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Cyclisme : comment les grandes équipes bâtissent des pépinières pour repérer et former les futurs champions

Le Tour de France s'élance dans deux jours, l'occasion d'en savoir plus sur les équipes de jeunes développées par les plus grandes équipes du plus haut niveau du circuit mondial (World Tour).

Article rédigé par franceinfo: sport - Louis Delvinquière
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le Français Lenny Martinez au côté du manager de la formation Groupama-FDJ, Marc Madiot, lors du stage de présaison à Calpe (Espagne), en février 2022. (NICOLAS GOTZ / EQUIPE CYCLISTE GROUPAMA-FDJ)

"Un avenir, cela se façonne, un avenir, cela se veut." En 2022, le World Tour pourrait faire sienne cette déclaration de... Raymond Barre, ancien Premier ministre français. Depuis plusieurs années, la petite reine prépare ses princes de demain en se professionnalisant dès les rangs cadets. Son moyen ? Les équipes de développement.

La Jumbo-Visma de Primoz Roglic a la sienne, avec notamment dans ses rangs le champion du monde juniors, Per Strand Hagenes. Il en va de même pour Israel-Premier Tech (Israel Cycling Academy), Bahrain-Victorious (Bahrain Cycling Academy), Bora-hansgrohe (Team Auto Eder), EF Education-EasyPost (EF Education-NIPPO Development) mais aussi Astana (Astana Qazaqstan Development).

La formation continentale de la Groupama-FDJ en ordre de marche lors de son stage de préparation, à Calpe (Espagne), en février 2022. (NICOLAS GOTZ / EQUIPE CYCLISTE GROUPAMA-FDJ)

Chez Chambéry cyclisme formation, devenue AG2R Citroën U23 (et U19), les jeunes font leurs gammes du côté des amateurs et des épreuves nationales (en première division). Ils participent aussi à de nombreuses coupes d'Europe juniors, comme le Piccolo Lombardia (Petit Tour de Lombardie). Ils ont d'ailleurs remporté l'épreuve en 2021 avec Paul Lapeira. Ce dernier fait désormais partie de l'effectif professionnel.

"Le fonctionnement est en marge du milieu du cyclisme", affirme Loïc Varnet, le directeur de l'équipe, qui a participé à son lancement en 2001. "On s'est beaucoup inspirés des sports collectifs. Nous avons une quinzaine de jeunes entre 19 et 22 ans qui évoluent à haut niveau. Ce sont des étudiants amateurs, donc ils n'ont pas de revenus." La formation TotalEnergies s'est organisée de manière similaire avec Vendée U, qui évolue aussi en National 1.

"Formatés beaucoup plus jeunes qu'avant"

Les fonctionnements et les statuts divergent selon les formations. "C'est une équipe professionnelle, tous les coureurs sont salariés, ils ont leur bulletin de salaire", explique pour sa part Marc Madiot, manager de la formation Groupama-FDJ, qui a lancé l'équipe continentale Groupama-FDJ en 2019. Toutefois, l'idée d'imiter les centres de formation des sports collectifs revient. Marc Madiot dit ainsi "regarder ce qui se fait dans le foot". Grand admirateur de l'Ajax Amsterdam, il rappelle que "c'est dans la formation" que le club néerlandais "a eu ses meilleures racines".

Chaque équipe a son QG. Ainsi, l'équipe continentale de Groupama-FDJ roule à Besançon (Doubs), avec, parmi les coureurs, la pépite française Romain Grégoire, vice-champion du monde juniors en 2021 et vainqueur de Liège-Bastogne-Liège espoirs ainsi que de la dernière étape du Baby Giro en 2022. "L'idée est de mettre en place la même structure que chez les professionnels et de leur faire prendre de bonnes habitudes. Aujourd'hui, ils sont formatés beaucoup plus jeunes qu'avant, tout va beaucoup plus vite. Et le temps perdu ne se rattrape jamais", pointe Marc Madiot.

"C'est un apprentissage du métier, une garantie de la qualité de la formation. Cela permet à l'équipe professionnelle de s'assurer une marque dans la préparation des coureurs."

Loïc Varnet, directeur de Chambéry cyclisme formation

à franceinfo: sport

"Il y a un lieu de vie commun où les 14 coureurs de l'équipe ont leur appartement. C'est important pour la cohésion", ajoute Boris Zimine. Le directeur sportif est arrivé en début de saison à Sittard, dans le Limbourg (Pays-Bas) au sein de la formation néerlandaise Development Team DSM, en provenance du Club cycliste Etupes (Doubs). "C'est aussi une expérience humaine. On veut voir qui ils sont avant tout, il y a un côté très éducatif : nous voulons une bonne personne avant un bon coureur."

Concilier sport de haut niveau et études

L'avenir s'écrit le postérieur sur la selle, certes, mais aussi sur les bancs de l'école. Au sein d'AG2R, en parallèle de leur apprentissage du monde professionnel et des entraînements, les coureurs suivent tous un cursus scolaire obligatoire. "Tous nos coureurs sont scolarisés et nous avons des conventions avec les écoles, ce sont des étudiants et cyclistes amateurs, explique Loïc Varnet sur ces activités qui se déroulent dans les Bauges, près de Chambéry (Savoie). Il y a un cheminement de deux, trois ans, les coureurs valident leur post-bac et, pour certains, passent chez les professionnels." En 21 ans d'existence, le CCF se targue de 80% de réussite scolaire, avec des études post-bac qui durent en moyenne près de trois ans.

