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Ligue 1 : quatre questions que pose la réattribution des droits télé à Amazon

D'après l'économiste Christophe Lepetit, le football français va vivre "un changement radical qui va modifier les habitudes de consommation des fans".

Article rédigé par Andréa La Perna, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Avec Amazon Prime Video, huit des dix affiches de chaque journée de Ligue 1 seraient diffusées en streaming et plus à la télévision. (INDRANIL ADITYA / NURPHOTO)

La Ligue professionnelle de football (LFP) a réattribué, vendredi 11 juin, à Amazon les lots de diffusion de la Ligue 1 abandonnés par Mediapro. La plateforme vidéo du géant du e-commerce diffusera huit des dix affiches de chaque journée de L1 et L2 à partir de la saison prochaine.

Une décision qui n'a pas plu à Canal+, qui a annoncé se désengager de la diffusion du championnat de France après avoir retransmis l'intégralité de la fin de saison. D'après Christophe Lepetit, responsable des études économiques du Centre de Droit et d'Économie du Sport (CDES), cela représente un bouleversement "radical" pour le football français.

Franceinfo sport : Concrètement, que va changer la nouvelle attribution des droits télé de la Ligue 1 ?

Christophe Lepetit : Il va y avoir un changement radical entre la situation qu'on a pu observer entre février et la fin du dernier championnat. Pour suivre cette fin de saison, vous n'aviez qu'à vous abonner à Canal+ qui détenait l'intégralité des matchs de la Ligue 1. Désormais, si vous comptez suivre le gros des rencontres de la saison prochaine, vous aurez l'obligation de vous abonner à Prime Video, le service vidéo d'Amazon, qui a acquis ce vendredi la diffusion de huit rencontres sur dix de Ligue 1. Le changement est complet, y compris d'un point de vue technique car, à ce jour, Amazon Prime Vidéo est une offre accessible sur Internet, en streaming. C'est un changement radical qui va modifier les habitudes de consommation des fans de foot.

Lors du dernier appel d’offres, la LFP avait déjà tranché en faveur d’un nouvel acteur, Mediapro, qui s’est retiré avant même la fin de sa première saison à cause de difficultés économiques. Pourquoi un autre nouvel acteur comme Amazon a de nouveau été privilégié ?

Il y a nouvel acteur et nouvel acteur. Mediapro était un nouvel acteur relativement méconnu sur le marché français qui ne présentait pas une surface financière extrêmement solide. Beaucoup de monde s'était interrogé lorsque la LFP avait choisi ce diffuseur en 2018. Mais Amazon présente un profil totalement différent. C'est un géant du e-commerce qui dispose d'une surface financière extrêmement conséquente. Il y a assez peu de risques. Amazon n'aura aucune difficulté à s'acquitter d'une facture de 250 millions d'euros par an lors des trois prochaines saisons.

En revanche, le choix lui-même d'avoir choisi Amazon plutôt que le ticket alliant Canal+ et BeIN Sport se fonde très probablement sur des questions financières. La LFP s'est vu renforcée dans le fait que le lot 3 de l'appel d'offres de 2018, acquis par BeIN Sport, restait acquis dans les conditions de 2018 à hauteur de 332 millions d'euros. Aujourd'hui, dans les lots remis sur le marché, Amazon a dû se montrer mieux disant que les autres pour récupérer huit matchs de Ligue 1 et huit matchs de Ligue 2. On le sait, il y a un véritable enjeu de maximisation des droits télé de la Ligue 1 puisque les clubs de L1 et de L2 avaient tablé sur un montant de 1,3 milliard d'euros pour le cycle 2020/24. Il fallait amortir au mieux la chute pour éviter de grosses difficultés pour les clubs de football professionnel.

En accordant la plus belle part du gâteau à un nouveau venu comme Amazon, la LFP ne risque-t-elle pas de provoquer une nouvelle crise dans le football français ?

C'est évident que cela va crisper et tendre les relations en particulier entre la LFP et Canal+. On sait qu'ils entretiennent des relations passionnées et passionnelles avec des hauts et des bas, dont des attaques en justice régulières des deux côtés. D'ailleurs, Canal+ a annoncé très vite et de manière cinglante son intention de se retirer des droits de la Ligue 1. Mais la chaîne n'a fait que repasser la patate chaude à BeIN Sport qui est le vrai détenteur du fameux lot 3 de l'appel d'offres de 2018 (diffuseur avec lequel elle avait signé un contrat de sous-licence).

Pour autant, il faut espérer que chacun garde un peu raison parce que les perdants d'aujourd'hui seront peut-être les vainqueurs de demain et que les partenaires d'hier seront peut-être les partenaires de demain. Dans les prochains appels d'offres, Canal+ sera probablement autour de la table. La LFP doit faire attention à ne pas insulter l'avenir et ne pas trop tendre les relations d'affaires. Elles ne font généralement pas bon ménage quand il y a de la rancoeur et de la rancune.

Le retrait de Canal+ risque-t-il de remettre en question l’attribution des droits à Amazon ?

Probablement pas. En tout cas, pas à très court terme. Il faut rappeler une chose. Ce lot 3 a été acquis par BeIN Sport en 2018, pas par Canal+. Désormais, la relation contractuelle est nouée à la fois avec Amazon pour huit des dix rencontres et avec BeIN Sport pour deux de ces dix rencontres. Si Canal+ annonce se désengager de la Ligue 1, la chaîne annonce en sous-jacent son intention de ne pas honorer le contrat qui la lie avec BeIN Sport.

La vraie question est de savoir ce que BeIN Sport va faire de cette situation. Va-t-elle chercher à honorer son contrat avec la LFP ou va-t-elle le dénoncer pour les mêmes motifs que Canal+ ? Aller au conflit ne sera pas forcément très évident. Canal+ a déjà attaqué plusieurs fois la LFP devant le tribunal de commerce de Paris et face à l'Autorité de la concurrence. La chaîne a été déboutée à chaque fois et la LFP a été confortée dans sa position.

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