Dissolution de l'ONG Mémorial : "C'est une phase très sombre pour la Russie", souligne une spécialiste du pays
La dissolution de l'association historique de sauvegarde de la mémoire des victimes du Goulag est une "décision politique" dans un pays où les discours affirmant que Staline "était un bon dirigeant" montent, selon Cécile Vaissié.
"C'est une phase très sombre pour la Russie", juge Cécile Vaissié, professeure en études russes, soviétiques et post-soviétiques à l'Université Rennes 2, mardi 28 décembre sur franceinfo, après la dissolution par la Cour suprême russe de l'ONG Mémorial, pilier de la défense de la lutte contre les répressions dans la Russie contemporaine et gardien de la mémoire des victimes du Goulag.
Franceinfo : Pouvez-vous nous rappeler ce que représente l'ONG Mémorial en Russie et pour les Russes ?
Cécile Vaissié : Mémorial est une association qui vient de la société russe, de la dissidence ou des proches de la dissidence qui, à la fin des années 1980, ont vu une chance de faire émerger une Russie démocratique qui réparerait tous les traumatismes qu'avait pu créer les purges staliniennes, c'est-à-dire des purges où des millions de Soviétiques ont été arrêtés, exécutés, déportés sans avoir rien fait.
Ce mouvement a été autorisé par Gorbatchev en 1989. Il a regroupé des volontaires, des historiens et des archivistes qui ont exploré toutes les archives de Russie. Pendant des années, ils sont allés dans les camps pour aller recopier les listes de prisonniers, étudier les ordres et les décisions. Ils ont fait un travail qui est reconnu par les historiens du monde entier et ont développé d'autres aspects, notamment la recherche sur les purges et les répressions post-staliniennes.
"L'ONG Memorial représente pour n'importe qui la possibilité de savoir ce qui est arrivé à son grand-père ou sa grand-mère."
Cécile Vaissié, professeure à l'Université Rennes 2à franceinfo
L'ONG dénonce une décision politique. A-t-elle raison selon vous ? Mémorial gênait-elle le pouvoir russe ?
On a actuellement deux narratifs qui s'opposent et qui tournent autour de la personne de Staline. Est-ce que Staline est celui qui a fait justement déporter et exécuter des millions de Soviétiques ? Ou est-ce qu'au bout du compte, comme on l'a vu dans des manuels validés par le pouvoir [russe], tout ça avait eu lieu mais était justifié parce que, soi-disant, ça aurait permis de gagner la guerre ?
On a vu monter au fil des années, d'un côté, le narratif qui affirmait que Staline était un bon dirigeant, aussi bien sur le plan économique que sur le plan militaire, ce qui est plus que contestable. Et de l'autre, le narratif qui consiste à dire que nous avons affaire à une société gravement traumatisée. Ces traumatismes, il faut les explorer. Il faut comprendre comment cela a été possible, de manière à ce que cela ne se reproduise plus jamais. Ce narratif-là, effectivement, gênait.
La décision est politique et ne vient pas du président de la Cour suprême. Elle vient très clairement de beaucoup plus haut.
Cécile Vaissié, professeure à l'Univeristé de Rennes 2à franceinfo
Pensez-vous que d'autres ONG sont menacées en Russie ?
Ça a déjà commencé ! Depuis plusieurs mois, on ne voit que des arrestations. Je crois que c'est une phase très sombre pour la Russie, que cette année 2021 marque un tournant. Elle a commencé avec l'arrestation de Navalny et l'arrestation de ses partisans. On a vu se multiplier des arrestations, des interdictions, des répressions et parallèlement, des migrations de gens qui comprenaient qu'ils auraient des problèmes. Là, avec la liquidation de Mémorial, on a la fin de la période Gorbatchevienne.
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