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Qui est Médine, le rappeur dont les concerts au Bataclan ont été annulés après une polémique ?

Des élus de tous bords lui reprochent sa supposée complaisance à l'égard de l'islam radical ainsi que des textes controversés sur la laïcité.

Article rédigé par franceinfo
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Le rappeur Médine, en concert à Roubaix (Nord), le 13 août 2015. (MAXPPP)

"Tout ce que je voulais faire, c'était le Bataclan". Accusé de complaisance à l'égard de l'islamisme radical notamment par certaines familles de victimes des attentats du 13-Novembre et une large partie de l'extrême droite, le rappeur Médine a décidé vendredi 21 septembre, "dans une volonté d'apaisement", de reporter ses deux concerts prévus les 19 et 20 octobre au Bataclan au Zénith de Paris.

Dans un communiqué diffusé sur Twitter, le chanteur précise que "certains groupes d'extrême droite [avaient] prévu d'organiser des manifestations" pour l'empêcher de se produire dans la salle de concert, où ont péri 90 personnes lors des attentats de novembre 2015, et à laquelle il avait dédié un morceau

Franceinfo liste quatre choses à savoir pour mieux connaître cet artiste havrais, qui a été contraint de céder face à la controverse.

Un ancien de la scène rap underground

Âgé de 35 ans, Médine est un personnage présent dans l'univers du rap depuis la fin des années 1990. Lors de son passage au lycée, il rejoint le collectif La Boussole, composé de jeunes Havrais. C'est avec eux qu'il fonde en 2002 le label indépendant Din Records, qui a produit l'intégralité de ses albums.

Grand admirateur des légendes de l'époque (il rend notamment hommage à IAM, NTM ou Lunatic dans le morceau Lecture aléatoire), Médine s'inscrit dès le début de sa carrière dans la tradition du rap dit "conscient". Ce rap engagé et politique est souvent opposé à l'"ego trip", dans lequel les artistes se vantent d'être les meilleurs, ou au "gangsta rap", qui exalte souvent la consommation à outrance et la violence.

Même si en 20 ans de carrière, Médine a réussi à se faire un nom et à remplir des salles de concert partout en France, son style de rap se trouve en général rarement au sommet des ventes de disques. Ce qu'explique à Slate.fr le journaliste spécialisé Genono :

Médine n'était pas supposé toucher le grand public à la base. C'est un rappeur de province, indépendant, qui aime manier les sujets polémiques.

Genono

à Slate.fr

Un musulman qui jongle avec les clichés

Né dans une famille non-pratiquante d'origine franco-algérienne, Médine devient musulman pratiquant à l'âge de 14 ans pour se "tourner vers [ses] racines", racontait-il à Libération en 2010. Très tôt, il s'empare dans ces morceaux des questions d'actualité brûlantes concernant la religion. Et ne craint pas de jouer avec les peurs qui entourent certaines représentations : en 2005, il sort ainsi un album intitulé Jihad, le plus grand combat est contre soi-même, dont l'affiche a été reprise par l'extrême droite pour dénoncer son prétendu islamisme.

Le morceau qui donne son titre à l'album est pourtant loin de promouvoir  l'islam radical. Il s'agit plutôt, explique le site du label Din Records, d'aborder "ce terme si épineux à travers sa signification de 'lutte' et d''effort'. (...) Comme le sous-titre de l'album l'indiquait si bien, l'objectif du jihad est alors de combattre son soi-même, de s'élever intellectuellement, socialement, et d'aspirer au bien, non au mal."

Même principe avec Don't Laïk, sortie une semaine avant la tuerie de Charlie Hebdo en 2015, et dans laquelle Médine chante "Crucifions les laïcards comme à Golgotha [le lieu où Jésus aurait été crucifié] / Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn". Invité à s'expliquer sur le plateau d'"Arrêts sur images", le rappeur assumait un exercice de style. "C'est un déroulé d'absurdités jusqu'à la fin du morceau, qui amène à la dernière partie, sur l'exorcisme de la laïcité : à la fin, je rappelle que son corps est possédé par certaines gargouilles de la République", justifiait-il, ajoutant que son but était de critiquer la récupération politique du sujet.

Interrogé par "Clique" en février 2017, il résumait à nouveau sa démarche par sa volonté de "tendre un piège" aux "fainéants" qui ne feraient pas l'effort de comprendre ses textes.

