Semaine olympique et paralympique : l'EPS est-elle vraiment responsable du dégoût de nombreux Français pour le sport ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
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Longtemps brocardé, l'enseignement de l'EPS a su évoluer, mais inspire toujours des appréhensions aux élèves. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
La discipline scolaire a été repensée en profondeur ces dernières années, mais le niveau des élèves, lui, s'est effondré en quelques décennies.

"Sept ans de cours d'EPS à être choisie en dernier et me sentir comme une grosse merde." "L'EPS ne m'a pas fait aimer le sport, il m'en a dégoûté. Ce fut des années d'angoisse, de stress, de refus de participer". "Je ne dépassais jamais 10. C'était humiliation sur humiliation". Lancez une conversation sur les réseaux sociaux sur le sport à l'école et vous entendrez des dizaines de témoignages de ce genre.

Emmanuel Macron a eu beau mouiller le maillot début janvier, gants de boxe sur l'épaule, pour promouvoir les 30 minutes par jour d'activité sportive, le mal est fait pour des générations qui ne peuvent pas voir une paire de baskets en  peinture. Une enquête de France Stratégies et de l'institut Kantar sur le rapport des Français au sport prouve que l'EPS tient une part prépondérante... dans le dégoût qu'éprouvent nombre d'entre eux pour l'activité physique (et la transpiration qui va avec). Ce qui risque de compliquer la tâche pour faire de notre pays une nation sportive, principal engagement du Comité d'organisation des Jeux (Cojop) en termes d'héritage, une fois la flamme olympique éteinte après Paris 2024.

Pourquoi tant de haine ? Profitons de la semaine olympique et paralympique, du 2 au 6 avril, pour dépoussiérer vos clichés sur les profs d'EPS. Oubliez le sosie de Monsieur Mégot, tortionnaire en chef de la classe du Petit Spirou. Un survêtement élimé laissant dépasser une bedaine proéminente, une attirance évidente pour le transat et des ambitions démesurées pour des élèves moyennement motivés. "C'est l'ancienne génération", sourit Romain Mornet, enseignant d'EPS en Mayenne et athlète de haut niveau, qui tente de se qualifier pour les JO de Paris sur 1 500 m.

Une discipline qui a beaucoup évolué

"Il y a eu un premier tournant dans les années 1980, quand l'EPS a quitté la tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports pour se retrouver rattachée à l'Education nationale, abonde Guillaume Dietsch, auteur du livre Les Jeunes et le sport (éditions De Boeck). On est passé, progressivement, du modèle du prof-entraîneur à celui du prof-enseignant, avec des objectifs purement scolaires. Mais il a fallu des années pour que le changement s'opère pleinement."

Le décalage demeure dans l'esprit des gens, particulièrement des parents d'élèves, d'où la confusion fréquente entre sport et EPS. Or, la matière a été baptisée "éducation physique et sportive" car son but est, selon les textes officiels, de "former un citoyen lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué, dans le souci du vivre-ensemble". Loin, très loin de l'usine à champions rêvée par Maurice Herzog (alors ministre des Sports) et son patron, le général de Gaulle, après le crash de la délégation française aux Jeux de Rome, en 1960 (cinq médailles, aucune en or). Une vision datée, dont les politiques savent s'emparer au moment qu'ils jugent opportun, comme lors de l'épisode du fameux tweet de Jean-Michel Blanquer lors des Jeux de Tokyo, en 2021.

L'ancien ministre de l'Education se gargarisait d'avoir contribué à la pluie de médailles françaises en sports collectifs, via les cours d'EPS. "Ce ne sont pas les deux minuscules heures d'EPS par semaine de mon emploi du temps de collégien qui m'ont insufflé l'envie de jouer au basket", lui avait répondu le basketteur Evan Fournier, lui-même fils de prof de cette discipline.

Les athlètes de haut niveau qui racontent avoir trouvé leur vocation à l'école ne sont pas légion, mais existent quand même. Parmi eux, la rameuse Emma Lunatti (aviron), en course pour se qualifier aux Jeux de Paris, ou encore la perchiste Ninon Chapelle, qui raconte : "J'ai 13 ans, je suis en classe de 4e au collège Jean-Renoir, à Bourges, et une prof d'EPS qui vient d'être mutée dans la région propose aux élèves qui le souhaitent d'essayer la perche. J'essaie. Et là, je ne sais pas trop ce qui se passe, mais j'adore." Pas simplement le fruit du hasard puisque l'enseignante en question, Agnès Liverbardon, a fait partie des meilleures perchistes françaises au début des années 2000. 

Les tours de stade dans le froid, c'est du passé 

Le programme a aussi connu un sacré ravalement de façade : fini les tours de stade, dans le froid polaire d'une piste d'athlétisme lugubre, un matin de janvier. "La discipline s'est beaucoup adaptée aux nouvelles pratiques. On propose du step, de la muscu, du crossfit, du parkour... On est connectés aux pratiques des jeunes", souligne Ghislain Hanula, enseignant pionnier de l'activité ludique dans l'enseignement du sport, dont les méthodes ont fait école au plus haut niveau.

"On propose toujours du demi-fond, mais on trouve des alternatives ludiques comme le biathlon athlétique [épreuve combinée de course à pied et tir au pistolet laser]", illustre Romain Mornet. Il concède quand même que "le cycle d'endurance n'est toujours pas le préféré des élèves". Des parades existent pour supprimer l'aspect compétitif qui effraie de plus en plus : des relais, des courses entre collégiens d'un même niveau ou une évaluation basée sur les performances de l'ado, notamment. "L'idée est qu'il n'y ait plus une seule médaille d'or, mais une médaille d'or pour tout le monde", résume Ghislain Hanula. Un petit côté "école des fans" qui contraste avec la notation au bac, où jusqu'à récemment, 14 des 20 points du barème concernaient la performance brute de l'élève. 

