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"La saison de l'ombre" : le voyage de Léonora Miano au cœur de l'âme africaine

"La saison de l'ombre" est le septième roman de Léonora Miano. Elle y raconte les débuts de la traite des esclaves en Afrique Subsaharienne. Comment les membres d'un petit village de la brousse d'Afrique le l'Ouest ont-ils vécu cette histoire ? Un point de vue inédit, dans une langue puissante, qui donne toute sa force à ce roman couronné par le prix Fémina 2013.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
"La saison de l'ombre" (Grasset) de Léonora Miano, est en lice pour le Prix Roman France Télévisions 2013, qui sera remis le 12 décembre.
 (Grasset)
L'histoire : elle commence avec les femmes. Celles dont les fils ont disparu. Il y a eu la nuit du grand incendie. Un jour noir, qui marque le début de la fin du clan Mulongo. Personne ne sait ce qui s'est passé ce jour-là. Ni pourquoi le feu a pris, ni où les hommes ont disparu. Dès le lendemain, les femmes qui ont perdu leurs garçons sont isolées dans une case, placées en quarantaine. Elles ne doivent pas contaminer les autres avec leur désespoir.

On est en Afrique. C'est le clan qui compte avant tout. La communauté doit être protégée, le chagrin mis à l'écart. La société fonctionne depuis toujours selon des codes que chaque individu, hommes, femmes, enfants, respectent. Leur monde s'arrête non loin de là, toujours dans la brousse, où vit un autre peuple, plus nombreux, plus puissant, les Bwele. Les Mulongo commercent et entretiennent avec eux de bonnes relations. Personne n'est allé au delà.

La capture

La nuit du grand incendie ouvre une brèche, fait reculer les frontières et laisse entrevoir l'existence d'un monde plus vaste, où des  "étrangers aux pieds de poules" arrivent de l'Océan dans de grandes pirogues, couvrent les peuples côtiers de présents, en échange de quoi ils exigent que leurs soient livrés hommes et femmes destinés à les servir.

Occidental et offensif, le mot "esclavage" n'est jamais prononcé. Ni le mot "Blanc", ni le mot "colonialisme". Quand le cataclysme surgit, les Mulongo ne peuvent pas le nommer. La violence, les entraves, les crânes rasés, la complicité des frères d'hier, rien de tout cela n'est accessible à la compréhension des Mulongo, dont l'horizon est limité à la brousse. De ce côté-là on parle des "captifs". C'est la "saison de l'ombre" qui commence. Une saison d'obscurité. Une saison où le monde, renversé, n'a plus de sens.

La mémoire

C'est toute la puissance de ce roman. Pas de discours, mais l'évocation d'une histoire vécue par un peuple dans sa chair. L'histoire d'une communauté humaine "primitive" codifiée,  avec ses rites, ses connaissances, sa médecine, ses croyances. La romancière raconte très bien comment le monde occidental pénètre cette Afrique ancestrale. Par la force, mais aussi par simple capillarité. Le frottement avec un autre monde, jusqu'ici même pas envisagé, condamne l'ancien à disparaître.

Mais comme le dit la survivante, une aînée, à la fin du roman, "on ne peut dépouiller les êtres de ce qu'ils ont reçu, appris, vécu (…) Les ancêtres sont là, et ils ne sont pas un enfermement. Ils ont conçu un monde. Tel est leur legs le plus précieux : l'obligation d'inventer pour survivre".

Le roman de Léonora Miano est un récit inédit et bouleversant de cette histoire, qui n'est autre que celle de l'humanité.


La saison de l'ombre Léonora Miano (Grasset – 240 pages – 17 Euros)

"La saison de l'ombre" est en lice pour le Prix du Roman France Télévisions, qui sera décerné le 12 décembre 2013.

Léonora Miano est née en sur la côte camerounaise en 1973 et y passe son enfance et son adolescence. Elle vit en France depuis 1991. Léonora Miano a écrit sept romans, des nouvelles et un texte pour le théâtre. Son premier roman "L'intérieur de la nuit" (Plon, 2005) a reçu de nombreux prix. En 2006, elle reçoit le Goncourt des lycéens pour "Contour du jour qui vient" (Plon). Elle a reçu le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire pour l'ensemble de son œuvre, en 2012. 


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