Ceux qui s'arrêtent à une représentation, une image, à un style de musique dans un album de rap sont certainement aussi ceux qui vont s'arrêter, dans la vie, à une origine ou une confession.

Médine

à "Clique"

Dans le morceau #Faisgafatwa sorti en mai 2015, Médine avait d'ailleurs brocardé les fondamentalistes qui tentent de recruter des candidats au départ en Syrie dans les quartiers : "J'crois que tu t'es pris les deux Nike Air dans le tapis d'prière/ 
Viens pas recruter dans mon quartier, c'est pas ta pépinière/ T'as jamais mis le pied dans une classe et tu veux suivre les quatre écoles [de l'islam sunnite]."

Un artiste aux fréquentations controversées

Les partisans d'une interdiction des concerts de Médine au Bataclan relaient également plusieurs clichés du rappeur havrais, datés de 2014, sur lequel on le voit effectuer le signe de la quenelle de Dieudonné.

Il s'était expliqué à ce sujet devant des jeunes de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) fin 2014. "J'en garde un peu un goût amer, à l'image de ce qu'est devenu le combat de Dieudonné. (...) Le bonhomme est très flou", déclarait-il à l'époque, tout en assurant alors "beaucoup aimer l'artiste".

Autre fréquentation sulfureuse : l'islamologue Tariq Ramadan, dont Médine a revendiqué la proximité a plusieurs reprises. Les détracteurs du rappeur ne manquent pas non plus de rappeler que celui-ci s'était rendu à une conférence du suprémaciste noir Kémi Séba. L'intéressé s'en était expliqué sur le site StreetPress, évoquant une "démarche universitaire et étudiante" portant sur la question du communautarisme.

Il est enfin reproché à Médine d'être proche de l'organisation Havre de Savoir. Cette association de musulmans du Havre indique sur son site avoir pour but de "présenter et faire connaître l'islam et ses valeurs d'ouverture et de tolérance", mais se situerait "dans le courant de pensée des Frères musulmans", selon le chercheur Romain Caillet cité par Libération. Dans une vidéo datant de plusieurs années relayée sur Twitter, Médine se présentait comme "ambassadeur" de cette association.

Un artiste pris pour cible par l'extrême droite

Annoncés début mars, les deux concerts au Bataclan de Médine n'ont fait polémique qu'à partir du week-end des 9 et 10 juin, lorsqu'un militant d'extrême droite membre du micro-parti de Renaud Camus, théoricien du "grand remplacement", a lancé une pétition en ligne pour réclamer l'annulation de ces événements.

Proche de Marion Maréchal et à l'origine de l'opération anti-migrants menés dans les Alpes, le militant identitaire Damien Rieu a également mis beaucoup d'énergie à interpeller journalistes et responsables politiques sur le sujet via son compte Twitter. Le jeune homme n'hésite pas à "feuilletonner" ses découvertes au sujet du rappeur, alimentant ainsi la polémique.

Leur activisme en ligne a payé : après des élus du Rassemblement national, des responsables du parti Les Républicains, puis de La République en marche et du Parti socialiste se sont indignés de l'organisation des deux concerts de Médine au Bataclan. Quitte à ajouter aux interrogations sur les fréquentations du rappeur des accusations de racisme pour le coup infondées : comme Marine Le Pen, le député UDI Meyer Habib a accusé le rappeur de racisme anti-blanc en citant les paroles d'Angle d'attaque (acte 1), dans lequel on peut entendre "Les Blancs sont des démons, des cochons d'aucune moralité".

Comme la présidente du Rassemblement national, l'élu effectue un contresens lié à l'absence de contexte. Ces paroles sont en effet tirées d'un morceau en trois parties, destiné à dénoncer toutes les formes de racisme, comme l'expliquait franceinfo en 2014.

Après avoir dénoncé dans un communiqué la volonté de "l'extrême droite" de "dicter la programmation de nos salles de concert voire plus généralement limiter notre liberté d'expression", le rappeur avait partagé sur les réseaux sociaux une caricature de la une de Charlie Hebdo représentant Mahomet, et qui avait suscité l'ire des islamistes. On y voyait cette fois la laïcité pleurer devant la classe politique française, en se lamentant : "C'est dur d'être aimée par des cons". Une nouvelle manière de jouer la carte de la provocation, avant de finalement céder face à la polémique.

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