Moins vite, moins haut, moins forts

Paradoxalement, si l'EPS s'est réinventée pour séduire les élèves, tous les enseignants interrogés par franceinfo dénoncent un effondrement du niveau athlétique moyen. Etude de santé publique à l'appui : la capacité physique des jeunes de 7 à 18 ans a diminué de 25% en un demi-siècle, selon une enquête réalisée en 2020 et relayée par RTL. Trois ans plus tard, les chercheurs ont établi que les élèves de 6e couraient beaucoup moins vite que leurs homologues d'il y a trente ans.

"Si je demande la même intensité qu'en 2000, je perds la moitié des élèves. Le nombre d'enfants en surpoids est bien plus significatif qu'il y a vingt ans. Combien s'effondrent au bout de deux minutes de course à pied ?"

Ghislain Hanula, prof d'EPS

à franceinfo

Là encore, les enseignants doivent redoubler d'astuces pour ne pas faire décrocher les plus en souffrance. Un exemple parmi d'autres : "On s'est mis à faire du basket 3x3 [qui se pratique sur demi-terrain], non parce que c'est à la mode ou au programme des Jeux, pointe Ghislain Hanula. Mais parce que le terrain réduit permet aux élèves en difficulté de moins courir et de toucher davantage le ballon." 

Avec un volume d'heures en chute libre au fil de la scolarité (quatre heures en 6e, trois heures pour le reste du collège et deux heures au lycée actuellement), difficile de faire des miracles pour les élèves qui n'enfilent un short qu'à dose homéopathique. Il y a plus de cinquante ans, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas affirmait pourtant : "C'est à l'école que l'on doit naturellement prendre goût au sport. Dans l'enseignement secondaire, nous voulons arriver à cinq heures d'éducation physique par semaine." On en est loin.

"On se retrouve avec l'EPS au même niveau en 2024 qu'en 2017, l'année où on a obtenu les Jeux, déplore Sébastien Nadot, ex-député de Haute-Garonne, qui a eu les stars du XV de France Antoine Dupont et Romain Ntamack comme élèves. Il n'y a pas cinquante solutions à part augmenter le volume d'heures. Et c'est comme pour le numerus clausus en médecine, on aurait vu les effets après sept ou huit ans. Il fallait s'y mettre avant 2020. Après, c'était trop tard."

"Tout ce qu'on arrive à faire, c'est parler aux convertis"

Même les fameuses 30 minutes de sport à l'école primaire, vantées par l'exécutif, ne sont pas vraiment effectives partout. La ministre Amélie Oudéa-Castéra chiffrait à 10 ou 15% les établissements pas encore "entrés dans le dispositif" en septembre dernier. "Comme d'habitude, on a dû se débrouiller avec zéro moyen, zéro formation et zéro aide, soupire Céline Wilquin, directrice et maîtresse en CE1-CE2 dans l'école élémentaire de La Terrasse (Isère). Dans l'enseignement de l'EPS, le ministère est inexistant, à part quand il s'agit de nous imposer des normes. Là, pour faire les APQ [les activités physiques quotidiennes], on demande aux élèves de s'appuyer sur un coin de leur table et de lever la jambe pour faire des abdos. Ça les fait rire."

Son école, située au pied du massif de la Chartreuse, organise régulièrement des sorties au ski "grâce au bon vouloir des professeurs et l'aide de la municipalité", explique-t-elle. Un enseignement qui permet d'initier nombre d'élèves, mais pas de rattraper ceux qui resteront vissés sur leur canapé. "J'ai perdu mes illusions là-dessus. Cela dépend surtout de la place que les parents accordent au sport. Et on voit de plus en plus d'élèves dispensés de ski." Un indicateur en hausse dès le primaire, selon elle. "Tout ce qu'on arrive à faire, c'est parler aux convertis", déplore également Guillaume Dietsch.

"Les 30 minutes d'APQ en primaire, l'expérimentation des deux heures supplémentaires au collège ou la 'Grande Cause nationale' ne touchent pas les publics les plus éloignés du sport."

Guillaume Dietsch, auteur du livre "Les Jeunes et le sport"

à franceinfo

Le programme des APQ s'arrête à l'entrée en 6e. "Une solution ludique serait d'instaurer une séance quotidienne de 15 à 20 minutes, en évitant le côté rébarbatif en bougeant en musique pour faire monter le rythme cardiaque", propose l'ancien député Sébastien Nadot, alors que l'OMS recommande une heure par jour pour les 5-17 ans. "Les profs d'EPS sauraient faire, mais on ne leur a rien demandé."

Il serait un peu injuste de pointer l'EPS comme seule responsable des maux de la nation. Les clubs et les fédérations passent pour le moment entre les mailles du filet, alors que, toutes disciplines confondues, ils ont perdu un million de licences entre 2018 et 2022. Ce chiffre, encore incertain à cause des effets à long terme de la crise du Covid-19, constitue le meilleur indicateur de la pratique sportive des Français, selon les experts. "Il va falloir que les clubs se réforment à leur tour, pointe Ghislain Hanula. Pour beaucoup de jeunes, ça se traduit par des horaires, des entraînements subis et des objectifs contraints, avec une approche axée sur la compétition." Faudra-t-il attendre une désillusion aux Jeux de Paris pour que sonne l'heure d'un examen de conscience sur la pratique du sport en France ?

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