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Coupe du monde : au-delà du foot, quel bilan pour le Brésil et les Brésiliens ?

Un Mondial sans accroc majeur mais une défaite traumatisante, des frondes sociales mises en sommeil mais pas résolues... Francetvinfo a interrogé un spécialiste du Brésil à la veille de la clôture de la compétition.

Article rédigé par Vincent Daniel - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Mosaïque de supporters brésiliens après la défaite de leur équipe face à l'Allemagne en demi-finale, le 8 juillet 2014, à Belo Horizonte (Brésil).  (AFP)

Pour qualifier la défaite de la Seleçao, écrasée par l'Allemagne (7-1) en demi-finale du Mondial, mardi 8 juillet, à Belo Horizonte (Brésil), la presse locale n'a pas lésiné : "massacre""humiliation historique""la plus grande honte de l'histoire"... Pour autant, le Brésil doit-il rougir de la Coupe du monde qu'il accueille jusqu'à dimanche 13 juillet ? Ce final catastrophique pour les Brésiliens va-t-il raviver les tensions sociales survenues auparavant ? Au-delà de la claque sportive, quel bilan pour les Brésiliens ?

Francetv info a interrogé Hervé Théry, géographe, spécialiste du Brésil, directeur de recherche au CNRS et professeur invité à l'université de Sao Paulo. Il est notamment l'auteur de Le Brésil, pays émergé (Ed. Armand Colin, 2014).

Francetv info : Dans quel état d'esprit se trouvent les Brésiliens après leur violente élimination en demi-finale ?

Hervé Théry : Les gens se réfèrent à la catastrophe, au déluge, au deuil, au massacre... C'est très exagéré, mais le Brésil est le pays de la démesure et celui du foot, donc c'est assez normal. On désigne cela par le "complexe du corniaud", un sentiment d'infériorité par rapport au reste du monde dans lequel se placent les Brésiliens eux-mêmes. Le tout dans l'excès. On passe ainsi de l'exaltation ("On est les meilleurs au monde, on va gagner sans difficultés") au sentiment violent ("On est nuls, on a toujours été nuls, c'est la pire défaite de l'histoire"). C'est l'orgueil qui se retourne, on passe de haut en bas. C'est un phénomène symptomatique des pays qui ont été dominés. Ils sont sortis de cette domination, mais il ne faut pas grand-chose pour qu'ils perdent leur estime de soi. 

Tout le monde ne parle évidemment que de la défaite, les journaux, la télévision, les gens. Quand on rencontre quelqu'un, on échange d'abord quelques mots là-dessus. C'est vraiment central. La phase suivante, au Brésil, c'est d'en rire. Une façon d'évacuer la tension. On blague, on choisit l'autodérision, l'humour noir... Par exemple, on justifie la défaite avec l'absence de Neymar, la star qui ne pouvait pas jouer en raison de sa blessure. Les Brésiliens disent que l'équipe nationale n'a pas joué non plus par solidarité avec Neymar.

Et quel est l'impact du score écrasant sur l'état d'esprit actuel des Brésiliens ? 

Avant ce Mondial, tout le monde reparlait comme d'un traumatisme de 1950, l'autre Coupe du monde que le Brésil a organisée et qu'il a perdue lors du dernier match (2-1). Donc là, avec 7-1, c'est tout de même d'un niveau inégalé. Pour les Brésiliens, la Coupe du monde s'est terminée avec les demi-finales. Et à partir du moment où c'est une catastrophe, autant qu'elle soit complète. Donc, le Brésil perd sur un score humiliant, et il perd chez lui. 

Au Brésil, le foot, la musique, le cinéma font partie de l'image du pays. Et là, l'image en prend un sacré coup. Le pays devient ridicule. Mais, les Brésiliens, dans leur absence de mesure, ne remarquent pas que leur pays finit tout de même dans les quatre premiers mondiaux, alors que l'Espagne, l'Italie, la France ont été éliminées avant. Il faut savoir raison garder. Mais là, nous ne sommes plus dans le rationnel, nous sommes dans l'émotionnel.

Après cette déroute au Mondial, la colère sociale qui s'était emparée du Brésil avant la compétition va-t-elle reprendre ?

