Tennis : à moins de deux mois de Roland-Garros, la terre battue se cherche un patron
La terre de Paris est encore loin mais elle n'a jamais paru aussi hostile. Parmi tous ses conquérants potentiels, aucun ne donne aujourd'hui les garanties pour la dompter. Un fait rare dans l'histoire de Roland-Garros où, depuis des années, un ou deux joueurs récoltent généralement l'ensemble des pronostics. "C'est très difficile de tirer des enseignements sur terre battue cette saison", confirme notre consultant Arnaud Clément.
Certes, le tournoi parisien ne débute que le 28 mai prochain et, d'ici-là, un ogre de l'ocre peut toujours s'affirmer. Mais, pour l'instant, ce conquistador ne s'est pas fait connaître, et les habituels ténors sont étonnamment muets. Dimanche 16 avril, Andrey Rublev a triomphé sur le premier Masters 1000 de la saison sur terre, son premier en carrière pour le Russe, qui n'a pas encore l'étoffe d'un patron. "Il y a pas mal de choses habituelles qui nous manquent pour certains", renchérit Arnaud Clément. Revue des faiblesses en présence.
Nadal, l'iliaque et l'odyssée
Rafael Nadal, roi sans terre ? L'Espagnol, qui n'a plus disputé de match depuis sa blessure au psoas iliaque de la jambe gauche lors de l'Open d'Australie mi-janvier, a entamé une course contre la montre pour défendre son titre, le 14e, à Paris. Son combat ressemble à celui d'un héros antique, valeureux mais usé, qui refuse de capituler contre le temps. Un temps qui s'égrène et qui l'a contraint, encore une fois, à repousser un retour sur terre prévu à Barcelone cette semaine.
A 36 ans, Nadal a suffisamment d'expérience pour écouter les rouages de son corps et il ne veut certainement pas précipiter son retour pour mieux préserver ses chances porte d'Auteuil. Mais à force de reculer, le Majorquin creuse lui-même une distance de plus en plus grande avec son objectif. "C'est un énorme point d'interrogation, assure notre consultant. On attend d'avoir des réponses mais on ne les aura vraiment que lorsqu'il fera son retour sur les courts. Et on ne sait pas à quel moment".
Djokovic n'a plus les coudées franches
Au vu de son début de saison et de l'absence prolongée de Nadal, le numéro 1 mondial semblait avoir une autoroute devant lui jusqu'à Roland-Garros. La voirie du tennis en a décidé autrement. Regard noir et conférence expédiée au pas de charge, Novak Djokovic ne s'est pas attardé après sa défaite en huitième de finale de Monte-Carlo face à Lorenzo Musetti. Arnaud Clément s'en étonne : "Avec son impasse sur la tournée américaine, et donc plus de temps pour se préparer sur terre battue, on l'attendait plus performant".
Mais l'inconsistance de son jeu, tout comme ses premières balles poussées à peine à 170 km/h, ont alerté les observateurs. Et la parution de quelques photos d'un entraînement, juste avant le début du tournoi monégasque, où le Serbe grimace de douleur en se tenant le coude droit, ont mis le feu aux poudres. C'est en effet ce même coude que le "Djoker" avait fait opérer il y a quelques années, et il n'en fallait pas plus pour que la thèse de la rechute ne ressurgisse. Le manchon sur son bras qu'il portait à l'occasion de sa défaite contre le jeune Italien, n'a fait que l'accréditer.
L'alerte Alcaraz
Il n'a pas encore 20 ans mais Carlos Alcaraz a déjà un historique de blessures qui peut inquiéter. Lorsque son corps le laisse en paix, comme à Indian Wells récemment, l'Espagnol est quasi injouable. Mais la machine est fragile. Déjà absent à Melbourne, le prodige a piqué du nez en demi-finale à Miami face à Sinner, trahi par son physique.
Depuis, c'est de l'arthrite post-traumatique à la main et une gêne musculaire à la colonne vertébrale qui l'ont contraint à déclarer forfait pour Monte-Carlo. Si son retour sur terre est programmé à Barcelone, il faudra surveiller de près la mécanique murcienne. Programmée pour régner, celle-ci n'a pas encore été livrée avec toutes les garanties. "C'est vrai qu'on attend toujours, remarque Arnaud Clément. S'il a déjà remporté un titre en Masters 1000 sur cette surface [Madrid l'an passé], il peut encore faiblir physiquement sur un match de Grand Chelem en cinq sets".
Tsitsipas-Medvedev, comme un refus d'obstacle
En équitation, Daniil Medvedev et Stefanos Tsitsipas ressembleraient à des pur-sang taillés pour la victoire mais parfois rétifs. Le Russe a pour lui cette aversion de la surface qu'il n'a jamais vraiment cachée. "Si je pouvais, je jouerais tout le temps sur dur", déclarait-il après sa victoire au Masters 1000 de Miami. Les chiffres lui donnent raison : sur ses 19 titres en carrière, Medvedev en a remporté 18 sur dur, et un sur gazon ! La preuve encore à Monte-Carlo, dépassé par la science du jeune Holger Rune en quart de finale mais aussi usé par son combat contre Alexander Zverev la veille. "Même s'il accepte beaucoup mieux la terre battue qu'avant, s'il est en constante recherche de solutions sur cette surface, ce serait une énorme surprise de le voir gagner", prédit ainsi Clément.
Beaucoup plus à l'aise que lui sur la brique pilée, maîtrisant l'art délicat de la glisse, Stefanos Tsitsipas continue pourtant de s'offrir quelques dérapages incontrôlés, comme cette défaite surprenante contre Taylor Fritz à Monte-Carlo (6-2, 6-4). "Malgré son discours très axé sur la terre battue, où il dit que c'est sa surface préférée, on l'a vu encore très limité", observe Clément. Le talent est là, indéniable, mais le manque de constance du Grec est suffisant pour douter de sa capacité à soulever la Coupe des Mousquetaires dans quelques semaines.
Rune et Sinner, chair fraîche mais tendre ?
Leur demi-finale sur le Rocher a donné un aperçu du futur. Quand Alcaraz est sur le flanc, ces deux-là détiennent les clés de la terre battue pour ces prochaines années. Si le Danois est sorti vainqueur du duel estampillé "next gen" (1-6, 7-5, 7-5) avant de plier en finale, l'Italien démontre depuis plusieurs mois une constance et une adaptabilité qui impressionnent. Suffisamment pour prétendre au trône parisien ?
"Rien n'est impossible" pour Arnaud Clément, même si ce dernier émet quelques réserves : "Un Djokovic ou un Nadal en pleine possession de leurs moyens, sur un Grand Chelem, ça reste les plus forts. Pour ces jeunes qui arrivent, on sait qu'il leur faudra sans doute sortir un ou deux de ces joueurs pour gagner Roland-Garros cette année".
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