JO de Paris 2024 : comment Simone Biles a révolutionné la gymnastique

Avec ses acrobaties inédites et ses prises de parole sur la santé mentale, l'Américaine de 27 ans, qui entre en compétition dimanche, s'est imposée comme une légende de son sport et fait l'unanimité même auprès de ses concurrentes.
Article rédigé par Anaïs Brosseau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Simone Biles lors des qualifications à la poutre aux championnats du monde de gymnastique, à Anvers (Belgique) le 1er octobre 2023. (VIRGINIA MAYO / AP / SIPA)

"La meilleure gymnaste de tous les temps." "Un honneur de la côtoyer." Qu'ils émanent de ses concurrentes ou de retraitées des gymnases, les compliments pleuvent sur Simone Biles, qui entre en compétition aux Jeux olympiques dimanche 28 juillet. Chacune de ses apparitions électrise le public et Paris 2024 ne devrait pas faire exception. A 27 ans, pour ses troisièmes (et probablement derniers) JO, la gymnaste américaine au format de poche (1,42 m) aura l'occasion de compléter son palmarès XXL et de marquer un peu plus l'histoire d'un sport qu'elle a déjà largement révolutionné en une décennie.

Dès ses débuts dans l'équipe senior des Etats-Unis, Simone Biles a crevé l'écran. Lors de ses premiers Mondiaux, à Anvers (Belgique) à l'automne 2013, l'adolescente de 16 ans raflait le titre du concours général et du sol, l'argent au saut et le bronze à la poutre. Deux ans et demi plus tard, aux Jeux olympiques de Rio, elle devenait la gymnaste la plus titrée sur une seule édition olympique, avec quatre médailles d'or (concours général individuel et par équipes, saut et sol), plus une de bronze à la poutre.

"Je pense que tous les cinquante ans, quelqu’un arrive et transforme le sport. Elle est l’idole moderne de cette génération."

Nadia Comaneci, quintuple championne olympique de gymnastique

à olympics.com

Détectée enfant pour ses qualités acrobatiques, Simone Biles révolutionne son sport avec des figures défiant les lois de la gravité. Très vite, elle est entrée dans la postérité en inscrivant de nouveaux éléments à son nom au code de pointage de la Fédération internationale de gymnastique, qui réglemente la notation. Elle en compte désormais cinq : deux au saut, deux au sol et un à la poutre.

"Elle fait des choses qu'on ne peut pas faire"

"Simone a brisé des tabous acrobatiques chez les filles. Au sol, en dernière ligne, elle tente des acrobaties que les autres n'essaient même pas sur une première ligne", observe, admirative, Elvire Teza, ancienne gymnaste internationale française. Certaines de ses figures sont si risquées que les juges ont préféré attribuer une note de difficulté réduite, de sorte de ne pas l'inciter (ni les autres) à les reproduire. "Le niveau technique est tellement haut que cela pourrait être dangereux s'il y avait la moindre erreur", éclaire Elvire Teza. 

Aux Mondiaux 2023, Simone Biles entre un peu plus dans l'histoire en devenant la première femme à exécuter au saut de cheval un Yurchenko double carpé. Un saut assorti d'une note de difficulté de 6,4, quand ses concurrentes ne se risquent pas sur un mouvement noté plus de 5,6. Au sol, Simone Biles s'appuie sur sa puissance redoutable et sa taille. "Elle fait des choses qu’on ne peut pas toutes faire. Elle est toute petite, toute carrée, son centre de gravité n’est pas le même. On ne peut pas se comparer", pose, lucide, Marine Boyer, capitaine des Bleues.

"Elle pourrait totalement concourir contre des hommes. Je suis très fière de côtoyer une gymnaste comme elle."

Marine Boyer, gymnaste française

à franceinfo: sport

Pour Elvire Teza, Simone Biles est tout simplement "la meilleure gymnaste de tous les temps". "Avec l'arrivée de ses entraîneurs Cécile et Laurent Landi [depuis 2017], on sent leur patte française sur la grâce, l'artistique. Elle est très complète", justifie-t-elle. 

La difficulté rendue facile

Dans ce contexte, pour rivaliser, les adversaires de Simone Biles ont dû hausser leur niveau. "Elle a motivé les autres gymnastes. Une quinzaine d'entre elles se tirent la bourre et essayent de raccrocher les wagons. Mais aujourd'hui, il est difficile de se dire qu'on va gagner face à Simone Biles", estime Isabelle Severino, 6e du concours général par équipes aux Jeux d'Athènes et consultante pour Radio France.

