: Reportage Ligue 1 : à Bordeaux, entre indifférence et déception, les Girondins ne font plus recette
Avant-dernier de Ligue 1, le club bordelais irrite ses propres supporters et dispute à Nantes, dimanche, une rencontre capitale pour sa survie dans l'élite.
Dix-neuvièmes de Ligue 1, avec une seule victoire lors de leurs onze derniers matchs, les Girondins de Bordeaux coulent vers la Ligue 2, à l'heure de se rendre à Nantes, dimanche 24 avril, pour le compte de la 34e journée de championnat. Dans la ville de Bordeaux, l'abattement et la résignation se mélangent face au délitement d'un des grands noms du football français.
"Ah, les Girondins jouent ce soir ?", s'étonne une serveuse d'un bar du centre-ville. L'établissement proche de la rue Sainte-Catherine, pas avare en retransmissions sportives, indique sur sa devanture, à la craie colorée, la diffusion de deux rencontres de Ligue 1, mercredi 20 avril. Mais pas celle des Girondins, à l'importance pourtant capitale pour la survie du club dans l'élite, contre Saint-Étienne (2-2). L'anecdote prête à sourire, mais elle en dit long sur l'indifférence suscitée par le sextuple champion de France au sein de ses propres murs, même s'ils étaient 38 000 dans le stade pour ce match.
Une balade dans les artères piétonnes de la capitale aquitaine plus tard, le constat est saisissant. Dans la ville, les Girondins sont quasi-absents. Comme si le slogan "Tous unis", affiché spécialement dans les tramways avant le match contre les Verts, n'était qu'un voeu pieux. Il fallait vraiment avoir le coup d'œil pour discerner les quelques irréductibles arborant des maillots marines et blancs.
Un nouveau stade loin de faire l'unanimité
À la décharge des supporters girondins, la programmation du match, un mercredi à 19 heures, n'était pas idéale. Surtout, le club joue depuis 2015 au Matmut Atlantique, enceinte neuve mais excentrée. "Le stade Chaban-Delmas (ex-Parc Lescure) était très apprécié des Bordelais et facile d'accès, pointe Nicolas Hourcade, sociologue spécialisé sur les supporters et originaire de la région. Autour du nouveau stade, c'est un peu un no man's land."
Pour s’y rendre depuis le centre-ville, armez-vous de patience. Comptez une bonne demi-heure, dans une ligne C du tramway “gavée bondée !”, comme on peut l'entendre de la bouche de supporters hauts comme trois cannelés. L’alternative automobile n’est pas franchement meilleure, sur une Rocade constamment saturée. “Le changement de stade, ça a été le début de la fin pour moi”, avoue Jérémy Berrié. Ce supporter de 31 ans, installé à Limoges, n’hésitait pas, à la belle époque, à parcourir 500 kilomètres aller-retour. “J’y retourne quelques fois, mais avec tellement moins d’engouement et de baume au coeur”, soupire-t-il, se décrivant comme “résigné”.
Ce fatalisme caractérise bon nombre de suiveurs. “Les gens continuent de parler des Girondins. Mais maintenant, c’est pour se plaindre, avance Nicolas Hourcade. Ils sont désespérés, déçus, lassés…” Depuis le titre de 2009, Bordeaux n’a remporté qu’une Coupe de France, en 2013. Pis, les Girondins sont absents de la scène européenne depuis quatre ans. Cette saison, le club compte la pire défense d'Europe (79 buts encaissés) et n'a gagné que 5 de ses 33 matchs.
Quatre propriétaires différents depuis 2018
Face à ce marasme, certains irréductibles sont sur le point de lâcher l'affaire. "J'ai été patient, mais contre Lyon, j'ai coupé après le quatrième but", se lamente Joris. L'exaspération est forte, d'autant que l'homme de 25 ans l'avoue dans un témoignage touchant : "Supporter le club [l]'a aidé à [s]e remettre dans le droit chemin" après avoir subi du harcèlement scolaire. "Ça m'a fait encore plus mal de le voir dans cette position", soupire le membre des "Marines et Blancs Île de France", venu de la région parisienne pour encourager ses joueurs contre Saint-Étienne.
Depuis 2018, les Girondins ont changé trois fois d’actionnaire. L’avant-dernier, le fond d’investissement américain King Street (2019-2021), a changé le logo pour y faire figurer le nom "Bordeaux Girondins". “Ça a été l’apothéose”, ironise Christophe, 46 ans, abonné et dont la grand-mère “travaillait pour Giresse”. ”On a tellement voulu y croire, mais ils nous ont tous endormis”, se désole-t-il. Même d'anciens joueurs du club, comme Lillian Laslandes, qui a inscrit 77 buts sous ce maillot, voient l'horizon se boucher : "Les gens vont au stade en espérant ne pas descendre, mais il faut penser à la Ligue 2."
