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Chez Nike ou Adidas, "il y a de l'argent disponible pour payer correctement les travailleurs"

Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l'étiquette auteur du rapport "Anti-jeu, les sponsors laissent les travailleurs sur la touche", a expliqué, lundi sur franceinfo, que le "choix économique fait par ces grands sponsors est de davantage investir dans le sponsoring et avoir une vitrine considérable".

Article rédigé par franceinfo
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Des basketteurs avec des chaussures des marques Adidas et Nike, le 10 octobre 2005. (MAXPPP)

À trois jours du début de la Coupe du monde de football en Russie, le collectif Éthique sur l'étiquette épingle, lundi 11 juin, les deux principaux équipementiers sportifs, Nike et Adidas, qui habillent à eux deux 22 des 32 équipes engagées, pour un marché de plus de 17 milliards d'euros. Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif auteur du rapport Anti-jeu, les sponsors laissent les travailleurs sur la touche, a estimé, lundi sur franceinfo, que dans ces deux entreprises, "il y a de l'argent disponible pour payer correctement les travailleurs", mais que "ce n'est pas le choix" qu'elles font. "Il y a tous les moyens pour que ces marques permettent un minimum aux travailleurs qui contribuent au premier plan à cette croissance économique de vivre dignement", a-t-elle complété.

franceinfo : Vous dénoncez le contraste entre ces records de sponsoring et la situation des ouvriers de Nike et d'Adidas, notamment en Asie du Sud-Est, qui n'en profitent pas ?

Nayla Ajaltouni : Ils sont très loin d'en profiter. Ce que dénonce le rapport, c'est non seulement les écarts, mais cette surenchère qui fait que cette tendance s'accroît avec des montants de sponsoring qui ont triplé, quintuplé en quelques années. En bout de chaîne, il y a des travailleurs qui non seulement ne gagnent pas de quoi vivre correctement, mais surtout un désengagement de ces grandes marques de la Chine pour se diriger vers le Cambodge ou l'Indonésie. La Chine est devenue trop chère pour ces grandes marques où les salaires commencent à tutoyer un salaire vital, décent. Ce n'est malheureusement pas nouveau. Cette augmentation des salaires, obtenue de haute lutte par les travailleurs a conduit les grandes marques, notamment du sport et du textile en général, à se diriger vers des pays bien moins regardants socialement, comme l'Indonésie, le Viêtnam ou le Cambodge. Dans ces pays, il faudrait quasiment doubler les salaires pour que les travailleurs gagnent de quoi vivre de leur travail.

En aval, ce sont d'énormes contrats de sponsoring, comme Cristiano Ronaldo par exemple. En une semaine, il gagne ce que gagne un travailleur européen sur toute une vie ?

Exactement. On voit bien qu'il y a un choix économique fait par ces grands sponsors : davantage investir dans le sponsoring et avoir une vitrine considérable. Derrière, c'est doper les ventes et renforcer le capital immatériel, donc des actions. Nike est aujourd'hui citée en exemple comme une des entreprises les plus performantes. C'est la 5e plus grande progression du Dow Jones devant Google et Amazon. On voit bien que c'est une question de modèle. Il y a de l'argent disponible pour payer correctement les travailleurs, mais cela n'est pas le choix qu'ont fait Nike et Adidas. Et cela a énormément évolué. À titre d'exemple, le dernier contrat de sponsoring qu'a signé Adidas avec l'équipe d'Allemagne, c'est 65 millions d'euros. C'est une multiplication par 3 depuis le dernier contrat négocié en 2009. C'est considérable !

Pourtant Nike et Adidas ont fait des efforts, vous le reconnaissez dans ce rapport. Ce sont presque de bons élèves aujourd'hui si on compare au reste du secteur ?

Ce sont de meilleurs élèves, mais pour une raison assez malheureusement évidente. Nike c'est le premier scandale dans l'industrie du textile en 1996. Des confrères américains publient un reportage montrant des enfants pakistanais qui cousent pour quelques cents de l'heure des ballons Nike, alors même que Nike est en train d'exploser et d'investir dans ce sponsoring, dans cette image de marque. Donc la pression de la société civile, mais aussi des consommateurs, a conduit Nike et avec elle tout le secteur à commencer à s'intéresser à sa chaîne d'approvisionnement. Désormais on voit que les choix sont ailleurs, il y a tous les moyens pour que ces marques permettent un minimum aux travailleurs qui contribuent au premier plan à cette croissance économique de vivre dignement.

Quels engagements demandez-vous à ces grandes marques ?

D'abord, on souhaite qu'elles puissent réfléchir à cette course démesurée au sponsoring qui ne bénéficie qu'aux actionnaires de ces entreprises. En Indonésie, depuis quelques années, les syndicats, qui sont assez organisés, demandent à Nike et Adidas de s'installer autour de la table pour signer un protocole d'accord sur les salaires. Et puis, on leur demande de changer les méthodes appliquées pour fixer le prix d'un produit. C'est d'abord le prix que l'on souhaite vendre au consommateur, puis les marges que l'on souhaite dégager. Dans la marge, il y a évidemment les bénéfices colossaux et ensuite les coûts de production. Aujourd'hui, c'est 1% du prix d'un maillot qui revient au travailleur. Il faut que l'on puisse partir de coûts de salaires plus élevés, des salaires dignes et construire des politiques d'achat et donc de vente à partir, au moins, de ce minimum pour les travailleurs.

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