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"Stardust", dernier roman très personnel de Léonora Miano sur ses premières années à Paris dans un centre d'hébergement d'urgence

La romancière franco-camerounaise publie dans la rentrée littéraire d'automne un roman très personnel dans lequel elle fait le récit de sa jeunesse et de son expérience de la précarité et de l'exclusion quelques temps après son arrivée en France. Un roman à la fois intime et universel sur les douleurs de l'exil, et un portrait édifiant de la France "souterraine".

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Portrait de la romancière et dramaturge Léonora Miano, 2022 (Elom 20ce)

Léonora Miano, lauréate du Goncourt des Lycéens en 2008 et du Femina en 2013 avec La saison de l'ombre, revient dans cette rentrée littéraire avec un texte très personnel, écrit il y a plus de vingt ans, et jamais publié. Ce roman d'inspiration autobiographique, qui raconte ses premières années à Paris, de galères et de précarité, parait le 31 août aux éditions Grasset.

L'histoire : Louise,  23 ans et sa fille, Bliss, âgée de quelques mois, sont accueillies dans un centre de réinsertion et d'hébergement d'urgence du 19e arrondissement parisien. La jeune femme a quitté le Cameroun pour venir étudier en France, et surtout pour devenir chanteuse, son rêve. Puis elle a rencontré un garçon, est tombée enceinte et a abandonné la fac, puis le garçon.

Sans ressources, sans papiers, avec une petite fille à charge, Louise découvre la France des marges, de la précarité, bien loin de l'image papier glacé qu'elle s'en était faite depuis le Cameroun. Au cours de ces rudes années, la jeune femme fait l'expérience de la violence de l'exclusion. Une exclusion qu'elle subit en tant que femme, en tant que femme noire, en tant que femme noire seule avec un enfant, sans papiers, et sans domicile. Une addition qui la rend plus vulnérable.

Dans le centre d'hébergement, elle croise des êtres perdus, aux parcours cabossés, aux trajectoires accidentées, aux enfances violentées. La jeune femme observe, reste sur ses gardes, évite de tisser des liens. Elle se met en mode survie et se bat pour sa fille, et pour elle-même. Au milieu des ténèbres, c'est aux mots, à la poésie et à la musique, qu'elle s'accroche, ainsi qu'aux souvenirs lumineux de son enfance au Cameroun, avec sa grand-mère, à qui elle écrit régulièrement.

"Trop désireuse d'être libre"

On suit pas à pas le parcours de Louise, et les écueils auxquels la jeune femme doit faire face, de l'insistance d'un propriétaire libidineux, à l'assurance obséquieuse des travailleurs sociaux, qui "comme l'ensemble de la société, croient savoir d'où sont les êtres et où il est bon qu'ils s'établissent".  Louise fait le dos rond, et tout ce qu'il faut pour mettre en sourdine l'impétuosité de son tempérament, "trop curieuse pour une fille, trop désireuse d'être libre".  

Si Léonora Miano a tant attendu avant de publier ce texte, c'est qu'elle craignait de se voir enfermer dans l'image de "la SDF qui écrit des livres", explique-t-elle en préambule de son livre. "Je connais la société française et sa propension à enfermer ses minorités en particulier dans ses aspects dégradants". 

"A bientôt cinquante ans, après de nombreuses publications et quelques belles récompenses, je n'ai plus rien à prouver"

Léonora Miano

dans "Stardust"

Ce livre, "amendé au fil des années", conserve l'empreinte de la rage qui l'habitait alors. L'écrivaine l'a voulu en forme de roman, même s'il est très personnel. "Il  ne s'agit pas du journal des mois passés au sein de cet établissement", précise-t-elle. "Mon souhait était surtout de me pencher sur ma vie à l'intérieur de ce foyer, de me libérer des histoires, des visages, qui plusieurs années après, continuaient à me hanter".

Écrit du point de vue exclusif de Louise (deuxième prénom de la romancière), le texte est déployé à la troisième personne du singulier, choisie par l'auteure pour éloigner "les périls d'une traversée de sa propre infortune". Au-delà de ce récit très intime, c'est un portrait de la France, et de ses paradoxes, que dresse Léonora Miano. Un récit qui explore depuis ses marges la capacité d'un pays à accueillir l'étranger.

La romancière épingle autant l'état d'esprit de l'ancien peuple colonisateur, que les institutions comme l'école, qui omet depuis la décolonisation d'intégrer ce pan de l'histoire dans son enseignement, excluant de fait l'histoire des enfants issus de ses anciennes colonies.

Louise est jeune, mais elle observe ses congénères, une majorité de "pas blanches", "dépassées par un monde qui change trop vite", "montrées du doigt par un système qui a refusé de la accueillir pleinement".

"Beaucoup de jeunes filles ne sont que des enfants sauvages. Des fleurs de pavés. De l'herbe folle jaillie du béton. Elles sont agressives, n'ont que des systèmes de défense. Une rage dont elles ne connaissent ni l'amont ni l'aval."

Léonora Miano

dans "Stardust"

Au centre d'hébergement, c'est chacun pour soi. Trop de souffrances juxtaposées pour tisser des liens. "Il n'a fallu qu'un court laps de temps pour sentir le poids de la souffrance qui s'entasait là. Elle a vite compris qu'il faudrait s'en protéger le plus possible. Ne pas se lier. Ne compter que sur soi".

"La France souterraine"

Louise, et toutes ces jeunes femmes échues dans ce centre d'accueil sont "dans une France souterraine d'où elles entendent la rumeur du pays qu'elles croyaient trouver : celui où elles devaient devenir des êtres modernes, développés". Beaucoup d'entre elles ne quitteront pas les marges.

Mais Louise a une chance que ses comparses d'infortune n'ont pas toutes eue. Il est ici beaucoup question des mères, et de leur absence. Celle de Louise n'a pas non plus été à la hauteur, mais la jeune femme a trouvé sa place dans une filiation qui traverse le temps, entre sa grand-mère à sa fille. "Leur amour, leur confiance, furent mon armure et ma boussole".

Son "aspiration à la verticalité", Louise la puise aussi beaucoup dans la poésie, dans la capacité des mots à renverser le destin. C'est par eux qu'elle finit par trouver la porte de sortie de la précarité et de l'exclusion. 

En redonnant, trente ans après, sa voix à Louise pour dire cette expérience, la romancière rend hommage à la jeune femme qu'elle fut, cette "poussière d'étoiles" comme l'appelait sa grand-mère, et à toutes "les passagères" qui ont croisé sa route entre l'été et l'automne 1996. Ce livre bouleversant leur est dédié.  

 

Stardust, de Léonora Miano (Grasset, 220 pages, 18,50 €)  

Extrait :

"Je file dehors, étourdie de joie. Je porte une jolie robe à dos nu. Elle est rouge. C'est ma couleur préférée. Contre le mur de ta maison en planches, de petits piments verts poussant sur un arbuste me tentent. Je les porte à la bouche. Ça brûle !
Geste enfantin, annonciateur de méprises futures. Chez moi, la réflexion a souvent succédé à l'action. La passion a fréquemment dominé la raison. L'imprudence a ses conséquences. La mienne m'a conduite ici." (Stardust, page 16)

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