Cet article date de plus de quatre ans.

Affaire Gabriel Matzneff : quatre questions sur la démission de Christophe Girard, l'adjoint d'Anne Hidalgo

L'ancien adjoint à la Culture de la mairie de Paris, qui a démissionné jeudi de ses fonctions, a occupé, entre 1986 et 1987, le poste de secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent. Une structure qui a apporté, dans les années 1980, un soutien financier à l'écrivain accusé de "viols sur mineurs".

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
L'ancien adjoint à la Culture de la mairie de Paris Christophe Girard, le 18 décembre 2013 dans la mairie du 4e arrondissement de la capitale. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

"Ecœurée". Anne Hidalgo a confié son dégoût après la démission du plus ancien membre de l'exécutif de la mairie de Paris Christophe Girard, jeudi 23 juillet. La position de l'adjoint à la Culture était devenue difficilement tenable depuis que des élus écologistes, membres de la majorité municipale, demandaient la suspension de l'élu, auditionné en mars dans l'enquête "pour viols sur mineurs" visant Gabriel Matzneff.

>> L'article à lire pour comprendre l'affaire Gabriel Matzneff, un écrivain aux pratiques pédophiles assumées

"J'ai 64 ans, une vie de famille épanouie et de nombreux engagements culturels, politique et associatifs, et n'ai nullement envie de pourrir ma vie plus longtemps et de m'emmerder à me justifier en permanence pour quelque chose qui n'existe pas", a déclaré Christophe Girard dans un communiqué pour expliquer son départ. Franceinfo vous résume ce qui est reproché à l'adjoint et les conséquences de sa démission.

1Quels liens entretenaient Christophe Girard et Gabriel Matzneff ?

Christophe Girard a occupé, entre 1986 et 1987, le poste de secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent. A cette période, Gabriel Maztneff vit avec Vanessa Springora, 14 ans. Cette dernière raconte, dans son roman autobiographie Le Consentement, la relation sous emprise qu'elle a entretenue avec l'écrivain lorsqu'elle était mineure et qui l'a dévastée. En mars 1987, Gabriel Matzneff a 50 ans et s'installe avec l'adolescente à l'hôtel Taranne, près du jardin du Luxembourg, à Paris, précise Mediapart (pour abonnés), pour éviter une enquête de police. "Il loue désormais à l'année une chambre d'hôtel pour échapper aux visites de la brigade des mineurs (qu'il appelle des "persécutions")", écrit l'autrice dans son roman. "Un généreux mécène, inconditionnel de son œuvre, finance cet investissement substantiel", poursuit-elle.

Dans La Prunelle de mes yeux (1993), tome du journal dédié aux années 1986-1987 et à Vanessa Springora, Gabriel Matzneff écrit que la note de son hôtel était prise en charge par la Fondation Yves Saint Laurent. "Le collaborateur d'Yves Saint Laurent, ce charmant Christophe Girard que j'ai vu l'autre jour, m'a appelé ce matin pour m'annoncer que leur Fondation (cela mérite une majuscule !) allait désormais prendre en charge ma note d'hôtel", assure-t-il. Une affirmation qu'il répètera au New York Times, dans lequel il se rappelle de Christophe Girard "lui disant 'nous nous occupons de tout, les repas, tout' (...) et ça a duré je crois, deux ans, à peu près". Toujours selon l'écrivain, le secrétaire général lui aurait répondu : "Pour nous, c'est une goutte d'eau, ce n'est rien, nous vous aimons beaucoup."

Une version que tient à préciser Christophe Girard dans un communiqué publié sur Twitter, le 12 février, au lendemain de la parution de l'article du quotidien américain. "Dans le cadre de mes fonctions et au titre du soutien que la société apportait à de nombreux artistes en difficulté momentanée (Marguerite Duras, Tsilla Chelton, Hervé Guibert, Patrick Thévenon, Rudolf Noureev…), l'écrivain Gabriel Matzneff a bénéficié, selon les instructions de M. Bergé, d'un soutien pour le règlement de frais d'hébergement, à la suite d'une opération chirurgicale des yeux."

L'écrivain assure également que les deux hommes se côtoyaient. Ils auraient pris "un verre", chez Lipp, une brasserie réputée de Saint-Germain-des-Prés, le 17 juin 1987, rapporte Mediapart. Il aurait également eu une "chaleureuse, réconfortante conversation", avec le secrétaire général après que ce dernier avait été "informé de [ses] actuelles difficultés", écrit l'auteur dans La Prunelle de mes yeux (1993), livre d'ailleurs dédié à Christophe Girard.

2Quels sont les reproches adressés à Christophe Girard ?

Les liens qui semblent étroits entre l'auteur et Christophe Girard sont sous le feu des critiques. Quand l'article du New York Times est publié, l'élu est en pleine campagne pour les municipales. Après son communiqué publié sur Twitter, il accorde un entretien au Parisien. L'adjoint à la mairie y confirme qu'il s'est occupé de la chambre d'hôtel de Gabriel Matzneff mais assure qu'il ne savait pas "qu'il cherchait à échapper à la brigade des mineurs".

On ne l'a pas soutenu parce qu'il était pédophile, mais parce que c'était un écrivain en difficulté.

Christophe Girard, adjoint à la mairie de Paris

au "Parisien"

Il affirme également dans l'entretien que l'écrivain "n'est pas un ami proche". "C'est une relation amicale. J'ai dû dîner trois ou quatre fois avec lui en trente ans. Il dit que je suis l'un de ses meilleurs amis. C'est un peu excessif, explique-t-il (...) Si, aujourd'hui, Gabriel Matzneff m'appelle, je le prendrai au téléphone, mais je ne l'aiderai pas."

