Festivals annulés : le monde du jazz en souffrance
Jazz à Vienne, Jazz in Marciac... Les gros rendez-vous estivaux de jazz n'auront pas lieu, tout comme les rendez-vous plus modestes, des annulations en chaîne qui symbolisent l'ampleur de l'épreuve que traverse, au sein du spectacle vivant, un secteur fragilisé qui espère rebondir en 2021.
Depuis le début du confinement instauré le 17 mars pour lutter contre l'épidémie de coronavirus, les annonces d'annulations de festivals de printemps et d'été s'enchaînent, traumatisant tout un secteur, fragilisant les artistes et de nombreuses professions qui gravitent autour de ces manifestations. Plusieurs directeurs de festivals de jazz, grands ou modestes, contraints d'annuler leur rendez-vous face aux mesures sanitaires, espèrent rebondir en 2021 même s'il sera difficile de retrouver la confiance des partenaires privés et des festivaliers.
Les annonces du Premier ministre Édouard Philippe, mardi 28 avril à l'Assemblée nationale, sur le processus de déconfinement, ont achevé de sceller le sort des grands événements de la fin de l'été : tous ceux "rassemblant plus de 5000 personnes, qui doivent être déclarés en préfecture et nécessitent beaucoup d'organisation, ne pourront se tenir avant le mois de septembre".
Un impact économique très lourd
De Jazz sous les pommiers annulé au printemps à Jazz in Marciac, de Jazz à Vienne au vétéran Nice Jazz Festival, en passant par Jazz à Sète, Charlie Jazz et tant d'autres, ces annulations en cascade ont de lourdes conséquences financières. C'est vrai notamment pour les festivals aux budgets conséquents (6 millions d'euros pour Jazz in Marciac, 5 millions pour Jazz à Vienne) organisés en zone rurale comme à Marciac dans le Gers, ou dans une petite ville de l'Isère comme Vienne.
"Un événement comme celui-là dans une petite ville de 30.000 habitants, ça a un retentissement très très fort", déclare à l'AFP Samuel Riblier, directeur depuis 2016 de l'établissement public Jazz à Vienne, rattaché juridiquement à l'agglomération Vienne - Condrieu. Une étude faite en 2014 par l'agglomération avait chiffré à 17 millions d'euros les retombées économiques du festival isérois.
"Le festival, c'est 20 millions d'euros de retombées économiques sur le territoire, en gros le pays du Val d'Adour", rappelle de son côté Jean-Louis Guilhaumon, le président de l'association Jazz in Marciac (JIM), et maire de la commune.
L'Île de Ré sera moins touchée par l'annulation de Jazz au Phare, une structure beaucoup plus petite que Vienne et Marciac, avec quatre jours de festival contre deux semaines et demie, 500.000 euros de budget et une histoire plus récente : dix éditions jusqu'à cette funeste année, contre 42 à Marciac et 39 à Vienne.
Des conséquences pour l'emploi
Ces annulations ont aussi une conséquence directe sur l'emploi. "Il y a une dizaine de salariés, que nous avons tous mis au chômage partiel d'avril à septembre", déclare Samuel Riblier côté Vienne. "Nous avons sept salariés, et pour certains nous allons prendre des mesures de chômage partiel", confie pour sa part Jean-Louis Guilhaumon côté Marciac.
Malgré l'électrochoc, aucun n'envisage cependant de mettre la clé sous la porte. Les pouvoirs publics les ont rassurés : les subventions publiques de ces festivals seront maintenues cette année. "Au niveau des collectivités locales, tout le monde veut jouer le jeu. On aura peut-être en plus des aides exceptionnelles pour faciliter notre trésorerie", explique à l'AFP Jean Chavinier, directeur de Jazz au Phare, que cet homme d'affaires retraité, Parisien attaché à l'Île de Ré, a créé en 2010.
"L'État, la région, le département acceptent de maintenir leur aide", précise Jean-Louis Guilhaumon. Ces subventions représentent environ 20% des budgets de Jazz à Vienne et Jazz au Phare, 10% à Marciac.
Pour les partenaires privés, c'est plus délicat. Même si, affirme le responsable viennois, "il y a une vraie solidarité qui se crée". Il souligne : "Ils traversent eux aussi des périodes de difficultés. Nous allons faire appel à leur solidarité, leur générosité, mais je ne peux pas vous dire aujourd'hui quelle sera leur réponse", s'inquiète le patron de Jazz in Marciac, dont le "fonds de réserve est notoirement insuffisant pour faire face à une telle situation".
L'importance de la billetterie et du retour de la "confiance"
Mais l'essentiel du financement est constitué par la billeterie et les recettes annexes : 50% à Jazz au Phare, 60% à Vienne, près de 70% à Marciac. Les festivaliers ayant déjà acheté des billets pour 2020 se sont vu proposer de transformer leurs achats en dons. Jean-Louis Guilhaumon assure par ailleurs que plusieurs musiciens ont promis de respecter leur engagement en 2021.
Mais une reprise d'activité ne pourra se faire sans le retour de la "confiance", "la clé" selon Samuel Riblier et Jean Chavinier. "J'espère qu'à un moment donné, on l'aura [le virus] oublié et qu'on ira dans les festivals ou les concerts sans avoir peur de frôler quelqu'un", souligne Samuel Riblier. En attendant, "l'été risque d'être très long".
Le lourd tribut payé par les artistes
Enfin, les musiciens payent également un très lourd tribut à cette crise. "Pour l'instant, je touche 49% de mon salaire", explique à l'AFP le guitariste Sylvain Luc, dont tous les concerts jusqu'à fin septembre sont annulés. "Cela va être ensuite dégressif jusqu'en décembre puis, si aucune mesure n'est prise par le gouvernement, je n'aurai plus rien pour l'intermittence à partir de janvier", s'inquiète le jazzman qui n'entrevoit pas de reprise d'activité avant 2021.
"On poste toutes sortes de choses sur les réseaux sociaux, pour continuer à travailler et être créatif, mais c'est terrible à la longue de jouer devant un téléphone", se désole-t-il. Extrêmement fragilisés, les intermittents du spectacle, privés de toute activité rémunérée, scrutent avec angoisse l'évolution de la situation. Afin de sensibiliser à leur sort très précaire, et réclamer la prolongation de leurs droits à des indemnités de chômage, deux pétitions ont été lancées.
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