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ENTRETIEN. "Se servir du sport pour redonner le sourire aux Ukrainiens" : l'appel du président de la Fédération française de hockey sur glace

Pierre-Yves Gerbeau se bat pour que la France accueille un maximum de jeunes hockeyeurs ukrainiens, qui fuient la guerre dans leur pays. Et il incite les autres fédérations sportives à lui emboîter le pas.

Article rédigé par franceinfo: sport, Simon Bardet
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Pierre-Yves Gerbeau est président de la Fédération française de hockey sur glace depuis le 30 septembre 2021. (FFHG)

Franceinfo: sport : Qui est à l’origine de la venue de jeunes hockeyeurs ukrainiens en France, d’abord à Cergy, dès le 11 mars ?
Pierre-Yves Gerbeau : Quand la guerre a commencé, le président de la Fédération ukrainienne a appelé Luc Tardif, président de la Fédération internationale de hockey, pour lui dire qu'il fallait évacuer ses licenciés et demander de l'aide. Luc m'a ensuite contacté pour me demander de parler avec Alexandra (Slatvytska), la secrétaire générale de la fédération ukrainienne, afin de voir ce que l’on pouvait organiser. A ce moment-là, elle était encore en Ukraine en train de prendre des bombes sur la tête, tout en coordonnant l'évacuation de toutes les familles de joueurs de hockey. Elle m'a demandé si la France pouvait l'aider. C'était une évidence, et on voulait le faire bien.

Comment vous êtes-vous organisé ?
On a discuté avec l'agglomération de Cergy-Pontoise et le club de hockey de Cergy, dont nous sommes très proches. Tout le monde était à fond derrière ce projet, d’accueillir de jeunes hockeyeurs et de leur permettre de pratiquer leur sport. Il fallait monter un plan pérenne, réfléchir à ce qu'on pouvait apporter par rapport aux autres. Notre fil rouge, c'est de se servir du sport pour redonner un peu de normalité et de sourire à des gamins. Pour que ça se reflète ensuite sur la maman, sur la sœur, et qu'ils arrivent tous à un peu moins penser au fait que leur papa et leur grand-frère sont en train de se battre en Ukraine.

Beaucoup de gens à la Fédération avaient proposé d'accueillir des familles chez eux, mais je ne voulais pas de cette solution. Chez l'habitant c'est très bien, mais on savait que le conflit n'allait pas durer une semaine. De plus, les familles ne sont pas prêtes à recevoir des gens traumatisés, des gamins qui ont perdu leurs parents, des mamans et des familles où le grand-frère et le papa sont restés en Ukraine pour se battre. Des situations dramatiques qui nécessitent une aide psychologique. En étant accueillis sur l’Île de loisirs de Cergy, les réfugiés ukrainiens sont logés, nourris, et bénéficient d’une aide psychologique et médicale.

Comment s’organise-t-on pour faire partir un bus à la frontière polono-ukrainienne ?
Cela n’a pas été facile, pour plusieurs raisons. Alors que l’on était en pleine mise en place logistique, Alexandra (Slatvytska) a disparu pendant une journée complète, alors qu'on se parlait trois fois par jour. J’étais inquiet, avant qu'elle ne m'envoie un message pour me dire : "Ne t'inquiète pas, je vais bien, mais je suis dans le métro." Dans mon monde où tout se passe bien, je me demandais pourquoi elle était là-bas.

"Une bombe avait frappé sa maison, elle a dû aller se cacher dans le métro avec son fils de 7 ans."

Pierre-Yves Gerbeau

à franceinfo: sport

La bonne nouvelle, c'est qu'on a réussi à l'évacuer à Prague. Elle passe ses jours et ses nuits à faire évacuer toutes les familles de licenciés ukrainiens.
Pour en revenir au bus, j'avais trouvé le financement grâce au CNOSF (Comité national olympique et sportif français), qui nous a très gentiment aidés. On a rempli ce bus de nourriture et de boissons. Cela a été rocambolesque, car on devait récupérer les familles via un couloir humanitaire, mais le pont a été bombardé. Il y a eu des blessés, qui ont été évacués d'urgence à l’hôpital, à Varsovie. Et on a changé d’endroit pour récupérer les familles trois fois dans la journée.

Un mois après leur arrivée, les jeunes peuvent jouer au hockey ?
Le club de Cergy s'est mis en ordre de marche très rapidement, et à la FFHG nous avons modifié tous les règlements pour que les jeunes puissent patiner. Et dès le lendemain de leur arrivée, les gamins sont allés dans le champ à côté de leur hébergement pour jouer au hockey. On leur avait trouvé des crosses et des cages en plastique. Aujourd'hui, ils sont tous scolarisés, la région et surtout l'agglomération ont été incroyables.

"Dix enfants ukrainiens ont intégré les phases finales du championnat la semaine dernière, et ils ont des sourires à décrocher la lune."

Le drame existe toujours, mais pouvoir se poser, avoir des gens qui vous sourient, qui vous accueillent, et voir son gamin faire ce qu'il aime le plus dans la vie, c'est un beau projet.

Ce modèle se développe d’ailleurs dans d’autres villes en France…
On a montré l'exemple avec Cergy, et ça a marché. J'ai ensuite parlé à toute la famille du hockey, pour dire : on a un modèle, il est fixe, les logements doivent être pérennes, les gens doivent être pris en charge (pour la nourriture, la scolarité, l'accompagnement psychologique). Si vous voulez accueillir des familles, voici le cahier des charges. La Haute-Savoie s'est manifestée via le maire de Chamonix, Eric Fournier, et un des actionnaires du club professionnel, Christophe Ville, qui se sont jetés corps et âme dans le projet.
Je suis très fier que toute la famille du hockey français se mobilise. Le club de Courchevel s'est manifesté, on est en train de finaliser la venue d’un troisième groupe, qui devrait arriver dans les jours qui viennent.

Joueurs français et ukrainiens à l'entraînement, le 7 avril 2022 à Cergy. (FRANCEINFO: SPORT / Simon Bardet)

Souhaiteriez-vous que d’autres fédérations vous imitent ?
Si le ministère, le CNOSF, et d'autres fédérations pouvaient faire la même chose et se servir du sport comme fil rouge dans l'accueil de jeunes réfugiés, ce serait très vertueux. J'ai écrit à madame la ministre (Roxana Maracineanu), qui, du fait des élections présidentielles, n'a sûrement pas beaucoup de temps à consacrer à ça. On a besoin d'aide, de soutien. La famille du sport olympique français, à travers le CNOSF et les fédérations très fortes en Ukraine comme le basket, le handball, le football, pourrait se manifester. Le modèle existe, il faut juste appeler leurs homologues ukrainiens pour mettre en place la venue des jeunes. Il y a beaucoup de bien-pensants, mais le "Yakafokon" me fatigue. Il faut agir.

"Si on peut accueillir 3000 personnes au lieu de 300, et leur redonner le sourire et l'espoir, allons-y !"

Pierre-Yves Gerbeau

à franceinfo: sport

Au lieu de parler ou de donner, avec le sport, on a l'occasion de faire. Et ainsi permettre à des jeunes de ne pas être "juste" hors de danger, mais en plus de pratiquer leur sport. C'est très fort. Aujourd’hui, certaines personnes comme moi sont frustrées car le sport n'a plus la place qu'il mérite dans la société française. Les Jeux 2024 arrivent, et on n'a qu'une ministre déléguée. En accueillant ces jeunes et en pratiquant l’inclusion par le sport, on le replace au cœur de la société française.

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