Sempé, génie du dessin d'humour, orfèvre d'une poésie tendre et père du "Petit Nicolas"
Ses œuvres ont accompagné des générations d'écoliers, et il a distillé son humour tendre et sa poésie dans de nombreux organes de presse au fil du temps, de Paris à New York. Le dessinateur Jean-Jacques Sempé s'est éteint jeudi 11 août.
Le dessinateur Jean-Jacques Sempé est mort jeudi 11 août 2022 à l'âge de 89 ans. Cet immense dessinateur a mis en images les aventures du Petit Nicolas, imaginées avec René Goscinny, et a enchanté le monde avec ses dessins drôles et poétiques, publiés dans la presse et rassemblés dans des albums. À partir de 1978, une centaine de ses dessins ont fait la couverture du journal The New Yorker. Certains ont été partagés par ses admirateurs sur Twitter en réaction à l'annonce de sa mort.
La semaine dernière, Paris Match a publié un dessin de Sempé aux accents prémonitoires par sa légende : "Pense à ne pas m'oublier."
"Pense à ne pas m'oublier." Le dernier dessin de #Sempe paru dans "Paris Match" la semaine dernière. pic.twitter.com/RGgwWgLoto
— Willy Le Devin (@Will_ld) August 12, 2022
Une "enfance lugubre" dans le sud-ouest
Enfant "naturel" né le 17 août 1932 à Bordeaux, Jean-Jacques Sempé a grandi dans le sud-ouest avec ses deux sœurs, sa mère et son beau-père, "monsieur Sempé", représentant de commerce. L'ambiance n'est pas au beau fixe dans cette maison où l'on crie beaucoup, et où les livres se font rares. Une "enfance lugubre", confiera-t-il plus tard. Le garçon se réfugie à l'école, et dans les livres, qu'il dégote à droite et à gauche, ainsi que dans la musique,
Après avoir interrompu sa scolarité pendant la guerre, il commence à dessiner à 12 ans, réussissant à vendre quelques dessins à la presse qu'il signe Dro (draw) tout en travaillant comme livreur à bicyclette, représentant en dentifrice en poudre puis courtier en vin. C'est en 1951, dans le journal Sud Ouest, qu'il publie son premier dessin signé Sempé.
Le Petit Nicolas
En 1954, Sempé rencontre René Goscinny. Ensemble, ils donnent naissance au Petit Nicolas, inspiré par le caviste du même nom. Les aventures quotidiennes de ce petit garçon paraissent d'abord sous la forme d'une bande dessinée, un gag par planche, publiée chaque semaine dans l'hebdomadaire belge Le Moustique. Mais les aventures du Petit Nicolas en forme de BD s'arrêtent assez vite, pour renaître quelques années plus tard sous forme de conte illustré, d'abord publié dans les colonnes de Sud Ouest Dimanche. "Je déteste la bande-dessinée. Je ne sais pas en faire, et puis ça ne m'intéresse pas du tout", confiait Sempé en 2020 à France culture.
"Nicolas ressemble à tous les enfants que je dessine en général, ou à la façon dont je me figure que sont faits les enfants"
Sempéà Pierre Dumayet (Lectures pour tous, 1961)
Le succès est immédiat et le premier album paraît l'année suivante. Les histoires sont ensuite publiées dans le magazine Pilote. En dix ans de collaboration, Sempé illustre, avec près de mille dessins, plus de 200 histoires écrites par Goscinny. Quatre albums sont publiés entre 1960 et 1964. À partir de 2004, les Histoires inédites du Petit Nicolas sont publiées chez IMAV éditions par Anne Goscinny, et connaissent un très grand succès.
Les aventures du Petit Nicolas sont traduites dans une quarantaine de pays dans le monde et ont été adaptées au cinéma par Laurent Tirard l'année du cinquantenaire : Le Petit Nicolas en 2009 sera suivi en 2014 par Les vacances du Petit Nicolas.
Sempé est aussi le père de Marcellin Caillou, Raoul Tabourin et Monsieur Lambert et il a publié des milliers de dessins dans la presse à partir de 1953, d'abord dans Le Rire, Noir et Blanc, Ici Paris, puis dans Samedi soir ou France Dimanche. Il se fait connaître du grand public à la fin des années 1950 avec ses dessins publiés dans Paris Match et Pilote (dès son lancement en 1959), mais aussi à l’étranger dans Punch et Esquire (1957). Il collabore ensuite à L'Express, au Figaro, au Nouvel observateur, et à partir des années 1980 à Télérama, qui publie chaque été ses albums en avant-première.
À partir de 1962, il commence avec Rien n'est simple, à publier un album chaque année aux éditions Denoël, rassemblant ses dessins. Près de trente albums sont parus entre 1962 et 2010.
Chroniqueur de son temps
Souvent une planche accompagnée d'un texte court, trait fin à l'encre et parfois aquarellé, les dessins de Sempé sont reconnaissables entre tous. Imbattables pour traduire une ambiance, une atmosphère ou encore des émotions, ses dessins suscitent le rire, la tendresse, et la réflexion. Le dessinateur a croqué la vie sous toutes ses formes, avec tendresse, et toujours avec un trait d'humour et une grande poésie.
Observateur infatigable de son temps, il a signé des dessins qui témoignaient de la vie de la société des années 50 à nos jours. Génie du décor, il savait aussi bien traduire l'architecture et le gigantisme des villes modernes que le foisonnement joyeux d'une campagne printanière. Il savait croquer la solitude, la foule, l'absurdité, la timidité aussi bien que la vanité, l'amour autant que les querelles de couple, et il savait dessiner l'enfance comme personne, peut-être parce que comme il le disait, "il lui était arrivé de devenir, par moments, raisonnable mais jamais adulte".
Grand prix de littérature de la ville de Bordeaux en 1987, nommé Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres en 2006, marié deux fois, Jean-Jacques Sempé a eu un fils et une fille. Une grande exposition, "Sempé en liberté, itinéraire d’un dessinateur d’humour", lui avait été consacrée en 2019 au musée de la Marine Bordeaux pour ses soixante-dix ans de carrière.
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