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"Représenter l'Ukraine au plus haut niveau" : à un an des JO de Paris 2024, la préparation de l'extrême des athlètes restés dans leur pays en guerre

Si certains sportifs ukrainiens ont fait le choix de quitter le pays pour poursuivre leur carrière, d'autres ont choisi de rester et poursuivent les entraînements en vue des Jeux olympiques, malgré les bombes.
Article rédigé par Ben Barnier - Avec Nicolas Auer, Violetta Pedorych et Oleksandr Ushenko
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Oleksandr Zheltiakov s’entraîne pour les Jeux olympiques de Paris 2024 dans la piscine de Dnipro (Ukraine), le 21 juillet 2023. (BEN BARNIER / FRANCEINFO)

Quand les chars russes ont débarqué, le 24 février 2022, de nombreux athlètes ukrainiens ont fait le choix de la raison : quitter le pays. Mener une préparation de haut niveau semblait désormais trop dangereux, trop compliqué. Beaucoup sont partis en Espagne, en Allemagne, parfois en France ou encore aux Etats-Unis. Mais d'autres ont fait le choix du cœur en restant en Ukraine, où ils continuent de s'entraîner malgré les sirènes, les missiles et les drones chargés d'explosifs.

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C'est le cas d'Oleksandr Zheltiakov. Ce nageur de Dnipro accueille franceinfo, vendredi 21 juillet, dans sa piscine, le regard fixé au sol, un sourire gêné sur les lèvres. Il n'a que 17 ans et n'a jamais donné d'interviews à des journalistes étrangers. Oleksandr Zheltiakov va pourtant devoir s'habituer à cet intérêt médiatique : il s'est qualifié pour les Jeux olympiques de Paris 2024. "J'ai décidé de m'entraîner en Ukraine à cause de cette super piscine", explique-t-il à un an de la compétition, "c'est mon bassin, ma ville. Je suis chez moi ici, avec ma famille et mon entraîneur." 

L'extérieur du bassin olympique de Dnipro (Ukraine). La structure a failli être entièrement détruite par une frappe russe en novembre 2022. (BEN BARNIER / FRANCEINFO)

La structure est l'un des rares bassins aux dimensions olympiques, de 50 mètres de long, dont le pays dispose. Des panneaux installés dans les vestiaires et au bord du bassin témoignent de la particularité de la situation pour les athlètes : ils signalent le chemin à suivre pour aller s'abriter dans le sous-sol, en cas de frappes aériennes. C'est ce qu'a fait Oleksandr Zheltiakov en novembre, lorsqu'une explosion a fait vibrer le bâtiment.  

"On s'entraînait quand ça a tapé. On n'a pas compris ce qu'il se passait. On a eu tellement peur ! J'ai cru que c'était un tremblement de terre."

Oleksandr Zheltiakov, nageur ukrainien

à franceinfo

 

Le gardien de la piscine tient à montrer l'éclat d'obus, de la taille d'un téléphone, ramassé après la frappe russe, suffisamment gros et coupant pour tuer une personne sur le coup. Des dizaines de vitres ont été brisées par le souffle de l'explosion. Aucune d'entre elles n'a encore été réparée. Si les nageurs continuent de s'entraîner, ils doivent être prêts à s'interrompre immédiatement pour partir s'abriter lorsqu'une sirène retentit. "Je ne sais pas si ça va sonner aujourd'hui, avertit Oleksandr Kulyk, entraîneur du jeune prodige. C'est très fréquent ces derniers temps. Quasiment tous les jours." Ce vendredi, elles ne retentissent qu'une fois l'entraînement terminé. Pas besoin de sortir de l'eau précipitamment.

"Une chance d'être en finale à Paris"

La guerre, omniprésente, pourrait presque faire oublier que nous sommes venus assister à une séance de préparation en vue des Jeux olympiques de Paris. Le nageur de Dnipro, lui, n'oublie pas. Il vient ici quotidiennement, matin et soir, à l'exception du dimanche où il plonge seulement une fois. Il rabat ses longs cheveux bouclés sous un bonnet aux couleurs de l'Ukraine et part pour 1h30 de nage intensive. S'il est gauche et emprunté face aux journalistes, une fois dans l'eau, son corps dégage une souplesse et une force déconcertantes.

Le jeune athlète Oleksandr Zheltiakov s’entraîne pour les Jeux olympiques de Paris 2024 à Dnipro, dans le sud de l'Ukraine. (BEN BARNIER / FRANCEINFO)

Le nageur est devenu champion d'Europe juniors, début juillet, sur 200 mètres dos, avec à la clef un chrono qui le classe tout en haut de la hiérarchie mondiale. "Je pense qu'il a une chance d'être en finale à Paris et de concourir pour une médaille", insiste son entraîneur. Curiosité d'un pays où les structures sportives encore en état de marche sont rares, la piscine olympique de Dnipro reste ouverte au grand public. A quelques lignes de l'athlète, plusieurs personnes âgées, coiffées de bonnets à fleurs, peinent à faire une seule longueur de 50 mètres. Mais tous, champions comme retraités, nagent sous le même drapeau bleu et jaune. Il flotte droit et haut au-dessus de l'eau.

