: Reportage Guerre en Ukraine : "C'est l'adrénaline qui nous a conduits jusqu'en France"... Après avoir fui leur pays, de jeunes hockeyeurs ukrainiens rechaussent les patins
Depuis le 11 mars, l’Île de loisirs de Cergy-Pontoise, dans le Val-d'Oise, accueille 33 réfugiés ukrainiens qui ont une passion commune, le hockey.
Des chamailleries, des rires, des concours de grimaces la tête collée à une vitre, des enfants qui courent dans les couloirs, d’autres qui organisent un combat de dinosaures miniatures. Tous semblent profiter d’une belle fin d’après-midi, jeudi 7 avril, sur l’Île de loisirs de Cergy.
Une salle commune comme tant d’autres, à l’exception près du nombre de dessins arborant les couleurs du drapeau ukrainien, également présent à l’entrée du centre d’hébergement, derrière les prunus en fleurs. Depuis une arrivée en pleine nuit un mois plus tôt, ils sont 33 réfugiés à vivre dans la commune du Val-d’Oise, douze femmes venues avec leurs seize enfants, et cinq mineurs isolés. Tous ont fui l’Ukraine à cause de la guerre menée par la Russie, et se retrouvent réunis en France autour d’une même passion : le hockey sur glace.
Alors que la Fédération ukrainienne de hockey organisait le départ de tous ses licenciés, son homologue française (FFHG) s’est immédiatement manifestée pour accueillir les jeunes sportifs. Un moment gravé dans les têtes des personnes présentes à ce moment-là. "Il y avait un gamin au fond du bus, couvert de boue, qui a mangé mais qui n'a pas parlé pendant les 20 heures de trajet. Le psychologue a mis une heure à le faire descendre du bus… La première question qu’il a posée était : 'Quand est-ce que je peux aller jouer au hockey ?'", se remémore avec émotion le président de la FFHG, Pierre-Yves Gerbeau.
"On a aussi vu un petit de 7, 8 ans, sans valise, avec juste un petit sac à dos et sa crosse de hockey."
Pierre-Yves Gerbeauà franceinfo: sport
Si la destination était la même pour tout le monde, tous ne viennent pas du même club, ni de la même ville. Artiom (14 ans dont huit de pratique du hockey), Sergei (15 ans dont dix de pratique du hockey), Vladislav (16 ans dont sept de pratique du hockey), Andrei (15 ans dont onze de pratique du hockey) et Mark (15 ans dont neuf de pratique du hockey), tous ont pris leur équipement sportif dans la valise. Timofei, 17 ans, vit près de Lviv, il explique leur périple : "Au début, on a pris un premier bus jusqu'à la frontière, que nous avons dû traverser à pied. Nous avons ensuite attendu dans un centre de réfugiés en Pologne. Nous sommes restés douze heures avant que le bus pour la France n’arrive. Il était en retard, mais on a finalement pu monter dedans et venir jusqu’ici."
Pas de bus pour Elena, vêtements aux couleurs de l’Ukraine sur le dos, et son fils Alexandr, 12 ans, qui manie habituellement la crosse sur les patinoires de Kiev. "On a eu beaucoup de chance. Pendant dix jours, au début de la guerre, on était à Kiev sous les bombardements. On se cachait dans les caves, mais j'ai compris qu'il fallait partir pour sauver notre enfant. J'ai laissé mon mari, mon chien, mes parents, mon frère. Ils sont tous restés à Kiev. On est en contact tous les jours, mais je m'inquiète beaucoup. On ne sait pas comment ça va se terminer", explique-t-elle, les yeux bleus pétillants, pendant que son fils, joue… à un jeu de combat sur un petit ordinateur.
Le bus pour la France, elle en a appris l’existence à la frontière polonaise, alors qu’elle avait déjà fait route vers l’ouest en voiture. De quoi entrer une destination précise dans le GPS. "On a juste fait un arrêt en Autriche car on savait qu'il y avait des choses organisées pour les Ukrainiens. Nous avons dormi là-bas une nuit et après ça, on savait qu'on était attendu à Cergy. C'est l'adrénaline qui nous a conduits jusqu'ici, et on a beaucoup de chance d'être en sécurité maintenant."
"J'étais guidée par l'adrénaline, car je savais que c'était pour sauver la vie de mon enfant."
Elenaà franceinfo: sport
Après un voyage éprouvant, les familles bénéficient d’un accompagnement complet. "Ils sont nourris et logés, c'est le travail des services de l'Île de loisirs. La ville de Cergy s’occupe quant à elle de l’accompagnement social, qui est très important. Ils ont aussi un accompagnement psychologique", énumère Thibault Humbert, vice-président de la Communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise. La mise en place d’un soutien psychologique rassure les mères ukrainiennes, bien conscientes du traumatisme vécu par les hockeyeurs en herbe. "Il y a quelques jours, quelqu'un a fait un feu d'artifice pas très loin d'ici. Les enfants l'ont entendu et ça les a beaucoup inquiétés. Dès qu'ils entendent le bruit d'une explosion, ils deviennent tous très anxieux. Les psychologues travaillent avec eux. Ils sont là pour les aider", tente de se rassurer Elena.