Une fois la douche froide passée, c'est possible. Les Brésiliens risquent de se dire : "Tout ça pour ça !" Avoir dépensé autant d'argent, en s'offrant des stades superbes, pour prendre une déculottée à domicile, cela paraît encore plus absurde.

Avant le Mondial, on s'attendait d'ailleurs à des manifestations durant la compétition. Mais finalement, elles n'ont pas eu lieu... 

Cela a continué un petit peu pendant la première phase, mais cela s'est calmé après. L'opinion a changé avec l'entrée dans la Coupe. La mécanique de la compétition a fonctionné. 

C'est la quatrième Coupe du monde que je vis ici, la première organisée par le Brésil. C'était différent cette fois : l'engouement a débuté très tardivement. Jusqu'aux derniers jours qui ont précédé le coup d'envoi, il y avait beaucoup de doutes. Et l'ambiance s'est retournée en 24 heures, au moment où le Mondial a démarré. Alors, il y a eu énormément de passion, les gens allaient travailler avec le maillot de la Seleçao, on voyait des drapeaux à toutes les fenêtres. Les magasins, les banques, l'université où je travaille, renvoyaient les gens chez eux pour qu'ils puissent suivre les matchs. 

Jusqu'à l'élimination, la magie a fonctionné. Donc le bilan est mitigé. Tout se passait globalement bien jusqu'à la défaite humiliante. Selon que l'on soit dans la raison ou dans l'émotion, on ne tirera pas le même bilan. 

Avant le Mondial, les manifestants dénonçaient le coût de cette compétition, mais réclamaient aussi de meilleurs hôpitaux, transports publics et écoles... 

Les gens pointaient le coût de ce Mondial [11 milliards de dollars] à raison, à mes yeux. Mais la présidente avait promis que la Coupe apporterait un héritage important en matière d'équipements de transports, d'équipements sociaux... Et c'est ce qui a été le moins réalisé. Certains chantiers n'ont pas été finis, d'autres ont été abandonnés. C'est notamment le cas du tramway de Brasilia. Donc, ce pour quoi on a vendu la Coupe aux Brésiliens a été partiellement fait. Seules les infrastructures sportives surveillées par la Fifa et les aéroports ont été réalisés à temps, soit ce qui servait directement au Mondial. Mais les Brésiliens ont l'habitude des promesses non tenues.

Chantiers inachevés, conditions de sécurité mauvaises... Avant la compétition, certains doutaient de la capacité du Brésil à organiser un Mondial 'sans faute'. Pour autant, il n'y a pas eu d'incidents majeurs. 

Malgré les réserves du début, techniquement, cela s'est bien passé. Les supporters sont venus du monde entier, les hôtels, les bars et les stades ont bien fonctionné. Contrairement aux prévisions pessimistes, tout a bien fonctionné. Les Brésiliens font toujours tout à la dernière minute, mais ils retombent sur leurs pieds. C'est ainsi que marche la société. Tout le monde met de la bonne volonté avec les gens qui s'y prennent tard. 

Le Brésil a été mis en lumière. Cela a montré tout de même que le pays a changé, qu'il est moderne, que son économie est puissante... Mais cela a aussi pointé ses défauts via les médias étrangers : des côtés encore archaïques, des régions sous-développées, la violence... 

Dans quelle optique le Brésil aborde-t-il les Jeux olympiques qui doivent se tenir à Rio en 2016 ? 

On n'en parle pas du tout. Une des caractéristiques du Brésil, c'est de préparer les choses tardivement. Et même si des chantiers sont déjà lancés, dans la presse, dans les conversations, on n'en dit pas un mot. Les Brésiliens misaient tout sur un seul sport : le foot ; un seul objectif : le titre de champion du monde. C'est possible qu'il y ait une certaine protestation, notamment sur les coûts, après le revers du Mondial. Mais cela sera moins fort, car seule Rio est concerné pour l'accueil des Jeux olympiques. Par ailleurs, dans les disciplines olympiques, le Brésil n'est pas particulièrement bon. L'intérêt sera de fait largement moindre. 

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