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Reportage Championnats d'Europe de natation 2022 : le Foro Italico, un patrimoine architectural fasciste lourd à porter

Article rédigé par Emmanuel Rupied, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial à Rome
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'obélisque Mussolini, à l'entrée du Foro Italico, le 13 août 2022 à Rome (Italie).  (EMMANUEL RUPIED / FRANCEINFO: SPORT)

L'enceinte sportive au sein de laquelle se tiennent les épreuves de natation a été créée par Benito Mussolini à la fin des années 1930. Certains de ses éléments, notamment l'obélisque, suscitent aujourd'hui encore la polémique.

Haut de 36 mètres, on ne peut pas le manquer. L'obélisque Mussolini trône à l'entrée du Foro Italico, le complexe sportif où se tiennent les championnats d'Europe de natation, qui se terminent dimanche 21 août à Rome. Sur le long du monument, inauguré en 1932, est inscrit le nom du dictateur italien Benito Mussolini (1883-1945), son surnom en latin, "Dux" ("Duce" en italien, "le chef" en français), et "Opera Balilla anno X", qui fait référence à l'Opera Nazionale Balilla, organisation de jeunesse fasciste, ainsi qu'à la dixième année de l'ère fasciste. 

Le monument, comme l'ensemble du Foro Italico, a été conçu durant les années 1930 sous l'impulsion de Mussolini. Fondateur du mouvement fasciste en 1919, l'Italien a pris le pouvoir trois ans plus tard. Il y est resté jusqu'en 1943 avant d'être exécuté par la résistance italienne à la fin de la guerre (1945). Allié d'Adolf Hitler dès 1938, il a mis en place une dictature basée sur une politique raciale et antisémite. 

Les fresques, sculptures et autres monuments présents à l'intérieur du Foro Italico constituent un héritage de Mussolini. L'aigle impérial, le symbole du fascisme, comme des statues d'hommes armés sont disséminés aux quatre coins du complexe sportif. 

Un témoignage ou un message équivoque ?

Le Foro Italico et l'obélisque constituent "une part de l'histoire de Rome", explique Valerio Piccioni, journaliste à la Gazzetta dello Sport et spécialiste de la politique dans le sport. L'ensemble "représente une œuvre importante de l'architecture de la période fasciste. C'est un symbole. Mais est-il un témoignage de l'histoire ou diffuse-t-il un message équivoque encore aujourd'hui ?" La question fait débat au sein même de la société italienne.

"Nous avons trois différentes réactions face à cet héritage, détaille Piccioni. Pour résumer, il y a une minorité qui est pro-Mussolini et une autre qui est totalement opposée à lui. La troisième position, majoritaire, c'est que la mémoire est importante et ils ne veulent pas oublier ce passé.

Foro ITALICO - Obelisque Mussolini
Foro ITALICO - Obelisque Mussolini Foro ITALICO - Obelisque Mussolini

Cette opposition s'est matérialisée en 2015. Laura Boldrini, alors présidente de la Chambre des députés et membre du Parti démocrate (PD, centre-gauche), a demandé que le nom de Mussolini soit effacé de l'obélisque. Le tollé provoqué a même atteint le propre parti de Boldrini. La réponse du président du PD, Matteo Orfini, a fusé. "Nous n'avons pas besoin d'effacer notre mémoire, même si elle est dramatique." Membre du Parti démocrate, l'ancien député italien Jean-Léonard Touadi estime que "la gauche italienne s'est opposée à cela, dans le sillage de ce qu'il se passait en Europe et dans le monde avec les statues d'anciennes personnalités controversées destituées de leur socle."

"On a des images partout de Néron, de Jules César, Auguste. Ce n'étaient pas tous des enfants de chœur. Ils sont là. Cette ville mélange son passé et son présent. Sinon, toute la ville mériterait d'être abattue."

Jean-Léonard Touadi, ancien député du Parti démocrate

à franceinfo: sport

Cependant, il apporte une nuance. "Je pense qu'il ne faut rien effacer car ça nous permet de regarder en face l'histoire de ce pays, assure l'ancien député italien. En Italie, il y a une tendance à ne pas faire les comptes réellement, à ne pas regarder en face l'histoire de ce pays."

"Plus jamais ça"

Figure majeure de la gauche italienne au début du XXIe siècle, Walter Veltroni a lui aussi pris le sujet à bras-le-corps. L'objet visé : une gigantesque fresque intitulée Apoteosi del fascismo ("L'apologie du fascisme"), située dans le Foro Italico, au sein de la salle d'honneur du bâtiment du Comité olympique national italien. La toile, peinte par Luigi Montanarini, représente Benito Mussolini, en prière, entouré de ses commandants ainsi que des hommes, tous blancs. Cette apologie de la supériorité de la race blanche est recouverte d'un voile depuis la fin de la guerre.

En 1997, alors ministre des Biens et Activités culturelles, Walter Veltroni a décidé d'enlever le drap qui cache le tableau afin de le révéler. La polémique enfle, mais le futur maire de Rome (2001-2008) ne s'est pas démonté. "Devrait-on effacer le génie de Leni Riefenstahl simplement parce qu'elle était la réalisatrice du Führer ou de films soviétiques, ou raser la place Rouge parce qu'elle a été le lieu du triomphe de Staline ?", s'interrogeait-il en 2013 dans une interview au quotidien La Stampa (en italien).

La salle d'honneur du Comité national olympique national italien et la fresque de "L'apothéose du fascisme" au mur, le 14 novembre 2017  (ALBERTO PIZZOLI / AFP)

Pour Jean-Léonard Touadi, "tout dépend de la capacité pédagogique que la société a pour transformer ces lieux de mémoire afin de dire : plus jamais ça. La démocratie a pris sa revanche sur la période fasciste mais aucun peuple, aucune culture n'est à l'abri d'un retour de ces idéologies."

Meloni, sur les traces du passé fasciste

Cette idéologie, Giorgia Meloni l'a longtemps approuvée. L'actuelle présidente du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, l'exprimait clairement en 1996 au micro de "Soir 3". "Je crois que Benito Mussolini était un bon politicien. Tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour l'Italie." Ancienne ministre sous Berlusconi à seulement 31 ans, elle pourrait devenir présidente du Conseil à l'issue des élections de septembre.

Pour Valerio Piccioni, "la perte de la mémoire au sujet des errances passées a eu des effets politiques. Je pense que la victoire de Meloni peut provoquer un retour du passé. C'est le risque. Avant, on avait un mur entre les extrêmes. La situation a changé." Jean-Léonard Touadi se montre moins catégorique : "Je pense que la constitution italienne est assez solide pour contrecarrer toute idée fasciste, au moins au pouvoir.

Dans ce contexte, cependant, ressurgit encore l'impact provoqué par les symboles du Foro Italico. Un phénomène qui pourrait toucher les jeunes, une cible de Meloni. Le complexe sportif accueille aussi le Stadio Olimpico, fréquenté par les deux clubs de football de la ville, l'AS Rome et la Lazio. "Il y a des groupes de supporters qui en ont fait un lieu mythique de propagande d'extrême droite; avec des saluts fascistes, des photos prises sous l'obélisque. Il y a une tentation que ça devienne un lieu symbolique pour perpétuer cette idéologie", affirme Jean-Léonard Touadi. Ce dernier appelle, une fois de plus, à regarder le passé en face. "La meilleure opposition au fascisme doit se faire au niveau culturel", assure-t-il. 

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