Euro 2024 : les secrets de la réussite et de la régularité de Didier Deschamps en équipe de France

Depuis son arrivée en 2012, le sélectionneur a ressuscité l'équipe de France et la maintient au plus haut niveau ; le fruit d'un travail minutieux dépassant le strict cadre du rectangle vert.
Article rédigé par Andréa La Perna - envoyé spécial en Allemagne
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Didier Deschamps et les joueurs de l'équipe de France avant la séance de tirs au but face au Portugal en quarts de finale de l'Euro 2024, le 5 juillet, à Hambourg. (ANDRZEJ IWANCZUK / AFP)

Didier Deschamps a fêté ses 12 ans à la tête de l’équipe de France, lundi. Le temps passe et il est toujours l’homme de la situation. Le sélectionneur est à un match d’envoyer l’équipe de France en finale d'un tournoi majeur pour la quatrième fois sur ses cinq dernières participations. Mais ne comptez pas sur lui pour donner un cours magistral pour révéler, expliquer ou défendre sa méthode. Le personnage n’est pas du genre à vouloir accaparer la lumière médiatique.

Il laisse à l’opinion la pleine liberté de se faire l’idée qu’elle veut de lui. Non pas que cela ne lui importe pas - il reste plutôt susceptible -, mais sa riche expérience fait qu’il sait que faire l’unanimité est un combat soit trop énergivore, soit tout simplement perdu d’avance. "Si vous vous ennuyez, regardez autre chose. Vous n’êtes pas obligé", s'est-il amusé en conférence de presse, lundi, après une énième question portant sur le manque de spectacle proposé par son équipe à l'Euro 2024. 

Efficacité, sérénité et caractère

Ne comptez pas non plus sur ses joueurs pour livrer ses secrets. Depuis le début du tournoi, Randal Kolo Muani ou encore Dayot Upamecano se sont contentés de le remercier pour la confiance accordée. Plusieurs joueurs ont été interrogés sur l’impact de "DD" et ce qu’il apporte au quotidien. "C’est difficile à décrire, a prévenu Youssouf Fofana, dimanche, lequel riait bien avec "DD" à son entrée à l’entraînement la veille. Il essaie d’être assez proche de nous, mais aussi d’avoir une certaine distance. Il arrive à créer ces moments où on peut discuter de tout et rien, de parler de la vie dans le Sud, de sortir un peu de la compétition".

"Non mais c’est moi, je suis un entraîneur défensif, donc je ne fais jouer mon équipe que pour défendre."

Didier Deschamps, ironique

en conférence de presse

Pour Philippe Rodier, auteur de La méthode Deschamps (éditions Marabout, 2023), pour mieux comprendre le sélectionneur des Bleus, il faut aller "au-delà de ce qu’on voit dans le jeu". Sous prétexte que son équipe ne marque que peu de buts actuellement et qu’elle manque de flamboyance, il est erroné de réduire tout cela à de la frilosité : "Ça me fait rire quand je vois des commentaires qui disent : 'Il dit aux latéraux de ne pas monter, aux attaquants de plus défendre qu'attaquer.' Ce n'est absolument pas son discours." 

Les trois termes qui définissent le mieux Didier Deschamps sont "efficacité", "sérénité" et "caractère", d'après Philippe Rodier, lui-même manager d'équipes en e-sport. L'homme est un compétiteur absolu, obnubilé par la victoire, et s'impose une rigueur extrême à titre personnel, au point de s'infliger des séances quotidiennes d'une heure de gainage. "C'est quelqu'un qui fait extrêmement attention à lui. Sur ses apparitions avant la compétition, il est apparu en très bonne forme et très éloquent dans sa façon de présenter les choses. C'est un excellent indicateur chez lui. D'autres entraîneurs ne se focalisent que sur le travail, la tactique et oublient de souffler", analyse Philippe Rodier.

L'équilibre avant l'esthétisme

Pour être efficace en tant que coach, il donne l'impression de constamment faire le calcul des risques et des bénéfices pour chacune de ses décisions. En ce sens, il peut avoir tendance à privilégier une option moins téméraire, comme lorsqu'il a comblé l'absence de Kylian Mbappé contre les Pays-Bas en intégrant Aurélien Tchouameni dans son onze de départ, et en décalant Adrien Rabiot sur le côté gauche. Ce soir-là, cela n'a pas empêché ses joueurs de dominer leur adversaire, même s'ils sont restés muets.

Habitué à devoir composer avec des blessés de dernière minute et un groupe évidemment plus fluctuant que celui d'un club, Didier Deschamps ne dispose pas d'un temps infini pour élaborer et travailler son approche tactique. C'est sans doute l'une des raisons qui le poussent à chercher l'équilibre avant tout. "Le seul point de désaccord qu'on peut avoir avec Deschamps, c'est qu'il ne fait pas jouer son équipe comme Pep Guardiola, mais je pense qu'il a raison de ne pas essayer de le faire", estime Philippe Rodier, pour qui les critiques sur le manque d'esthétisme du jeu pratiqué par les Bleus ne doivent pas occulter les émotions générées par l'équipe de France depuis 2012.

Après le traumatisme de Knysna, la Fédération française de football s'est attelée à rebâtir le cadre autour de l'équipe de France. Tout est toujours pensé pour que les Bleus évitent les perturbations extérieures. Au Mondial 2022, Didier Deschamps n'a eu de cesse d'insister sur la recherche de "sérénité". Cette quête ne s'arrête pas aux confins du vestiaire, elle est minutieuse. Le choix du camp de base l'illustre à merveille. Dans cet Euro, le groupe France a élu domicile dans la petite bourgade isolée de Bad Lippspringe, à côté de la ville de Paderborn. Un coin de verdure reculé connu pour ses thermes.