"Je ne ferai jamais ce qu'elle fait. Elle est née avec ça. Ça arrive rarement. J’ai de la chance d'évoluer avec elle, cela permet de vivre des moments fous, sourit Coline Devillard, triple championne d'Europe au saut de cheval. C'est compliqué de passer derrière elle, mais c'est très plaisant de regarder de la belle gym."

"Sa principale qualité est de rendre simple ce qui est excessivement difficile", soutient Elvire Teza. La décontraction apparente de l'Américaine frappe souvent les observateurs : avant ou après ses passages aux agrès, elle s'affiche souriante, discute et encourage ses coéquipières.

Simone Biles à l'échauffement lors de l'US Classic, à Hartford (Connecticut), le 18 mai 2024. (KYLE OKITA / CSM / SHUTTERSTOCK / SIPA)

"Elle est vraiment super drôle, à l'entraînement et en dehors. Elle ne joue pas un rôle. C'est ça que j'aime chez elle, elle est nature peinture", salue Mélanie De Jesus Dos Santos, gymnaste française qui s'entraîne avec elle depuis deux ans à Houston. "Elle est inspirante pour beaucoup grâce à sa joie de vivre. On la sent détendue et on a l'impression qu'elle s'amuse, décrit Isabelle Severino. Même si elle est concentrée, elle ne dégage pas ça. A mon époque, on avait l'impression que les gymnastes allaient au bagne. Aujourd'hui, beaucoup plus de gymnastes dégagent du plaisir."

Le traumatisme de Tokyo

Au fil des années, grâce à une longévité peu commune dans ce sport à maturité précoce, Simone Biles s'est constitué un palmarès interminable : sept médailles olympiques et 30 médailles mondiales, dont 23 titres. Pour garder la motivation alors qu'elle domine les débats, la native de l'Ohio se défie d'abord elle-même. "Elle a révolutionné la gym grâce à son dépassement de soi, rappelle Isabelle Severino. Elle a été plus loin que d'être juste meilleure que les autres, elle est toujours allée chercher la difficulté supplémentaire."

Alors qu'elle était au sommet, la star a pourtant connu une défaillance inattendue aux Jeux de Tokyo. Victime de pertes de repères dans l'espace, elle avait renoncé à une grande partie des épreuves et utilisé son aura médiatique pour briser un tabou : celui de la santé mentale des sportifs. "Je me suis assurée que je protégeais ma santé mentale et mon bien-être, je ne voulais pas risquer de me faire mal ou de faire quelque chose de stupide en participant à cette compétition", justifie-t-elle alors.

La réception approximative de Simone Biles au saut, après avoir subi une perte de repères durant l'envol, aux JO de Tokyo, le 27 juillet 2021. (GREGORY BULL/AP/SIPA)

Après une semaine d'absence, elle était revenue pour la finale de la poutre et y décrochait le bronze. "Ce passage à vide a ramené plus de puissance et d'exceptionnel à ce qu'elle fait", analyse Elvire Teza. "Elle a expliqué que même une championne olympique peut craquer à tout moment et que respecter son intégrité physique est important. Dans notre sport, si on rate, on finit dans une chaise roulante. Cela aidera les générations futures", veut croire Marine Boyer.

Briser le tabou de la santé mentale

A Tokyo, Simone Biles glisse qu'elle doit "lutter contre ses démons", évoquant en creux le traumatisme des abus sexuels subis par le passé. Elle fait partie des plus de 250 gymnastes victimes d'agressions du médecin de l'équipe américaine, Larry Nassar, condamné à la prison à vie.

"Au-delà de ses figures apportées au code de pointage, Simone Biles a permis de faire parler de choses taboues dans le sport et surtout dans la gymnastique."

Coline Devillard, membre de l'équipe de France de gymnastique

à franceinfo: sport

Après les Jeux de Tokyo, l'Américaine a mis sa carrière entre parenthèses, s'est engagée dans une thérapie, s'est mariée, a fait construire sa maison... tout en gardant un pied à l'entraînement. Deux ans plus tard, elle a repris la compétition triomphalement, avec quatre nouveaux titres mondiaux à Anvers, là même où elle s'était révélée dix ans plus tôt.

"C’est unique dans notre sport de se retirer pendant deux ans et de revenir avec presque le plus haut niveau de difficulté qu'on pouvait imaginer", s'ébahit Nadia Comaneci auprès d'olympics.com. A l'Accor Arena de Bercy, Simone Biles a l'occasion d'écrire une nouvelle page de son histoire, mais aussi de son sport. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.