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En fin de journée, direction le lieu d’expression favori des adolescents, l’Aren’Ice de Cergy, pour l’entraînement. Sous le regard attentif de sa mère Tatiana, le jeune Mikhail, 10 ans, arbore fièrement le maillot de son club, le Sokil Kiev. Et il a bien l’intention de montrer que "les Ukrainiens sont un peu plus forts que les Français" sur la glace. Un sentiment partagé par tous les jeunes, dont la langue se délie dès qu’il s’agit de parler de leur sport. "Le jeu est un peu plus brutal en Ukraine. Ici, c'est plus doux, plus basique. On ne fait pas des choses compliquées. En France, ils s’appuient beaucoup sur les compétences individuelles. En Ukraine, la notion d'équipe est plus importante", embraye Sergei. Andrei envoie une charge qui déclenche un rire non retenu de ses coéquipiers : "Ils pensent moins que nous, ils réfléchissent moins."
Mark, qui occupe le poste de gardien de but, prend le temps de quitter sa cage pour venir raconter les nombreuses qualités des entraînements français, notamment "une glace et des conditions meilleures qu’en Ukraine". Et s’il admet que le niveau est un peu plus relevé dans son pays d’origine, il ne s’ennuie pas dans les cages : "Ce n'est pas plus facile car en France, je m’entraîne avec des adversaires qui ont un ou deux ans de plus que moi. Donc ils sont rapides, toniques. Mais, ça me va très bien parce que c'est comme ça que j'apprends, que je progresse." Voix de la sagesse, c’est son coéquipier Timofei qui conclut : "Il faut comprendre que les Français ont un style de jeu différent du nôtre, ce sont deux écoles différentes, deux manières différentes de jouer au hockey. C'est donc difficile de comparer."
Pour les parents, jamais loin de leur téléphone pour guetter les nouvelles du pays, voir les enfants manier la crosse, contrôler le palet et enchaîner les exercices à haute vitesse est l’occasion d’immortaliser le moment pour la famille restée en Ukraine. "Pour les enfants, c'est très important de jouer, c'est leur plaisir, une grosse partie de leur vie, explique Tatiana, téléphone à la main. Nous communiquons tous les jours avec mon mari, je lui envoie des vidéos de notre fils à l'entraînement, sur la glace, pour qu'il voie comment il joue. Cela le rassure."
"De son côté, mon mari fait partie des volontaires, qui luttent pour protéger Kiev. Il ne nous dit pas tout, pour ne pas trop nous traumatiser."
Tatianaà franceinfo: sport
Envoyer des petits instants de bonheurs venus de France, quelques secondes de répit aux hommes qui défendent leur pays, une action partagée par bon nombre de mamans, comme Elena : "Je fais des lives en vidéo pour que mon mari puisse voir comment ça se passe lors des entraînements, et comment est la vie ici. C'est très important pour eux de savoir qu'on est en sécurité. Cela les rassure à Kiev."
Grâce à @Hockey_FRA de jeunes hockeyeurs ukrainiens ayant fui leur pays peuvent désormais s'entraîner avec @les_jokers de Cergy, pic.twitter.com/5VopeiCj24
— Simon Bardet (@Simon_Bardet) April 8, 2022
Déracinées mais reconnaissantes, toutes les mères de famille prennent le temps de saluer l’accueil des Français. "En arrivant ici, on nous a tout donné, mon fils a été équipé, explique Elena. Ils nous ont dit : 'Vous êtes chez vous.' C'était très touchant, je remercie vraiment la France et la Fédération de hockey, la ville de Cergy et tous les habitants. Tout le monde a été génial avec nous." Tatiana salue également l’attitude des nouveaux petits camarades de son fils Alexandr : "Au départ, les enfants étaient séparés, dans différentes écoles. Les Français ont fait tant d'efforts pour que tous les enfants ukrainiens soient réunis au sein de la même école. C'était très touchant."
Petit à petit, les familles se mettent à évoquer les lendemains. Le long terme, impossible d’y voir très clair. Alors qu’elles s’imaginaient rester deux semaines lors de leur arrivée, elles savent désormais que le séjour français risque d’être plus long. Alors les petits rendez-vous deviennent des événements à ne pas négliger. "Les enfants ont reçu une invitation pour jouer avec les Américains de l'équipe professionnelle des Jokers de Cergy. On leur a envoyé un e-mail pour les convier à une rencontre amicale", se réjouit Elena, tout heureuse d’imaginer son petit de 12 ans partager la glace avec les demi-finalistes du championnat de France.
De là à s’imaginer Alexandr refaire le voyage vers la France plus tard, dans des conditions plus sereines ? "Il aime bien la France et il s'adapte très bien ici. Tout est bien organisé. Les enfants sont à l'école, ils vont au sport. Parfois, je lui demande si, plus tard, il aimerait revenir en France pour étudier, ou même pour jouer au hockey. Il me dit pourquoi pas, que c'est très sympa la France, mais que pour l'instant, il aimerait surtout rentrer chez nous à Kiev. Il veut voir son chien, son papa évidemment. Toute la famille lui manque."
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