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Euro 2021 : le difficile travail de mémoire du onze d’or hongrois, mythe déchu du football mondial

Depuis une trentaine d’années, la Hongrie redécouvre l’histoire de son onze d’or, qui a dominé le football des années 1950, et tente d’en perpétuer la mémoire.

Article rédigé par franceinfo: sport, Denis Ménétrier - De notre envoyé spécial à Budapest
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Ferenc Puskas arme une frappe lors de la finale de la Coupe du monde 1954 entre la Hongrie et l'Allemagne. (DB / DPA via AFP)

Dès que la Hongrie participe à une compétition internationale, l'occasion est trop belle pour ne pas évoquer l'histoire du onze d'or hongrois. Une équipe qui a dominé le début des années 1950 grâce à un jeu léché et spectaculaire, dont la trajectoire tourmentée et la fin prématurée ont été ressorties du placard en 2016 puis ces dernières semaines, lors des deux dernières participations de la Hongrie à l'Euro. Une sélection qui a vu naître le grand Ferenc Puskas, légende du jeu et dont le nom a été repris pour le prix du plus beau but de l'année.

Les matchs de l'époque n'étant pas encore diffusés, un mythe s'est créé autour de cette équipe qui a révolutionné le football avec son dispositif tactique en 4-2-4 et que seuls des spectateurs et des journalistes privilégiés auront eu l'occasion de voir évoluer sur une pelouse. "Je n'ai pas eu la chance d'assister à ces matchs, mais mes collègues qui l'ont eue avaient des trémolos dans la voix quand ils en parlaient", se souvient Didier Braun, ancien journaliste de L'Équipe.

Journalistes, auteurs et réalisateurs de documentaires se sont depuis des années emparés de cette légende du football mondial pour raconter son histoire, bien mieux connue du côté occidental qu'en Hongrie même. "Quand j'allais en France et que je disais que je venais de Hongrie, on me parlait tout de suite de Puskas mais moi je ne savais pas qui c'était", se remémore Eva, une Hongroise qui a passé trois années de sa vie en France. Et pour cause : ce n'est que très récemment que le pays a décidé de rendre hommage à cette génération dorée.

Une fin brutale

Gyorgy Szollosi est un des acteurs majeurs de ce travail de mémoire. Le rédacteur en chef de Nemzeti Sport - le quotidien national phare pour le sport, une sorte de L'Équipe hongrois - nous accueille dans son bureau, situé du côté de Buda, à l'ouest de la ville et à quelques centaines de mètres du Danube. Auteur de plusieurs ouvrages sur le onze d'or, l'homme est prêt à évoquer en long, en large et en travers l'histoire de cette sélection. Le match nul obtenu par la Hongrie face à l'équipe de France (1-1) deux jours plus tôt, n'a fait que nourrir son enthousiasme pour évoquer le sujet.

"On a une dette envers ces joueurs. On n'a pas pu commémorer leur mémoire, parce que la presse nationale de l'époque a arrêté de parler d'eux", soutient le journaliste hongrois. L'histoire du onze d'or a en effet vécu une fin brutale au moment de l'insurrection de Budapest en 1956. Alors que les chars soviétiques interviennent dans la capitale hongroise pour mater la rébellion, une partie de la sélection se trouve en déplacement à l'étranger pour disputer un match de Coupe d'Europe avec le Budapest Honved. Plusieurs joueurs ne rentreront pas en Hongrie, le onze d'or cesse d'exister.

Gyorgy Szollosi, rédacteur en chef de Nemzeti Sport, le 21 juin à Budapest (Denis Ménétrier)

Une perte considérable pour le pays alors que les Puskas, Nandor Hidegkuti, Sandor Kocsis et Zoltan Csibor ont remporté les Jeux olympiques en 1952 et vécu une désillusion en finale de la Coupe du monde 1954 contre l'Allemagne de l'ouest (2-3). En 1953, la sélection hongroise remporte ce qui est considéré comme le "match du siècle" face à l'Angleterre (6-3) à Wembley devant plus de 100 000 personnes. Dorénavant à l'étranger, le régime communiste interdit à ces joueurs qui ont refusé de rentrer au pays d'évoluer sous le maillot de la sélection nationale. Leurs noms tombent dans les limbes de l'histoire hongroise.

