Football : déjà le début de la fin du mirage saoudien pour les joueurs venus d'Europe ?
Les premiers signes de désenchantement se font sentir en Arabie saoudite. Une demi-saison après sa signature à Al-Ettifaq, le milieu anglais Jordan Henderson a quitté le royaume pour s'engager à l'Ajax Amsterdam, jeudi 18 janvier. En rejoignant le club néerlandais, il a d'ailleurs confirmé avoir passé "six derniers mois difficiles", sans toutefois critiquer son ancienne équipe. De son côté, Karim Benzema a démenti sur la chaîne L'Équipe vouloir l'imiter, ce qui n'empêche pas le malaise de rester palpable à Al-Ittihad, où le joueur est critiqué et s'entraîne à l'écart.
Mais les critiques qui ont jeté le plus de discrédit sur la Saudi Pro League dernièrement sont venus d’Aymeric Laporte, le 20 janvier. Dans une interview au journal espagnol AS, qu’il a depuis démentie, on peut lire à propos de l'environnement autour des clubs locaux : "Beaucoup de joueurs ne sont pas satisfaits", "ils prennent tout à la légère", "ils s'occupent de nous, mais pas assez à mon goût". De quoi largement minimiser les récentes déclarations de Cristiano Ronaldo, qui avait estimé que son championnat d'adoption était "plus compétitif que la Ligue 1", et s’interroger sur la concrétisation de l’ambition saoudienne de rivaliser avec les meilleures équipes d’Europe.
"En Europe, on vous paie un bon salaire, mais on prend mieux soin de vous".
Aymeric Laporte, joueur d'Al-Nassrà AS
En décembre, Michael Emenalo, le directeur du football de la Saudi Pro League, draguait ouvertement Lionel Messi sur Sky Sports. Signe de la volonté de l’Arabie saoudite de poursuivre ses investissements massifs entrepris dans le football, d'autant qu’elle est en pole position pour organiser la Coupe du monde 2034.
Une adaptation plus compliquée que prévu
Mais, au moment où le mercato hivernal vient de tirer le rideau, le constat est clair. "L'Arabie saoudite est beaucoup moins active. Le mercato d'hiver est toujours plus calme, mais c'est vrai qu'on n'est pas dans l'effervescence de l'été dernier. On est d'ailleurs plus sur un mouvement de joueurs qui sont là-bas et qui souhaitent revenir, plutôt de joueurs qui souhaitent y aller", explique l'agente de joueurs Jennifer Mendelewitsch. À la mi-saison, seulement deux joueurs ont quitté l'Europe pour rallier la Saudi Pro League. En l’occurrence le défenseur brésilien de l’OM Renan Lodi (25 ans, qui compense numériquement l’absence longue durée de Neymar à Al-Hilal) et le Croate Ivan Rakitic (35 ans, venu pallier le départ d'Ever Banega d'Al-Shabab pour l'Argentine).
Parmi les critiques formulées dans l'entretien d’Aymeric Laporte sont pointées "un manque de considération", des exigences loin des standards européens et une qualité de vie insatisfaisante. Correspondante permanente en Arabie saoudite de 2005 à 2017, la journaliste Clarence Rodriguez se souvient, elle, d’un pays "austère" pour des personnes habituées à la vie en Europe, où la chaleur est pesante et les habitants sont "méfiants". "J'y ai vécu douze ans et on ne s'y habitue pas réellement", se remémore-t-elle.
"C'est un choc des cultures si tu n’es pas préparé. Les Occidentaux vivent dans des compounds [des résidences à l’écart de la ville] qui sont des prisons dorées pour les expatriés. Tu as ta grande maison, ta piscine, mais tu vis en vase clos et tu rencontres toujours les mêmes personnes", explique la journaliste, qui a travaillé pour franceinfo et Radio France. Pour elle, la vie des footballeurs y est "luxueuse mais limitée". Au-delà de quelques excursions shopping dans les centres commerciaux climatisés ou en 4x4 dans le désert, les activités sont vite restreintes.
Les étrangers ne sont pas tous déçus
L'Arabie saoudite luxuriante vendue par les publications sur les réseaux sociaux est "fake" assure Clarence Rodriguez. "Tout ce qui a été mis en place récemment, c'est pour préparer le pays à l'après-pétrole. Tout est axé sur la volonté de donner l'image d'une Arabie qui a changé du tout au tout. Mais ce que l'on considère comme des grandes réformes n'en sont pas. On jette toujours ceux qui ne sont pas d'accord avec [le prince héritier] Mohammed Ben Salmane en prison", insiste-t-elle. Un cadre peu propice à l'épanouissement sur le papier.
"Dans certains cas, ce sont plus les familles qui ont du mal que les joueurs eux-mêmes."
Jennifer Mendelewitsch, agente de joueursà franceinfo: sport
La conseillère n'encourage pas les "jeunes joueurs" ou ceux "dans le pic de leur carrière" à tenter l’aventure en Saudi Pro League. Traditionnellement, la première division saoudienne n’est pas un championnat où les étrangers s’attardent. Sur les 14 Français ayant posé leurs valises dans le royaume, un seul y a foulé ses pelouses pendant au moins deux saisons complètes : Bafétimbi Gomis (106 matchs entre 2018 et 2022).
Mais le ressenti n’est pas le même pour tous les joueurs évoluant sur place. L'ex-Dijonnais Julio Tavarès joue en Saudi Pro League depuis trois ans et demi. "Il est très content là-bas. La vie est plutôt agréable", assure son agent, Yvan Le Mée. Le milieu Alassane N’Diaye, dans l'effectif d'Ajaccio en Ligue 1 la saison passée, garde quant à lui un très bon souvenir de son passage éclair du côté d'Al-Taawoun en 2017. "Cela fait plusieurs années que j'essaie de retrouver des contacts pour retourner là-bas, mais ce n'est pas facile", confie celui qui est sans club depuis l'été dernier.
Réponse l'été prochain
Six ans avant que le Fonds d’investissement public (PIF) ne prenne 75 % des parts des quatre principaux clubs (Al-Ahli, Al-Ittihad, Al-Hilal et Al-Nassr) et que le foot saoudien ne s'inscrive dans son programme d’investissements intensifs Vision 2030, N’Diaye a apprécié la présence de "quatre à cinq kinés" au club, le matériel à disposition pour la récupération et la qualité des terrains les jours de match. "En termes de suivi, c'était même plus poussé que ce à quoi j'étais habitué", confie le joueur de 32 ans, habitué aux joutes de la Ligue 2 (179 matchs au compteur).
Reste qu'il existe un décalage entre les attentes de la majorité des footballeurs et celles des têtes d'affiches attirées par les Saoudiens ces derniers mois. Or, la différence pour ces profils, rompus aux exigences de la Ligue des champions et potentiellement déçus, est qu'ils conservent une forte côte importante. "Avoir joué un an en Arabie saoudite n'impactera pas les propositions qu'ils pourront avoir. Ceux qui voudront revenir trouveront des clubs sans aucun souci", assure Jennifer Mendelewitsch. Ainsi, pour l'agente, "on va observer un plus grand nombre de joueurs qui reviennent dès l'été prochain". Ce serait alors un camouflet pour la Saudi Pro League. D'autant plus que la possibilité d’augmenter les quotas de joueurs extra-communautaires de huit à dix par club y est toujours régulièrement évoquée.
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