Cinq cents kilomètres plus à l'ouest, dans la ville d'Odessa, la même rage de vaincre anime Iryna Malovichko. La jeune femme de 29 ans manie le fusil à la perfection, dans un uniforme aux couleurs de l'Ukraine. Mais c'est en sportive qu'elle utilise les armes, elle qui est qualifiée pour les épreuves de tir à Paris 2024. Cheveux tirés en arrière, casquette vissée sur la tête et lunettes pour protéger ses yeux, l'athlète enchaîne les tirs pour s'entraîner. D'un mot, elle donne l'ordre de lancer les plateaux d'argile qu'elle doit viser. A chaque fois, elle fait mouche. Les disques volent en éclats au-dessus du terrain vague situé en banlieue d'Odessa où elle s'exerce.

L'Ukrainienne Iryna Malovichko s’entraîne au tir en vue des JO de Paris sur un terrain vague près d'Odessa, en Ukraine. (BEN BARNIER / FRANCEINFO)

Quand on lui demande si elle envisage de mettre son génie du tir au service de l'armée, son visage se durcit. "Impossible", répond-elle, presque surprise par la question. "Pour moi, le tir, c'est du sport et uniquement du sport. Je pense que les athlètes qui pratiquent le tir ne peuvent pas utiliser les armes pour tuer." Elle aussi subit quotidiennement les sirènes et les frappes aériennes, et encore davantage récemment. Depuis quelques jours, le centre historique d'Odessa, classé au patrimoine mondial de l'Unesco, a ainsi été la cible de frappes russes particulièrement destructrices.

"Cette semaine a été très difficile", confirme l'athlète, dont le sommeil est perturbé par les explosions. "Ce sont les nuits les plus difficiles. Mais nous trouvons la force dans notre amour pour le sport et pour notre pays. C'est pourquoi nous n'avons pas le droit de partir et de laisser quoi que ce soit derrière nous. Au contraire, nous devons défendre notre pays au niveau international. Représenter notre pays au plus haut niveau." Encore faut-il réussir à sortir d'Ukraine pour participer aux compétitions internationales. A chaque fois, le voyage lui prend deux à trois jours, sans qu'elle puisse alors s'entraîner. Un handicap majeur pour une sportive de haut niveau. 

Lâcher le sport pour le front

De son côté, l'ancien tennisman Sergiy Stakhovsky pourrait en théorie envisager de faire partie de l'encadrement de la délégation ukrainienne à Paris 2024. Mais il n'y croit pas. "Je serai privé de Jeux olympiques, mais je ne suis pas le seul. Les sportifs qui ont été tués par les frappes russes n'iront pas non plus à Paris", lâche-t-il.

En mars 2022, quelques semaines seulement après avoir pris sa retraite, il s'est engagé dans l'armée pour défendre son pays. Jusque-là, son principal fait d'armes avait été d'avoir réussi à sortir Roger Federer du prestigieux tournoi de Wimbledon en 2013. C'est désormais loin des courts de tennis que nous le rencontrons. Le trentenaire se trouve à Kramatorsk, base arrière des soldats opérant sur le front Est, le plus dangereux et le plus meurtrier du pays. Il vient de passer la nuit sur un toit proche de Bakhmout, ville prise par les Russes après des mois de combats sanglants.

L'ancien tennisman ukrainien Sergiy Stakhovsky combat près de Kramatorsk, dans le Donbass. (BEN BARNIER / FRANCEINFO)

"J'ai été une star du tennis, c'est vrai. Mais pour moi, c'était dans une vie antérieure", raconte-t-il en tenue de combat, fusil à l'épaule, les yeux creusés par la fatigue. "J'ai rejoint l'armée parce que c'était la seule chose à faire. Ma famille était encore ici au début de la guerre. Je pense que n'importe qui à ma place aurait fait la même chose." Dès le début des combats, Sergiy Stakhovsky, qui s'était payé une formation privée pour apprendre à utiliser les armes, a rejoint la garde nationale ; il y est aujourd'hui sergent-chef. Au quotidien, il manie le mortier. Parfois, il aide au transport et à l'échange de prisonniers.

Son statut en fait toutefois un porte-parole efficace pour l'Ukraine, pays où, jusqu'au plus haut de l'Etat, se réinventer semble être devenu un sport national. Sur son compte Twitter, il partage des nouvelles du front, des vidéos appelant au boycott des athlètes russes ou des avis de décès. Selon le ministère des Sports ukrainien, 332 athlètes ukrainiens ont ainsi perdu la vie depuis le début de l'invasion russe.

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