"Réapprendre ces noms moins connus en Hongrie que dans le reste du monde"

"En finale de la Ligue des champions 1960, Puskas marque un quadruplé avec le Real Madrid (face à l'Eintracht Francfort, 7-3). Personne n'en parle en Hongrie, à part notre journal, dont la version communiste s'appelait 'Sport du peuple', et qui avait fait seulement trois lignes sur le sujet", explique Gyorgy Szollosi, qui nous expose quelques photos de la légende hongroise prises lorsqu'il évoluait en Espagne et publiées dans son livre qui retrace la carrière de Puskas.

Pour "réapprendre ces noms moins connus en Hongrie que dans le reste du monde", le journaliste de Nemzeti Sport se bat depuis plusieurs années. L'objectif affiché est de mettre en avant la mémoire du onze d'or. Lui affirme avoir été le premier à proposer l'idée de donner au stade national le nom de Puskas, l'enceinte dans laquelle les joueurs de Didier Deschamps ont pris un coup de chaud samedi devant près de 60 000 personnes.

Une politique volontariste à destination du football

D'ici un an, un musée devrait ouvrir ses portes près de la Ferenc-Puskas Arena pour retracer l'histoire de cette équipe et sa réhabilitation progressive en Hongrie. Un processus qui s'est déroulé en plusieurs étapes, comme le présente Gyorgy Szollosi : "Il y a d'abord eu le retour de Puskas au pays en 1981 après 25 ans d'absence. Le pouvoir lui avait demandé de rentrer, alors qu'il entraînait à l'étranger, parce que le système était plus ouvert. Puis il y a eu 1991 avec la chute du modèle communiste."

Le journaliste désigne une dernière étape, fondamentale à ses yeux : "L'arrivée de Viktor Orban au pouvoir en 1998. Il connaissait Puskas (qui est mort en 2006) et il a tout de suite, avec lui, voulu redonner vie au football qui était en déclin depuis très longtemps." En Hongrie, au tournant de 1991, le football est déconsidéré et dans un état de désuétude total.

"Les terrains étaient transformés en centres commerciaux et en stations-services", décrit Gyorgy Szollosi. Depuis, la situation a bien changé. Viktor Orban, depuis son retour comme Premier ministre en 2010, mène ainsi une politique volontariste à destination du football, à coups de millions de forints issus du budget étatique dépensés. Et qu'importe que cette politique favorise la corruption, l'important pour le pouvoir est de faire vivre la mémoire du onze d'or.

Des hommages en pagaille dans Budapest

En se baladant du côté de Pest, difficile d'ignorer que l'entreprise est réussie. Outre le stade Ferenc Puskas, l'enceinte au nom de Nandor Hidegkuti, où les Bleus se sont entraînés dimanche, a été rénovée ces dernières années. La Bozsik Arena, du nom de Jozsef Bozsik, le milieu de terrain du onze d'or, a été inaugurée en 2021 et a notamment vu l'équipe de France espoirs s'incliner face aux Pays-Bas fin mai lors de l'Euro U21 (1-2). Une statue de Sandor Kocsis trône devant le stade de Ferencvaros quelques kilomètres plus loin.

La statue de Ferenc Puskas, à Felcsut, inaugurée en 2014 (ATTILA KISBENEDEK / AFP)

Le match nul face à la France samedi est apparu comme le symbole ultime, une forme de réincarnation du onze d'or hongrois, capable d'accrocher l'équipe championne du monde en titre. "Tout le monde va en parler pendant des décennies, surtout que les exploits réalisés par le onze d'or ont toujours eu lieu hors de Hongrie. Là c'était chez nous et devant 60 000 personnes. On a gagné en faisant 1-1", assure Gyorgy Szollosi. Plus de trois jours après la rencontre, l'enthousiasme ne faiblit pas et face aux nombreux Français présents à Budapest, les locaux n'hésitent pas à mettre en avant la performance de leur sélection.

Le niveau de jeu affiché par l'équipe de Marco Rossi et qui fait vibrer les Hongrois depuis quelques jours est encore loin de celui du onze d'or dans les années 1950. Mais cet exploit a attiré "un public jeune", selon le journaliste de Nemzeti Sport et le travail de mémoire de la sélection légendaire en bénéficie. Et si les Hongrois n'ont pas encore le talent de leurs illustres aînés, ils peuvent tout de même se permettre de rêver d'une qualification en huitièmes de finale en cas de victoire face à l'Allemagne mercredi.

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