Les coureurs de la formation AG2R Citroën U23 se préparent avant une course. (TEAM AG2R CITROEN U23)

Pour les jeunes de la Groupama-FDJ, si les études constituent un fil rouge, l'accent reste mis sur la course avec un dispositif similaire à celui en place pour une équipe World Tour. Outre la formation scolaire, Marc Madiot précise que ses ouailles "ont aussi des cours sur la nutrition, sur le déroulement des briefings, et aussi des sessions de préparation physique générale".

Le schéma sport-études ne s'avère pas toujours évident à gérer, tant pour les coureurs que pour les managers, avec un calendrier de plus en plus chargé dans les rangs espoirs. Les courses par étapes poussent notamment les jeunes à devoir oublier les cours pendant plusieurs jours d'affilée.

Le programme s'allonge également à cause des passerelles qui se créent entre les équipes principales et celles de développement. "Ils ont une énorme chance de participer aux courses avec la Team DSM, se réjouit Boris Zimine. Côtoyer ces coureurs leur permet d'élever leur niveau." L'équipe néerlandaise a vu son jeune sprinteur Casper van Uden (20 ans) terminer quatrième du Grand Prix de L'Escaut (Belgique), le 4 avril, où figuraient notamment des coureurs confirmés comme Alexander Kristoff (vainqueur de la course), Tim Merlier, ou encore Jasper Philipsen.

Du côté de l'équipe continentale française de Groupama-FDJ, Lenny Martinez (18 ans) s'est illustré avec une 8e place sur la Mercan'Tour Classic, gagnée par Jakob Fuglsang, de 19 ans son aîné. Le jeune Cannois a également terminé 3e du Tour d'Italie U23 en étant à l'avant sur presque toutes les étapes. En revanche, pour la formation AG2R Citroën U23, le statut de stagiaire – souvent utilisé pour le dernier tiers de la saison  est nécessaire pour aller découvrir le peloton World Tour.

Les stages, en début de saison comme en plein milieu, ont été, au fil des années, revus à la hausse. Loïc Varnet confirme cette tendance vers davantage de moyens pour les catégories inférieures : "Aujourd'hui, les juniors ont des stages en hypoxie [une salle simulant l'altitude]. Ce qui se fait dans l'élite a ruisselé jusqu'aux jeunes catégories. Cela ne change pas foncièrement les choses, ça ne rend pas les coureurs meilleurs : ça les rend juste meilleurs plus tôt."

Miser sur l'avenir a un coût

Toute cette organisation a évidemment un prix. La Groupama-FDJ, qui dévoilait un budget de 20 millions en 2021, consacre 1,2 million d'euros par saison à l'équipe de développement. "Aujourd'hui, le vélo est un peu un sport de riches", glisse Marc Madiot, qui fait beaucoup de "sacrifices au niveau du World Tour" pour que son équipe de développement recueille des fruits. Jusqu'à épuisement du filon ? "Il est clair que si je n'arrive pas à faire passer les coureurs dans l'équipe principale, ce sera fortement remis en question", répond-il. Le manager entend "avoir au moins la moitié de l'équipe qui provient de la continentale", lui qui a perdu des talents comme le jeune sprinteur néerlandais Marijn van den Berg, parti chez EF Education-EasyPost cette année.

Le britannique Jake Stewart, passé par l'équipe de développement et désormais élément fort de la Groupama-FDJ, à Besançon (Doubs), au pôle performance de l'équipe, avec un technicien. ((NICOLAS GOTZ / EQUIPE CYCLISTE GROUPAMA-FDJ))

Aujourd'hui, si certains coureurs comme Clément Davy ou Jake Stewart sont dans l'équipe bleu-blanc-rouge, c'est du côté d'AG2R Citroën que cette transition, plus ancienne, est la plus marquante avec notamment Benoît Cosnefroy, Clément Champoussin ou encore Aurélien Paret-Peintre. "Il y a un tiers de l'effectif actuel qui est passé par la formation, se réjouit Loïc Varnet. En tout, il y a 29 coureurs formés à Chambéry qui sont dans six équipes World Tour comme Romain Bardet, Silvan Dillier ou Matteo Jorgenson." 

La Chambéry cyclisme formation a été créée en 2021 et a pris, pour son équipe espoirs, le nom AG2R Citroën U23 Team à l'arrivée du nouveau sponsor en 2020. (AG2R CITROEN U23 TEAM)

Le recrutement se fait aussi à l'étranger dès le plus jeune âge. Cinq pays différents sont représentés chez AG2R Citroën U23, six au sein des jeunes de Groupama-FDJ, sept pour la Development Team DSM. "Nous recevons 120 candidatures spontanées tous les ans avec des jeunes hommes de 24 pays et de quatre continents différents", témoigne Loïc Varnet qui renouvelle son effectif de 15 coureurs avec cinq nouveaux au début de chaque saison. 

"Nous avons nos propres scouts, des observateurs à peu près partout pour nous donner des informations sur les coureurs d'avenir, même si la priorité est donnée aux coureurs régionaux et aux jeunes du club de Chambéry cyclisme compétition."

Loïc Varnet, directeur de Chambéry cyclisme formation

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L'année prochaine, une dizaine de coureurs des formations de développement rejoindront les professionnels. Au sein d'AG2R Citroën, Valentin Retailleau, champion de France espoirs, a signé son contrat, tout comme Paul Penhoët du côté de la Groupama-FDJ ou encore Pavel Bittner et Casper van Uden du côté de la DSM. A en croire les directeurs des formations, les pépinières devraient encore voir éclore plus d'un champion dans les années à venir.

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