"Ce qui est vraiment différent aujourd'hui c'est son calme. Il était très sanguin au départ dans ses causeries. Il lui restait encore ce côté joueur qui impose une haine de la défaite. Tu dois l'avoir, mais pas le transmettre de manière trop violente. Aujourd'hui, il est extrêmement serein tout le temps. Le seul moment où il explose, c'est sur les célébrations."

Philippe Rodier, auteur de "La Méthode Deschamps"

à franceinfo: sport

Le périmètre de l'équipe de France est sanctuarisé, sur le plan médiatique également. Le choix de chaque joueur venant en conférence de presse est pensé. A la veille d'Espagne-France, on espérait le capitaine Kylian Mbappé, attendu sur les résultats des élections législatives après avoir pris position, et c'est finalement Adrien Rabiot qui s'est présenté, à la surprise générale. Un joueur laissant "l'analyse politique à ceux qui s'y connaissent le plus". Circulez, il n'y a rien à voir, laissons les Bleus se concentrer sur le sportif maintenant que l'Assemblée nationale est constituée.

Une relation très forte avec ses joueurs

Le discours d'Adrien Rabiot suit celui de son sélectionneur, qui avait refusé de s'engager, comme certains de ses joueurs, contre le Rassemblement national au début du tournoi. Si Didier Deschamps a insisté sur l'importance de laisser ses joueurs s'exprimer librement, se défendant de toute influence, ses propos sont souvent contagieux. Pendant tout le capitanat de Hugo Lloris, il tenait le parfait porte-parole lors de chaque conférence de presse d'avant-match.

Lorsqu'il s'agit de questions relatives au terrain ou à la vie de son groupe, les voix dissonantes se font très rares. "Sa vraie grosse qualité, comme tous les grands managers comme Sir Alex Ferguson, c'est l'écoute. Quand les joueurs parlent, il écoute et il s'imprègne de leurs discours, de leurs surnoms, note Philippe Rodier. Contrairement à l'image d'homme très sûr de lui qu'il renvoie, c'est en fait quelqu'un qui se remet énormément en question." Dans un entretien à Free Ligue 1, Ludovic Giuly, qui a évolué sous les ordres de "DD" à Monaco (2001-2004), raconte que ce dernier a concédé devant ses joueurs après sa première saison sur le banc, terminée à la 14e place de Ligue 1 : "Je me suis trompé sur mes choix, sur mes joueurs. On repart de zéro."

"Il est chambreur, mais sait où est la limite. Deschamps a très bien compris quelque chose où beaucoup de managers se trompent, c'est que l'égalitarisme existe à peine dans un monde normal. Tu peux mettre tout le monde au même niveau, mais quand tu vas voir Mbappé, en off, tu vas lui faire comprendre qu'il est un petit peu plus important qu'Antoine Griezmann, et que c'est pour ça que tu lui as donné le brassard. Quand tu vas être en off avec Griezmann, il y a une façon de lui faire comprendre pourquoi tu ne le lui as pas donné, sans lui dire : 'Mbappé est meilleur que toi.' Sur ça, Deschamps est un génie absolu", développe Philippe Rodier.

Responsabiliser les joueurs

En s'appuyant sur l'idée de "nous contre le reste du monde" et sur son palmarès impressionnant, non seulement en tant que coach, mais aussi comme joueur, Deschamps peut partir à la guerre avec ses joueurs. Dayot Upamecano n'a par exemple pas apprécié une question en conférence de presse lui demandant si le sélectionneur était plus tendu que d'habitude depuis le début de la compétition. "Qu'est-ce que ça va t'apporter ?", a répondu sèchement le roc de la défense.

Didier Deschamps et Kylian Mbappé après la qualification de l'équipe de France de football pour les demi-finales de l'Euro 2024, le 5 juillet, à Hambourg. (ODD ANDERSEN / AFP)

Une telle loyauté n'est pas forcément évidente dans le monde du football, d'autant que Didier Deschamps n'est pas du genre à caresser ses joueurs dans le sens du poil. Il a par exemple admis après France-Portugal la méforme de Kylian Mbappé et Antoine Griezmann, soit son capitaine et son vice-capitaine. Lundi, il a justifié le non-recours à Olivier Giroud, meilleur buteur de l'histoire des Bleus (57 buts), dans un contexte de manque de réalisme, en insistant sur le fait que "sur les trois matchs où il est rentré (45 minutes au total, et en phase de groupes), il n’a pas été plus efficace que les autres".

En mettant constamment ses joueurs face à leurs responsabilités, il leur témoigne de sa confiance dans leur capacité à relever les défis. Face au Portugal, il a laissé les joueurs les plus sereins participer à la séance de tirs au but. "Quand Deschamps récupère des joueurs, il arrive à les sublimer mentalement. Aujourd'hui, je pense qu'on ne se rend pas compte de la jeunesse de certains joueurs qu'il intègre pour un Euro ou une Coupe du monde, et qui répondent présents", apprécie Philippe Rodier. L'exemple de Bradley Barcola (21 ans), qui a fait ses débuts en sélection contre la Pologne en plein Euro et qui n'a pas redouté de participer aux tirs au but contre le Portugal, en est l'illustration. Si Didier Deschamps décide de l'aligner d'entrée contre l'Espagne, il s'agira de la dernière preuve qu'il ne peut être réduit au statut d'entraîneur conservateur.

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