qu’arriver deuxième, c’est déjà être le premier perdant".

Alain Péant, chef barman de l'Annapurna

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Le jeune Pinturault passe alors son temps à jouer avec les enfants des clients, se forgeant sans le savoir un réseaux d’amis à l’international. Aujourd’hui gérant du magasin de skis de l’hôtel, qu’il a repris après ses parents, Romain Dubost n’était en général pas loin : "Les bêtises ne venaient pas d’Alexis, il regardait de loin. Il était déjà carré, rigoureux". Bon élève, il faisait ses devoirs dans l’appartement familial de l’hôtel, qui a laissé un souvenir précis à Romain : "On passait des heures à regarder les vieux Superman dans sa chambre, il avait toutes les cassettes !" Mais très vite, les jeux d'enfants laissent place aux trophées et médailles.

La naissance de "la Bête"

"J’ai vu Alexis débuter là, juste devant l’hôtel", glisse Alain Péant, en montrant la piste du Pralong à travers les grandes baies vitrées. Comme tout enfant qui grandit en station, le jeune "Pintu" rejoint le club des sports dès six ans. "Nous, on y allait parfois à reculons", se marre Romain Dubost, "Lui était toujours le premier, peu importe la température. Nous, on se cachait dans les bois parce qu’on avait froid, pas envie. Lui donnait toujours tout. C’était le premier parti, le dernier rentré."

Déjà directeur du CS Courchevel à l’époque, Bruno Tuaire se souvient d’un jeune garçon facile à vivre, sociable, et déjà très doué avec ses spatules. "Je le connaissais bien, parce que son père était un des principaux soutiens du club. Il nous offrait des chambres, des repas avec tout le staff à l’hôtel. On a eu toute la famille licenciée chez nous". Sur les skis, l’image qui revient au directeur, c’est celle d’un surdoué difficile à canaliser.

"Ca passait ou ça cassait. Soit il gagnait, soit il sortait de la piste parce qu’il était toujours à 200%".

Bruno Tuaire, directeur du CS Courchevel

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Ce qui frappe aussi Bruno Tuaire, c’est le professionnalisme précoce d’un ado ultra minutieux avec son matériel, jamais abattu face aux problèmes : "Alexis était déjà une bête physique ! Il a bénéficié aussi d’une belle concurrence interne au club, puisqu’on avait les trois meilleurs français en U16." Depuis, la carrière de l’enfant de Courchevel s’est envolée, avec 34 victoires en Coupe du monde, trois médailles olympiques, six médailles mondiales et surtout six globes de cristal dont le gros, en 2021. Un palmarès XXL qui n’a rien changé aux yeux de Pinturault, toujours aussi simple et abordable dans les rues de sa station.

"Il est souvent là l’été. Il n’hésite pas à venir sur nos événements. Il est très investi dans sa ville."

Jean-Christophe Vidoni, adjoint aux Sports

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"Quand il passe au club, il a un mot pour tout le monde, prend du temps avec les enfants", apprécie Bruno Tuaire. Mais là où l’on peut le plus facilement croiser le champion, c’est dans les couloirs de l’Annapurna, où ses plus beaux trophées sont exposés. "Quand il est devenu professionnel, ses récompenses ont commencé à s’empiler dans le hall d’entrée", sourit Alain Péant. Seul, ou avec l’équipe de France, Alexis Pinturault revient souvent au bercail.

Quatre des cinq petits globes de cristal d'Alexis Pinturault entourent le gros, acquis en 2021, dans le hall d'entrée de l'hôtel Annapurna. (FRANCEINFO: SPORT / Adrien Hémard-Dohain)

"Il sait qu’on serait vexés qu’il soit à Courchevel sans passer nous voir", taquine Romain Dubost, assis dans le bow-window du skishop, avec vue sur le sommet de Saulire. De fait, le skieur était passé la veille, saluant chaque employé un par un, comme à son habitude assure Manon : "Il prend toujours le temps de discuter, on est une deuxième famille pour lui."

Un nouveau chapitre en cours d'écriture

Alors que sa sœur ainée, Sandra, a repris les rênes de l’Annapurna, la famille Pinturault a récemment racheté l’établissement des Peupliers, dans le bas de la station, sur lequel le skieur devrait poser sa patte (et où loge l’équipe de France masculine pendant ces Mondiaux). "Avec son épouse Romane, ils ont déjà refait tous les extérieurs. Ce n’est pas rare de les voir passer arroser les fleurs l’été", confie Manon, qui ajoute : "Il donne son avis sur toutes les grandes décisions, notamment sur la restauration, il a beaucoup échangé avec le chef". Preuve que s’il a encore la tête au ski, Alexis Pinturault a toujours le regard tourné vers son cocon neigeux.

Dans ce contexte, pouvait-il rêver mieux que de disputer des championnats du monde chez lui ? A 31 ans, certains parlent même de jubilé à domicile pour celui qui a déjà tout gagné, sauf l'or olympique. Ce serait mal connaître le Savoyard, toujours avide de trophées, attendu par toute une ville. Et par un supporter de choix… "Je ne vois jamais Alexis courir depuis qu’il est parti de l’hôtel, parce que c’est toujours pendant la haute saison", souffle Alain Péant, "Mais cette fois, je vais enfin le voir à l’œuvre en vrai, à domicile. Ils ont peut-être choisi Courchevel un peu pour moi (rires)". Exceptionnellement ce mardi, lors de l'épreuve du combiné, Alain n'était donc pas derrière son comptoir, mais au pied de l'Éclipse, où Alexis Pinturault a décroché une nouvelle médaille d'or mondiale en combiné alpin. Chez lui.

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