Rugbymen accusés de viol en Argentine : quels sont les éléments de l'enquête qui ont conduit au retour d'Hugo Auradou et Oscar Jegou ?

Les joueurs ont été autorisés par la justice argentine à rentrer en France. Mais l'affaire est toujours en cours d'instruction à Mendoza.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Hugo Auradou et Oscar Jegou, à l'aéroport international d'Ezeiza (Argentine), le 3 septembre 2024. (LUIS ROBAYO / AFP)

Ils ont foulé le sol français deux mois après leur arrestation en Argentine. Les joueurs tricolores Hugo Auradou et Oscar Jegou, poursuivis pour viol en réunion, ont atterri à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle dans la soirée du mercredi 4 septembre, après avoir été autorisés par la justice argentine à rentrer en France. Accusés de viol par une femme de 39 ans dans la nuit du 6 au 7 juillet dans une chambre d'hôtel de Mendoza, où le XV de France venait de remporter un match amical contre l'Argentine, les deux rugbymen avaient déjà bénéficié d'une remise en liberté mi-août, le parquet pointant "l'existence de contradictions notoires, d'incohérences, de zones grises et même d'explications insuffisantes" dans la version de la plaignante.

La défense d'Hugo Auradou et Oscar Jegou, convaincue que la position de l'accusation s'est fragilisée au cours de l'enquête, ont ainsi déposé une demande de non-lieu. Les avocats de la plaignante, eux, affirment que leur cliente souffre de "préjudices irréparables" et que celle-ci est toujours hospitalisée après une tentative de suicide il y a dix jours. Depuis le début de l'affaire, les deux parties invoquent des "preuves" et livrent une version diamétralement opposée de ce qu'il s'est passé dans la chambre d'hôtel des joueurs. Franceinfo revient sur les points où les versions divergent.

Des versions opposées sur le consentement

La plaignante, fille et sœur d'avocats, a été longuement entendue dès le 7 juillet. Elle affirme avoir été "sauvagement battue" dans cette chambre d'hôtel et évoque une "violence terrible". Selon ses dires, Hugo Auradou, 21 ans, "l'attrape immédiatement, la jette sur le lit, commence à la déshabiller et se met à la frapper sauvagement". "Une fois qu'elle ne peut plus se défendre, qu'elle n'a plus aucune chance de s'échapper, elle est agressée sexuellement par cette première personne", "au moins six fois", poursuit-elle. Selon Natacha Romano, son avocate, Oscar Jegou, 21 ans également, entre "une heure plus tard" dans la chambre où il "commence sauvagement à commettre les mêmes actes (...) sans aucune protection". Dans une interview au journal Diario Uno de Mendoza publiée le 26 juillet, la quadragénaire soutient avoir "dit 'non' à une relation sexuelle".

Lors de leurs auditions début août, les rugbymen reconnaissent, eux, une relation sexuelle mais soutiennent qu'elle était consentie. Ils nient aussi toute forme de violence. Sans dévoiler le détail de leurs déclarations, leur avocat Rafael Cuneo Libarona, frère du ministre de la Justice argentin, a expliqué qu'Hugo Auradou avait "répondu à plus de 150 questions du parquet, de la défense et des avocats de la plaignante" et qu'Oscar Jégou avait "dû répondre à 50 ou 60 questions de tout le monde". Les mis en cause "n'ont jamais pu répondre s'ils avaient demandé à la victime si elle était d'accord ou non", a opposé Natacha Romano. Ils ont convoqué "la difficulté à communiquer avec la victime, mais pour eux il était clair que la victime consentait", a ajouté Mauricio Cardello, autre avocat de la plaignante. Dans un extrait de l'émission "Envoyé spécial" qui sera diffusée le 12 septembre, sa cliente maintient : "Ils m'ont brutalisée et m'ont considérée comme un morceau de viande."

Des images de vidéosurveillance

Pour étayer la version de la défense selon laquelle ces relations sexuelles étaient "consenties", l'avocat Rafael Cuneo Libarona a évoqué des "indices" enregistrés par la vidéosurveillance. Sur ces images,  la plaignante quitte la boîte de nuit en compagnie d'Hugo Auradou, monte dans un taxi avec lui, entre à l'hôtel et attend que le joueur aille chercher la clé de la chambre. Pour l'avocat, il s'agit d'"une femme de 40 ans qui sait déjà ce qui se passe dans la vie". Il s'appuie aussi sur la vidéosurveillance pour réfuter que des coups aient été portés : la plaignante "prétend avoir été battue, les caméras disent qu'elle ne l'a pas été".

Mi-août, une vidéo provenant de la caméra de vidéosurveillance de l'ascenseur de l'hôtel a été diffusée par le site MendozaPost.com. On y voit la plaignante entrer calmement à l'intérieur et se recoiffer, sans demander de l'aide à Patrick Arlettaz, un entraîneur du XV de France, qu'elle croise à ce moment-là.  