"On a perdu une identité, c’est le mot famille. Ces valeurs n’avaient jamais bougé, de Giresse à Gourcuff. Aujourd’hui, les bases ne sont plus là. Les Américains ont voulu tout changer, mais à Bordeaux, ce n’est pas possible !"
Lilian Laslandes, ancien attaquant des Girondinsà franceinfo: sport
Bordeaux a rarement aussi bien porté son surnom de “Belle endormie”. En dehors d’une vingtaine de milliers de personnes mobilisées contre vents et marées, les Girondins ne font plus recette. "Je me prends beaucoup de moqueries. On me demande souvent : 'mais tu n'as pas autre chose à faire que de les supporter ?'", s'attriste Jules, supporter âgé de 19 ans.
Crépusculaire scapulaire
"Pour les plus jeunes, supporter les Girondins dans l'agglomération n'est plus une évidence, comme ça l'était dans les années 80-90", relève Nicolas Hourcade. Autre génération, mais même amertume pour Christophe : "Dans les entreprises, on est une attraction. On passe pour des clowns."
Attablé dans une brasserie du quartier de La Bastide, Jules a publié sur Twitter une lettre adressée à l'effectif après la déroute à Lyon (6-1). "J'essaie de convaincre mes potes, mais ça ne marche pas", grince le jeune homme qui n'a jamais connu les heures de gloire du club.
De l'autre côté de la Garonne, à la boutique Espace Foot du cours d'Alsace-et-Lorraine, la tunique au Scapulaire est camouflée parmi celles des plus grandes écuries européennes. "C'est sûr, on vendait plus de maillots quand les résultats étaient meilleurs", admet Catherine Laurent, gérante du magasin. "D'ailleurs, on ne connaît pas forcément les joueurs, sourit son employée. Il y a toujours un moment d'hésitation quand on nous les demande. On n'a pas ça avec le PSG ou le Real !" Et pour cause : huit des onze titulaires contre Saint-Étienne n'étaient pas à Bordeaux l'an passé.
"Beaucoup connaissent les Girondins, mais plus grand monde ne va au stade, poursuit l'étudiant Jules. Je les comprends : si je n'étais pas passionné, j'aurais abandonné depuis longtemps."
Le rugby a le vent en poupe
Ils sont déjà nombreux à se détourner des Girondins. “Aujourd’hui, les gens vont voir le rugby, car il y a plus d’ambiance et l’esprit famille y est resté le même. Le foot est passé au second plan à Bordeaux”, s’attriste Lilian Laslandes, champion de France en 1999 avec le club. “Globalement, je suis frappé par le nombre de personnes qui vont moins aux Girondins et plus à l’UBB”, abonde le sociologue Nicolas Hourcade.
L’Union Bordeaux-Bègles, confortablement installée dans les premières places du Top 14, se targue d’avoir le “meilleur public d’Europe” avec plus de 25 000 spectateurs en moyenne. L’historique Parc Lescure, rebaptisé stade Chaban-Delmas, utilisé par les footballeurs de 1938 à 2015, fait désormais le bonheur des rugbymen. L'UBB joue sur la fibre girondine et délocalise régulièrement des entraînements aux quatre coins du département.
Tout le contraire de Girondins. Le nouveau président Gérard Lopez tente bien de jouer la carte locale, en mettant des bus gratuits à disposition des supporters les jours de match. Il est aussi prévu qu'une rame de tramway de la métropole affiche les couleurs du club. Mais d'un autre côté, son club "ouvre rarement les entraînements au public", pointe Laslandes.
Ns sommes très inquiets d’être partenaires d’un club dont le « propriétaire - Président » est absent dans les gds moments, notamment lors du match d’hier soir #FCGBASSE. Nous tenons tous aux #Girondins @gerard_lopez_ , pourriez vous diriger et présider le #FCGB comme il se doit ?
— ChâteauDesAnnereaux (@annereaux) April 21, 2022
"On a perdu l'identité des Girondins avec les changements d'actionnaires, déplore Elie Baup, entraîneur des Girondins de 1997 à 2003. On voit moins de jeunes émerger, on perd cette envie de défendre le maillot." Originaire du Médoc, Lilian Laslandes ne dit pas le contraire : "Ça ne se fait plus comme avant, quand on recrutait des jeunes en Aquitaine." Il reste cinq matchs aux Girondins pour remettre le club dans la lumière, et éviter une première relégation sportive depuis 1960.
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