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Foot : mais comment les Pays-Bas sont-ils tombés si bas ?

L'adversaire de l'équipe de France dans les poules de qualification du Mondial 2018 a un nom ronflant, mais une équipe qui s'est endormie sur ses lauriers.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Un supporter néerlandais lors du match Portugal-Pays-Bas de l'Euro 2012, à Kharkiv, en Ukraine. (COLORSPORT/SIPA)

"Pays-Bas" et "football" sont des mots qui vont bien ensemble. Aussitôt, vous pensez à l'élégant Johan Cruyff, au football total inventé sur les polders, la coupe afro de Ruud Gullit, les lunettes hypnotisantes d'Edgar Davids, le but de Dennis Bergkamp contre l'Argentine lors du Mondial 98, probablement le plus beau jamais marqué, voire la tête plongeante façon "saumon dans un torrent" de Robin van Persie au premier tour du Mondial 2014, lors d'une victoire écrasante contre l'Espagne. Epoque révolue. Vous ne verrez rien de tout ça au Stade de France, où les Bleus défient les Oranje, jeudi 31 août au soir.

La chute dure depuis six ans

Il y a six ans, les Pays-Bas devenaient n°1 au classement FIFA. Il y a trois ans, ils frôlaient la finale de la Coupe du monde, à quelques tirs au but près. La suite ressemble à un long chemin de croix : les Bataves ont échoué à se qualifier pour l'Euro 2016, qui offrait une place à 24 équipes, sur les 49 que compte l'UEFA. Les supporters néerlandais, toujours nombreux à se déplacer sur les grandes compétitions, ne verront pas les stades français. "Vous faites quoi cet été ? Peut-être que vous devriez emporter quand même une télé au camping", a grommelé, désabusé, le commentateur vedette de la télé hollandaise juste après l'élimination de l'équipe néerlandaise, défaite 3-0 face à la Turquie, le 6 septembre 2015.

La déception de l'attaquant néerlandais Robin van Persie lors de la défaite de sa sélection contre la Turquie (0-3) à Konya, le 6 septembre 2015. (EVRIM AYDIN / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les racines du mal sont multiples. La première d'entre elles tient du fait que les Oranje se sont vus plus beaux qu'ils n'étaient vraiment. Quand il arrive en poste en 2012, Louis van Gaal décide d'abandonner le sacro-saint 4-3-3 institué par Sa Sainteté Johan Cruyff depuis plus de quarante ans, pour un 5-3-2 plus défensif qui permet de camoufler les lacunes de l'équipe.

Les quelques stars néerlandaises, l'ailier Arjen Robben, le meneur de jeu Wesley Sneijder et l'attaquant Robin van Persie, les seuls joueurs de classe mondiale de l'équipe, font illusion aux avant-postes. Résultat : une demi-finale inespérée à la coupe du Monde 2014. Van Gaal attend un signe de la fédération pour continuer. Ne voyant rien venir, il s'engage à Manchester United. "La priorité de la fédération néerlandaise n'est pas le football", grogne-t-il en claquant la porte. 

"Nous sommes persuadés de tout savoir"

Le nouveau sélectionneur, arrivé après le Mondial, n'a de nouveau que le nom. Guus Hiddink, alors quasi-septuagénaire, qui a déjà occupé ce poste quinze ans plus tôt. Il décide de revenir au jeu flamboyant made in Cruyff, peu importe qu'il n'ait pas les joueurs pour le mettre en musique. Pour son premier match face à l'Italie, son équipe encaisse un but et est réduite à dix après 10 minutes de jeu. "Un vieux monsieur, dans tous les sens du terme", balance Frank de Boer, ex-légende des terrains reconverti en coach. Voetbal International raconte qu'Hiddink a séché une réunion importante avec son staff... qui a fini par le localiser dans sa maison de vacances dans le sud de la France. Une autre fois, lors d'une mise au vert à l'hôtel, il demande à son staff quel est le programme du jour. "Euuuhhh, vous êtes censé prononcer la causerie dans 15 minutes..."

Guus Hiddink, l'ancien sélectionneur des Pays-Bas, photographié ici en novembre 2014. (KOEN VAN WEEL / ANP MAG / AFP)

L'expérience Hiddink se solde par un échec. Son successeur, Danny Blind, est un ex-grand défenseur devenu un piètre entraîneur, qui n'affiche sur son CV de coach qu'une saison (ratée) avec l'Ajax. Re-échec. "Aux Pays-Bas, nous sommes persuadés de tout savoir. Peut-être que ce n'est pas vrai", écrit Ruud Gullit dans son livre How to Watch Football (et ça, ce n'est pas un titre arrogant, peut-être ?).

Le football total fait certes encore rêver, mais tous les pays l'ont copié depuis belle lurette. "Le football total ne s'est jamais aussi bien porté, écrit le journaliste néerlandais Simon Kuper dans le magazine turc Socrates. Quel dommage que ce soit l'Allemagne qui le pratique." Les Pays-Bas se sont endormis sur leurs lauriers, insiste-t-il, citant l'entraîneur Albert Capellas, passé par le Barça et par le championnat néerlandais : "Les Pays-Bas et l'Espagne pensent leur stratégie offensive de la même façon. Mais l'Espagne a beaucoup plus travaillé le volet défensif."

Les champions de demain... pas avant 2022

Qu'à cela ne tienne. Dans un pays où l'on aime intellectualiser le football, la fédération s'est lancée dans un audit au programme ambitieux, "Winnaars van morgen" ("Les champions de demain" en VF). On consulte à tour de bras (Arsène Wenger, Arrigo Sacchi...) et on accouche d'un épais rapport de 180 pages où le principal manque relevé est l'absence de "mental de vainqueur" chez les jeunes pousses. "Le résultat de cet audit, on le verra peut-être en 2022, 2024 ou 2026, se défend le dirigeant de la fédération Bert van Oostveen au New York Times. On ne va pas créer le nouveau Robin van Persie en cinq mois."

Le milieu de terrain néerlandais Wesley Sneijder se jette dans les bras de son coéquipier Arjen Robben lors d'un match Pays-Bas-Luxembourg, le 9 juin 2017. (JERRY LAMPEN / AFP)

Encore aujourd'hui, les vedettes de la sélection s'appellent Sneijder, Robben et Van Persie, tous nés en 1983-84. Les jeunes pousses, elles, sont vraiment très jeunes. La génération intermédiaire s'est perdue en route, à l'image de Royston Drenthe, joueur star du Mondial des moins de 21 ans en 2007, arraché à prix d'or par le Real Madrid à l'époque et qui, aux dernières nouvelles, a stoppé sa carrière avant ses 30 ans après l'avoir consciencieusement sabotée. Les jeunes pousses partent toujours aussi jeunes d'un championnat exsangue. Désormais, elles ne font plus leurs valises pour les top club européens, mais plutôt vers les équipes de second choix (Spartak Moscou, Newcastle...) avant souvent de revenir une fois l'échec entériné, comme l'espoir Siem de Jong à l'Ajax Amsterdam.

Dick Advocaat, l'actuel sélectionneur, revenu pour la troisième fois après une pige en 1994 et une autre en 2002, a prévenu : "On joue pour faire des résultats. Marquer des points, c'est ce qu'il y a de plus important." La poésie attendra, on a bien compris.

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