Le chauffeur de taxi qui l'a raccompagnée a également témoigné dans la presse. "Elle l'a pris le matin, vers 8h30. Je l'ai vue calme, rien d'étrange", a-t-il assuré auprès de plusieurs médias dont l'AFP, réclamant l'anonymat et refusant d'être filmé ou photographié.

Autant d'éléments qui ne collent pas avec les déclarations de Natacha Romero sur l'état de sa cliente, hospitalisée pour une "décompensation générale" après les faits dénoncés. "Un stress post-traumatique a été diagnostiqué et elle prend des médicaments", a-t-elle précisé. "Je ne suis pas en bonne santé. Je souffre toujours de lipothymie", une sensation de perte de connaissance imminente, a précisé la plaignante dans le Diario Uno de Mendoza.

Des messages audio de la plaignante

Début août, le quotidien argentin Clarìn publie des messages audios échangés entre la plaignante et une amie le lendemain des faits. Ces conversations fragilisent la version selon laquelle elle a "dit 'non' à une relation sexuelle" dès sa rencontre avec Hugo Auradou en discothèque. "J'ai rencontré un rugbyman français. Super grand le mec. Trop beau, trop beau. Je suis rentrée chez moi à 9 heures du matin. À 9 heures ! (...) Quand je sors, j'en profite. Il m'a éclatée. Il m'a éclatée", raconte-t-elle dans ces messages traduits par Le Parisien. "Il m'a pris la joue et m'a laissé des petits bleus sur le visage, sur la mâchoire, sur le cul, des éraflures dans le dos. Tu n'imagines pas. (...) Il m'a explosée le mec. J'ai des marques sur le dos, la mâchoire. J'ai un œil au beurre noir, j'ai des bleus partout sur les seins, des marques sur le cul. Il m'a explosée. J'ai un œil au beurre noir, meuf. (...) Énorme le brun. Magnifique. Des yeux... Mais j'ai dû prendre un Diclofénac [un anti-inflammatoire] parce qu'il m'a explosée", poursuit-elle.

Selon son grand frère, interrogé par Le Parisien, "c'était une conversation intime entre deux amies encore un peu sous l'effet de l'alcool à ce moment-là". Dans la suite de ces messages, son amie lui fait prendre conscience du caractère violent de ce qu'elle décrit. Pour ses avocats, il s'agit d'"extraits partiels" et leur cliente "n'était pas elle-même". Ils expliquent qu'elle a apporté "des explications avec beaucoup de tranquillité" sur ces conversations lors de sa déposition. Pour la défense, le parquet "a clairement pris cet élément pour dire qu'il y avait des contradictions dans la déposition de la plaignante". "Contradiction, puisque, dans une des conversations très proche des faits, elle évoque une relation sexuelle (...) sur un ton enjoué et rieur, ce qui est peu compatible avec les actes qu'elle dénoncera par la suite", estime Antoine Vey, l'avocat français des joueurs, dans Le Figaro.

Des lésions constatées sur la victime

Au tout début de l'enquête, la procureure Daniela Chaler a estimé que la déposition de la plaignante "correspondait pour l'heure aux conclusions médico-légales". Un rapport médico-légal, réalisé le 7 juillet, jour du dépôt de la plainte contre Hugo Auradou et Oscar Jegou, fait état de quinze lésions répertoriées sur le corps de la victime. "On n'a pas déterminé si elles provenaient de coups ou de pressions [exercées sur la peau]", déclare alors le porte-parole du parquet de Mendoza. Elle avait "des marques sur le dos, des morsures, des égratignures, des coups sur les seins, les jambes et les côtes", détaille de son côté Natacha Romano. Fin août, la presse argentine, dont le Diario Uno de Mendoza, publie des blessures de la plaignante.

La défense des rugbymen rétorque que ces photos sont "connues des juges et au dossier depuis la première semaine". Dans un communiqué, Antoine Vey affirme que l'enquête a déjà conclu qu'elles "ne sont pas compatibles avec les scènes décrites par la plaignante" et qu'une experte a "rejeté que ces marques aient pu être causées par des coups", car "en réalité très légères". L'enquête, rappelle la défense, "a établi postérieurement que la plaignante avait caché à la justice qu'elle était atteinte de la maladie de Willebrand", une pathologie hémorragique, trouble de la coagulation, qui peut prédisposer aux ecchymoses ou saignements. "Pourquoi l'avoir caché ?" s'interroge l'avocat, déplorant une "tentative de manipulation".

Le retour des joueurs en France ne signe pas forcément l'épilogue de cette affaire, toujours en cours d'instruction. Si l'accusation a "perdu de sa force initiale" selon le parquet, Hugo Auradou et Oscar Jegou doivent toutefois se tenir à la disposition de la justice argentine et revenir "se présenter à Mendoza si cela leur est demandé".

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