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Premier League : avec Newcastle, l'Arabie Saoudite souhaite poursuivre son opération de sport-washing

La Premier League a validé jeudi le rachat du club anglais de Newcastle par un fonds d’investissement saoudien, une nouvelle étape de la stratégie de "sport-washing" du royaume du Golfe.

Article rédigé par franceinfo: sport, Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Newcastle (ici le stade Saint-James Park) est désormais dans les mains d'un fonds d'investissement saoudien. (OWEN HUMPHREYS / AFP)

L'indignation d'Amnesty International n'a pas suffi. Quelques heures avant que la Premier League ne valide le rachat de Newcastle par un fonds d'investissement saoudien (le PIF), l'organisation non-gouvernementale (ONG) de défense des droits de l'homme s'était opposée à l'opération.

"Au lieu de permettre à des personnes impliquées dans de graves violations des droits humains d'entrer dans le football anglais parce qu'elles ont les poches pleines", Sacha Deshmukh, directeur général d'Amnesty UK, a demandé à la Premier League de "changer ses critères (de sélection) des propriétaires et directeurs" de clubs.

Mais l'offre de 300 millions de livres (333 millions d'euros) du fonds saoudien (associé à PCP Capital Partners et les frères David et Simon Reuben) a suffi à convaincre Mike Ashley, l'ex-propriétaire des Magpies, de céder son club, avec l'aval de la Premier League, pour clore un feuilleton qui durait depuis plus d'un an. Une tentative de rachat par les Saoudiens avait échoué à l'été 2020, notamment en raison de la personnalité du prince héritier Mohammed ben Salmane.

"L'Arabie Saoudite essaie de s'acheter une image"

À l'image du Qatar, qui détient le Paris Saint-Germain via le fonds souverain QSI, et d'Abu Dhabi, propriétaire de Manchester City, l'Arabie Saoudite dirigée par Mohammed Ben Salmane va donc investir dans le sport en dehors de ses frontières. Mais selon Raphaël Le Magoariec, doctorant à l'université de Tours et spécialiste des politiques sportives des États du Golfe, ces achats de clubs ne répondent pas à la même problématique : "Le Qatar et Abu Dhabi, de par l'histoire et la taille de leur pays, ont besoin de cette projection internationale, ce qui n'est pas le cas pour l'Arabie Saoudite." La raison de ce rachat par le PIF se rapprocherait donc du "sport-washing" dénoncé par plusieurs ONG, dont Amnesty International.

"Le sport-washing est une stratégie adoptée par certains pays parce que le sport véhicule des valeurs positives. Cela permet de renvoyer une image en phase avec ces valeurs", explique Katia Roux, chargée de plaidoyer Libertés à Amnesty International France. En s'engageant dans le monde du sport, l'Arabie Saoudite cherche ainsi à faire oublier certains événements comme son engagement désastreux dans la guerre au Yémen depuis 2015, l'assassinat en octobre 2018 du journaliste Jamal Khashoggi qui a scandalisé l'opinion internationale ou encore le non-respect des droits humains au sein de ses propres frontières.

"On a cette image du régime saoudien qui entreprend des réformes, qui s'ouvre, qui organise des événements sportifs mais derrière, c'est tout l'inverse. L'Arabie Saoudite essaie de s'acheter une image", explique la chargée de plaidoyer d'Amnesty International, ONG qui dénonce depuis plusieurs années les dérives du royaume saoudien.

Newcastle, le bon client

Pour se racheter une image, le club de Newcastle semble être le bon client. Alors que le PIF semblait s'intéresser pendant un temps à Manchester United, Raphaël Le Magoariec juge plus "cohérente" la décision de se tourner vers les Magpies : "Le club ressemble plus à Manchester City ou au PSG quand ils ont été rachetés, avec un passé glorieux, un stade réputé et une équipe qui n'est pas dans une bonne situation sportive (19e de Premier League). Cela permet de se reposer sur une bonne image et de l'optimiser. Cela n'aurait pas été le cas avec Manchester United, qui n'est pas en grande difficulté sportivement parlant." Le choix de Newcastle n'est sûrement pas anodin non plus, en raison de la défiance des supporters à l'égard de leur ex-président, Mike Ashley.

À coups de millions dépensés, les nouveaux propriétaires pourraient donc s'attirer rapidement la sympathie des supporters de Newcastle. "Nous sommes enthousiastes parce que les nouveaux propriétaires vont ramener de l'ambition à Newcastle", affirmait Greg Tomlinson en avril 2020 au moment de la première tentative de rachat. Ce dernier soutient par ailleurs que les supporters n'ignorent pas les atteintes répétées de l'Arabie Saoudite aux droits humains : "Mais c'est le football en 2020 qui est comme ça. Nous ne choisissons pas nos propriétaires et ce n'est pas à nous de nous en occuper mais aux gouvernements."

Une campagne de communication à plusieurs centaines de millions

Si cet investissement massif peut s'expliquer par des bénéfices évidents en termes d'image renvoyée à l'international, Raphaël Le Magoariec le considère tout de même étonnant au vu de la situation économique du pays : "Le Royaume est confronté à de nouveaux problèmes à l'échelle nationale, avec un déficit sur plan budgétaire. Ils doivent réussir à manier entre l'international et ces soucis internes et ça paraît donc surprenant qu'ils se projettent de cette manière.

Un risque qui pèse d'autant plus sur l'Arabie Saoudite, pays qui vit de la rente pétrolière, qu'elle devrait subir la crise qui a touché le cours de l'or noir avec l'épidémie. C'est dire si cet investissement compte pour le royaume, "et MBS pourra paraître comme une personne respectable et se montrer de temps en temps en Grande-Bretagne", souligne le spécialiste des politiques sportives des États du Golfe.

Face à cette campagne de communication à plusieurs centaines de millions de dollars, les associations et ONG tentent de se mobiliser comme elles le peuvent : "Le contraste entre l'intérieur et l'image que le royaume essaie de s'acheter est considérable et préoccupant", analyse Katia Roux. "Mais dès qu'on gratte le vernis, on se rend compte que ça reste une image et une stratégie de communication, et cette façade ne peut pas cacher le bilan désastreux de l'Arabie Saoudite sur les droits humains.

Alors que le rachat vient d'être officialisé, Amnesty International UK tentera sans doute de s'assurer que les supporters de Newcastle  soient pas aveuglés par les strass et paillettes, qui pourraient sans doute débouler du côté de Newcastle dans les prochains mois.

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