Dans son article, le New York Times affirme aussi que si l'écrivain perçoit, depuis 2002, une allocation annuelle à vie du Centre national du livre (CNL), c'est grâce au soutien de Christophe Girard, qui a été adjoint à la Culture du maire de Paris, Bertrand Delanoë. A l'époque, Gabriel Matzneff "avait déposé un dossier pour demander une bourse d'écriture. Mais les écrivains retraités n'y avaient pas droit. Cette demande lui a donc été refusée, explique à L'Opinion l'actuel directeur du CNL, Vincent Monadé. Il a alors remué ciel et terre pour faire pression sur le CNL, du président du CNL, Jean-Sébastien Dupuis, au ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon en passant par Christophe Girard et d'autres, des personnalités importantes, membres de l'Académie française ou prix Goncourt, qui sont intervenus en sa faveur. Au final, la pression a été telle qu'il a obtenu cette allocation annuelle pour les auteurs."

L'élu assure ne plus se souvenir de la façon dont s'est déroulé l'octroi de cette allocation. "Je crois que Gabriel Matzneff m'avait demandé une lettre de soutien. Ça devait être une lettre-type. Elle peut exister. A l'Hôtel de ville, on l'a cherchée dans les archives, mais personne ne l'a trouvée", précise-t-il dans Le Parisien. "Il est fréquent que les auteurs en difficulté financière sollicitent des lettres de recommandation", avait-il avoué dans son communiqué sur Twitter. L'adjoint a ensuite été entendu comme témoin dans l'affaire Matzneff le 4 mars, dans le cadre de l'enquête ouverte pour "viols commis sur mineurs" de moins de 15 ans à l'encontre de l'écrivain, a révélé Mediapart

3Qui a réclamé sa démission ?

Les élus écologistes, alliés de la maire PS de Paris Anne Hidalgo, ont demandé de suspendre de ses fonctions son adjoint à la Culture, Christophe Girard. "Nous nous opposons à la nomination de Christophe Girard au sein de notre exécutif", ont écrit les membres du groupe écologiste de Paris dans un courrier adressé dimanche 19 juillet à la maire de Paris et diffusé le lendemain sur Twitter par la conseillère de Paris Alice Coffin.

En réponse, le premier adjoint d'Anne Hidalgo, Emmanuel Grégoire, a tenu à rappeler lundi qu'"il n'y a aucun reproche qui a été formulé [à Christophe Girard] puisqu'il n'a ni le statut de témoin assisté, ni de mis en examen", depuis son audition en mars. Il n'y a "aucune raison d'écarter Christophe Girard de notre équipe, pour des raisons juridiques, morales et éthiques", a-t-il ajouté.

Mais jeudi, quelques dizaines de militants d'associations féministes, accompagnés par des élus écologistes, ont réclamé le départ de Christophe Girard sous les fenêtres de l'Hôtel de ville, où se tenait le premier Conseil municipal de la mandature. "Il ne suffit pas d'avoir un casier judiciaire vierge pour être adjoint à la mairie de Paris, il faut aussi des qualités éthiques et morales. Le soutien à Gabriel Matzneff disqualifie Christophe Girard pour ce genre de responsabilités", a déclaré lors de ce rassemblement l'élue écologiste Raphaëlle Rémy-Leleu. 

4Quelles sont les conséquences à la mairie de Paris ?

Ce départ pourrait laisser des traces au sein de la majorité parisienne. Réélue le 28 juin au second tour avec le soutien des élus écologistes, Anne Hidalgo n'a pas caché ses regrets après le départ de Christophe Girard, qu'elle a toujours défendu. Il "n'est ni de près ni de loin concerné par cette affaire. Il a été entendu comme témoin mais n'est visé par aucune plainte. Pour moi, c'est un non-sujet. Il ne faut pas jouer avec des questions aussi graves sur la base de rumeurs, d'amalgames ou de boules puantes", assurait-elle dans une interview au Parisien après sa réélection.

Emmanuel Grégoire a assuré vendredi sur franceinfo qu'il allait "demander des excuses (...) non pas sur leur mobilisation, elles ont le droit (...), mais sur les excès" à ses alliées écologistes. "Ce que nous regrettons, voire même suscite de notre part une forme d'écœurement, pour reprendre les mots d'Anne Hidalgo, c'est les excès auxquels nous avons assisté", a-t-il déclaré. Il pointe du doigt des pancartes "inadmissibles", notamment celle où l'on pouvait lire "bienvenue à 'pédoland'" et un détournement du logo de campagne, "y compris celui des écologistes au second tour, 'pédo en commun'". "La fin ne justifie pas les moyens", a-t-il dénoncé.

Nous avons un problème.

Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris

à franceinfo

"Il y a eu un manque de respect évident", a-t-il regretté. Selon le sénateur PS Rémi Féraud, maire du 10e arrondissement qui préside le groupe Paris en commun, cité par une journaliste du Figaro, Anne Hidalgo "ne considère plus que les deux élues à l'origine de la manifestation" de jeudi, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, "font partie de la majorité"

Quelques heures plus tard, une standing ovation au Conseil de Paris après un "salut républicain" exprimé par le préfet de police, Didier Lallement, rejoint par Anne Hidalgo, a provoqué la fureur de l'élue écologiste Alice Coffin. 

Une journée brûlante pour la majorité parisienne, qui s'est conclue par l'annonce d'Anne Hidalgo de saisir la justice pour "les graves injures publiques" prononcées contre la mairie. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.