SERIE. Le carnet de bord des Jeux paralympiques de Paris 2024 - épisode 5 : changer de regard sur le handicap

À 168 jours du début des Jeux paralympiques d'été de Paris 2024 - les premiers de l'histoire en France - franceinfo: sport donne la parole à deux athlètes en situation de handicap, amenés à briller cet été.
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
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Manon Genest (para athlétisme) et Sofyane Mehiaoui (basket fauteuil) prennent la parole sur franceinfo: sport pour le cinquième épisode du carnet de bord des Jeux paralympiques de Paris 2024. (FLORENT PERVILLE / FFH)

Quel est le quotidien d'un athlète paralympique ? Comment se prépare-t-il à une échéance comme les Jeux de Paris 2024 ? Est-il possible de faire changer le regard sur le handicap à travers un tel événement ? Ces questions - et bien d'autres - ont conduit la rédaction de franceinfo: sport à proposer un format où la parole reviendrait directement aux sportives et sportifs tricolores qui visent les Jeux paralympiques.

Pour le cinquième épisode de ce carnet de bord mensuel, Manon Genest (para-athlétisme) et Sofyane Mehiaoui (basket fauteuil) évoquent leur quotidien et le changement de regard sur le handicap qu'amène, déjà, la tenue prochaine des Jeux dans la capitale.

Manon Genest • 30 ans • saut en longueur T37 (hémiplégie de l'hémicorps gauche après un accident de la route à 22 ans)

"Les médias me questionnent beaucoup sur la maternité mais, d'un côté, cela montre aussi qu'on ne me considère quasiment plus comme une personne en situation de handicap !"

Manon Genest lors des championnats de France indoor de para athlétisme, le 10 février 2024 à Saint-Brieuc. (FLORENT PERVILLE / FFH)

Je suis arrivée en Guadeloupe le 29 février et avec mon entraîneur Wilfried Krantz, on a débuté le stage d'entraînement le 1er mars. Ça se passe super bien ! Le Creps [Centre de ressources d'expertise et de performance sportive] des Antilles n'est pas super connu en métropole mais il est top, la piste est excellente et le sautoir est parfait. Il fait chaud mais on s'entraîne dur. Je suis avec ma fille, ma maman aussi, donc toutes les conditions sont réunies pour être heureuse.

Début février, je me suis alignée sur les championnats de France indoor à Saint-Brieuc, ma seule compétition hivernale et mon premier concours de saut en longueur depuis les Mondiaux en juillet dernier ! J'ai volontairement fait une saison blanche en hiver, j'ai travaillé sur le fond étant donné que je suis déjà sélectionnée pour les Jeux paralympiques. J'y suis allée en détente, ça venait clôturer un gros bloc de travail. Avec Wilfried, on ne s'attendait pas du tout à ce que je batte mon propre record d'avant-grossesse, qui est aussi le record de France en salle [4,53 m réalisé, précédent record à 4,52 m], donc c'est très chouette ! Maintenant, il faut continuer à affiner. On va continuer à faire beaucoup de volume et de force jusqu'aux Mondiaux à Kobe [Japon] en mai [du 17 au 25]. Ensuite il y aura le Handisport Open de Paris en juin, les championnats de France à Albi à la mi-juillet puis les Jeux. Ce sera vite là !

Cela fait également plusieurs mois que je prends la parole publiquement sur la prise en compte de l'allaitement pour les mamans sportives de haut niveau. Clarisse [Agbegnenou] s'est exprimée elle aussi. On a la chance d'avoir un ministère des Sports à l'écoute, qui a su développer avec les Comités paralympique et olympique des conditions favorables pour la parentalité lors des Jeux. C'est très bien ce qu'ils vont faire, personnellement cela me convient de pouvoir continuer à allaiter ma petite à l'extérieur du village des athlètes. Je pense qu'il ne faut pas trop en demander, à l'intérieur du village c'est compliqué avec toutes les accréditations... C'est déjà très bien et on passe des caps. Dans notre saison sportive, pour certaines d'entre nous, on rame un petit peu pour faire accepter l'allaitement... Si l'on peut sortir des Jeux avec un cadre réglementaire qui soit le même pour toutes les fédérations en ayant prouvé que tout est compatible, on aura gagné.

En parallèle, je continue ponctuellement à intervenir dans les écoles pour parler de mon quotidien d'athlète paralympique. Et je trouve que les jeunes d'aujourd'hui sont beaucoup plus sensibilisés au handicap qu'à mon époque, culturellement ça évolue et c'est génial. Ils sont au courant des différentes disciplines, de ce qu'il va se passer, connaissent pas mal de noms... Il y a quelques semaines j'étais en primaire et j'ai pris une claque, ils savaient tout !

