Reconstruction de Notre-Dame : pourquoi le choix du plomb pour recouvrir la flèche fait toujours polémique, à un an de la réouverture

Le chantier de la charpente de la flèche de la cathédrale a pris fin début décembre. La structure doit maintenant être recouverte de plomb, comme la précédente, détruite dans l'incendie du 15 avril 2019.
Article rédigé par franceinfo
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Les échafaudages autour de la structure en bois de la nouvelle flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 2023. (JULIEN DE ROSA / AFP)

Greenpeace dénonce un "scandale sanitaire". Plus de quatre ans après l'incendie qui a ravagé Notre-Dame, la cathédrale retrouve peu à peu sa silhouette avec l'achèvement, vendredi 1er décembre, de la charpente de la flèche, désormais visible dans le ciel parisien. Le monument doit rouvrir le 8 décembre 2024. Mais à un an du jour J, la célèbre flèche, détruite lors du sinistre, continue à faire débat. En cause : la décision de la reconstruire à l'identique de celle érigée par Viollet-Le-Duc au XIXe siècle, c'est-à-dire recouverte de plomb. 

L'utilisation de ce métal inquiète des élus, des ONG et des riverains, qui ont manifesté le 30 novembre sur le parvis du monument. La sénatrice écologiste Anne Souyris a notamment demandé au gouvernement la "suspension" du chantier. Franceinfo vous résume pourquoi l'utilisation du plomb pour la reconstruction de Notre-Dame fait polémique.

Parce que le plomb est toxique, même à faible dose

La toxicité du plomb est avérée et documentée. Il est nocif, même à faible dose. "Il n'existe pas de concentration de plomb dans le sang qui soit sans danger", avertit l'Organisation mondiale pour la santé sur son site. "Il est aujourd'hui établi que le plomb est toxique pour les enfants, les femmes enceintes et les adultes, même à de faibles concentrations", alerte de son côté l'Inserm.

Le plomb est dangereux s'il est inhalé. Si des enfants en ingèrent, ils peuvent être atteints de saturnisme, une maladie grave qui entraîne des troubles neurologiques irréversibles. C'est pourquoi le nuage qui s'est dégagé lors de l'incendie de Notre-Dame de Paris avait suscité des inquiétudes. Une exposition durable, à des niveaux élevés, peut causer des troubles digestifs, une perturbation des reins, des lésions du système nerveux ou des anomalies reproductives.

Comment la décision de recourir au plomb a-t-elle été prise ? Interrogé en janvier 2023 au Sénat, le général Jean-Louis Georgelin – responsable de la reconstruction et mort dans un accident à l'été 2023 – avait rappelé que la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture avait "émis un avis favorable à la reconstruction en plomb". Soulignant que "le plomb [serait] la couverture du grand comble et de la flèche", il avait déclaré : "Nous ne verrons jamais un enfant se promener sur le grand comble. Nous ne verrons jamais un enfant aller lécher les plaques de plomb mises sur les chaînes qui constituent la flèche. Autrement dit, ce risque-là est très exactement égal à zéro."

L'argumentaire n'a pas changé depuis. "Couvrir en plomb les charpentes de la nef, du chœur et des bras du transept, qui sont situées à une quarantaine de mètres du sol et sont inaccessibles, n'expose aucun public à l'ingestion de plomb", a répondu au quotidien catholique La Croix, début décembre, l'établissement public en charge de la restauration de Notre-Dame, assurant prendre "très au sérieux" les questions liées à ce matériau.

Parce que les eaux de ruissellement du toit seront chargées en plomb

De façon plus spécifique, la menace du plomb liée à Notre-Dame de Paris concerne le ruissellement. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a estimé, dans un avis rendu en janvier 2021, que "la seule toiture de Notre-Dame (…) émettrait environ 21 kg de plomb par an (et deux tonnes par siècle) dans les eaux de ruissellement". Et encore, souligne le HCSP, ce chiffre repose sur une "hypothèse conservatrice".

Jean-Louis Georgelin avait reconnu face aux sénateurs qu'il existait un risque "lié aux eaux de ruissellement". Il avait toutefois aussitôt affirmé : "Nous allons récupérer toutes les eaux de pluie, et nous allons les analyser pour voir le plomb qu'elles contiennent avant de les reverser dans la Seine. Nous sommes véritablement exemplaires, cela n'a jamais été fait." Et d'insister : "Soyez rassurés, aucun enfant de France n'aura de plombémie en raison de la reconstruction en plomb de Notre-Dame de Paris."

Pas de quoi rassurer Maxence Hecquard, président de l'association pour la défense du site et ses environs. "C'est très préoccupant pour les riverains. De temps en temps, on voit passer des ouvriers habillés comme des cosmonautes pour éviter [d'être exposés au] plomb et à côté de ça, nos enfants jouent dans la rue à côté. Il y a peu de communication officielle", a-t-il regretté au micro de France Culture.

Le discours rassurant des autorités ne surprend pas l'historienne Judith Rainhorn, autrice du livre Blanc de plomb, Histoire d'un poison légal (Les Presses de Sciences Po, 2019).

"C'est un épisode de plus dans la longue histoire du déni de la dangerosité du plomb, qui date au moins de deux siècles."

Judith Rainhorn

à franceinfo

"Au début du XIXe siècle, nous avons commencé à utiliser le plomb de manière industrielle. Nous l'utilisions déjà depuis l'Antiquité, mais les proportions ont changé avec l'industrialisation. Il en a été mis partout", de la peinture pour bâtiment jusqu'à la dentelle, en passant par les bonbons, détaille-t-elle.

Parce que l'utilisation de matériaux alternatifs est possible

"On vit avec notre époque, on a de nouveaux moyens, de nouvelles techniques. Nous ne sommes pas obligés de réutiliser le plomb, qui est un matériau très lourd", plaidait sur France Inter, en avril 2019, l'architecte Jean-Michel Wilmotte, qui comptait participer à un éventuel concours d'architecture pour la reconstruction de la cathédrale. Mais en juillet 2020, après des mois de polémiques, et sans concours, la décision finit par tomber : la flèche de Notre-Dame sera reconstruite à l'identique. "On n'inscrira ni les traces de l'incendie, ni la modernité", déplorait l'architecte Christian Jonas dans une tribune publiée dans le journal Le Monde.

Le plomb aurait pu être remplacé par du zinc ou du cuivre, mettent en avant des opposants, comme Annie Thébaud-Mony, présidente de l'association Henri Pezerat, auprès du site Actu.fr. Des exemples existent. Détruite lors d'un incendie en 1836, la toiture en plomb de la cathédrale de Chartres (Eure-et-Loir) a été reconstruite en cuivre. C'est ce qui lui donne cette "couleur vert-de-gris due à l'oxydation", explique l'office de tourisme de la ville.

La cathédrale de Chartres (Eure-et-Loir), en décembre 2020. (AGLILEO COLLECTION / AGLILEO / AFP)

"Le Code du travail, aussi bien que le Code de la santé publique, disent qu'à chaque fois que l'on peut substituer une substance non dangereuse à la place d'une substance toxique, il faut le faire. C'est une obligation", a également assuré Benoît Martin, président de l'Union départementale CGT de Paris auprès de France Culture. Dans un avis émis en 2021, le Haut conseil pour la santé publique avait d'ailleurs demandé "d'identifier les usages du plomb laminé dans le bâti à travers les âges et de rechercher, en concertation avec les professionnels du bâtiment, des alternatives au plomb laminé pour l'entretien ou la réhabilitation de bâtis anciens où il est présent".

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