Je tiens un peu le même discours qu'Arnaud Assoumani, de dire qu'on est des athlètes de haut niveau avant d'être des personnes en situation de handicap. On n'est pas là pour faire du social sur des Jeux paralympiques. On veut lever tous les préjugés sur le handicap à travers nos performances. Et au niveau de la médiatisation, cela se voit aussi. Quand je compare mes interviews après mon premier titre mondial en paratriathlon en 2016 et maintenant, il y a eu un changement radical. On me questionne beaucoup sur la maternité mais, d'un côté, cela montre aussi qu'on ne me considère quasiment plus comme une personne en situation de handicap, c'est ça qui est drôle ! On va me parler de l'allaitement, de mes performances, et c'est formidable ! J'ai tout gagné c'est bon !

Sofyane Mehiaoui • 40 ans • basket fauteuil (poliomyélite contractée à l'âge d'un an)

"En revenant de déplacement, je vais dans les toilettes pour les personnes handicapées sur une aire d'autoroute et il n'y a pas de cuvette. C'est là où je me dis qu'on a un problème de mentalité, qu'on ne se rend pas encore compte et c'est ça qui me choque."

Sofyane Mehiaoui avec l'équipe de France lors des championnats d'Europe de basket fauteuil à Rotterdam, le 14 août 2023. (© Claude Jouanserre / FFH)

Je reviens tout juste de Munich où se tenait la coupe d'Europe de basket fauteuil [Eurocup]. Avec mon club des Hurricane 92 de Gennevilliers, on a fini deuxième sur cinq, avec un bilan de trois victoires pour une défaite. C'est un bon résultat mais il n'y a que le premier qui passe en phase finale, donc il y a forcément de la déception. On est tombés dans une poule très compliquée. Ceux qui ont fini premiers, Gaziantep, évoluent dans le championnat turc et ont une grosse équipe. Mais on ne perd que de six points, on n'est pas si loin... À titre personnel, je me suis senti bien. J'ai changé de fauteuil il y a un mois, j'en suis content. Et sur ce dernier match face aux Turcs, j'ai mis 39 points, j'étais adroit avec 70% à deux points, 40% à trois points. C'est cool, ça me rassure un peu. 

Avec l'équipe de France, on reprend les stages la semaine prochaine, avant de revenir quelques jours puis de se retrouver vraiment tous ensemble jusqu'au tournoi de qualification pour les Jeux paralympiques à Antibes, du 10 au 14 avril. Les poules ont déjà été tirées, on est avec les Pays-Bas, l'Iran et le Canada donc ça va être chaud ! Le Canada a déjà été champion paralympique, l'Iran a toujours fait un podium ces dernières années aux Mondiaux ou aux Jeux, les Pays-bas ont été champions d'Europe il y a deux ans... C'est du solide ! Mais ce ne sont que des matchs de groupes. Ensuite, en quarts de finale, le quatrième de notre poule va affronter le premier de l'autre poule - composée du Maroc, de l'Allemagne, de l'Italie et de la Colombie - et le deuxième défiera le troisième. Ce deuxième groupe est un peu moins fort donc ça peut être un avantage. Si l'on gagne notre quart de finale, on aura notre billet pour Paris.

J'évoque souvent le fait que les Jeux paralympiques doivent être un tremplin pour rendre la ville encore plus accessible. C'est vrai qu'on est un peu en retard mais au-delà de l'accessibilité dans la capitale, ce sont vraiment les consciences dans tout le pays qu'on doit modifier. Hier par exemple, on revient de déplacement, je vais dans les toilettes pour les personnes handicapées sur une aire d'autoroute et il n'y a pas de cuvette. Et ce n'est pas la première fois que je vois ça. Ce n'est pas propre, au niveau hygiénique c'est critiquable, et puis ce n'est pas simple pour les personnes paraplégiques, d'autres qui peuvent avoir des infections urinaires... C'est là où je me dis qu'on a un problème de mentalité, qu'on ne se rend pas encore compte et c'est ça qui me choque. On a posé des toilettes sans se demander pour qui c'était et en zappant de mettre une cuvette. C'est un exemple comme un autre. Ce sont des détails dont on ne se rend pas compte tout de suite, mais qui, quand on les accumule, représentent beaucoup pour nous.

D'ici la rentrée prochaine, le gymnase où l'on évolue avec le Paris Basket Fauteuil - le club que j'ai créé - dans le 18e arrondissement va être détruit normalement. On devrait bénéficier de nouveaux créneaux à l'Adidas Arena, et c'est super. Mais j'essaie d'être précis sur pas mal de points : le parking, les aménagements, les lieux de stockage pour les fauteuils... Il y a beaucoup d'éléments à prendre en compte. On sent que la mairie a envie d'aider, la Direction de la jeunesse et des sports fait aussi énormément pour le handicap, essaie d'inciter les clubs à créer des sections handisport... C'est vraiment super. Il y a du positif et il faut se servir de ça pour continuer à avancer.

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