: Interview José Bové, héros du film "Une affaire de principe" : "Antoine Raimbault a tout de suite vu le côté cinématographique de notre enquête, avec ses rebondissements"
Pour son second long-métrage, après le très réussi Une intime conviction, Antoine Raimbault s'attaque à une enquête d'un autre genre, menée il y a dix ans par José Bové et son attaché parlementaire dans l'affaire du "Dalli Gate". Véritable thriller qui tient en haleine le spectateur de bout en bout, le film raconte l'enquête pour démêler une affaire de lobbying des géants du tabac, qui a ébranlé les institutions européennes au plus haut niveau.
Une affaire de principe, qui sort dans les salles le 1er mai, est une adaptation de Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l'Europe, un livre dans lequel José Bové fait le récit de ses combats quand il était député européen. Le film met en lumière le pouvoir des lobbies et les conflits d'intérêts qui s'exercent parfois dans les institutions européennes, et le rôle majeur des parlementaires européens pour que soient garantis "les règles démocratiques, et l'intérêt général contre les intérêts privés".
À quelques semaines du premier tour des élections européennes, le cofondateur de la Confédération paysanne, figure du mouvement altermondialiste, retrousse à nouveau les manches, cette fois pour défendre un film dont il est le personnage principal, et qui, il l'espère, incitera les citoyens à se déplacer aux urnes. Il confie à Franceinfo Culture les coulisses de cette aventure.
Franceinfo Culture : comment avez-vous réagi quand le réalisateur vous a parlé du projet de faire un long-métrage à partir d'un épisode de votre vie de parlementaire européen ?
José Bové : C'est Robert Guédiguian, que je connais bien – on a milité ensemble longtemps dans le mouvement altermondialiste – qui m'a parlé du projet. J'ai rencontré Antoine Raimbault et son coscénariste, avec Jean-Marc, mon assistant, avec qui j'ai mené cette enquête, joué dans le film par Thomas VDB. Ils sont venus à la maison et on a passé un week-end entier à parler de l'affaire, de cinéma, de son premier film, Une intime conviction, que j'avais beaucoup aimé. Voilà, c'est comme ça que ça a démarré. Je me suis dit que c'était une chance que cette histoire tombe entre les mains de quelqu'un comme ça, d'aussi consciencieux. Je pressentais que je pouvais faire confiance.
Comment êtes-vous intervenu dans la genèse et la réalisation du projet de film ?
Antoine avait déjà récolté pas mal d'informations. Au départ, il voulait réaliser un film sur les lobbies, sur les conflits d'intérêts, et à ce moment-là, il est tombé sur le chapitre de mon livre consacré à l'affaire Dalli [Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l'Europe en collaboration avec Gilles Luneau, Éditions La Découverte, 2015]. Et là, il s'est dit tiens, voilà une histoire avec des personnages que l'on n'attend pas, qui ne sont pas des enquêteurs classiques. Parce que c'est vrai, je ne suis ni policier, ni magistrat, ni journaliste. C'est une enquête de parlementaires et d'assistants parlementaires qui se regroupent et qui essaient de défendre une affaire de principe.
C'était un défi, quand même, de réaliser un film trépidant avec cette histoire, non ?
C'est vrai que sur le papier, ce n'était pas très sexy, mais Antoine Raimbault, ça l'a intéressé. Le déroulement de notre enquête avec ses rebondissements, il a tout de suite vu le côté cinématographique de l'histoire. Quand j'ai écrit le livre, je n'aurais jamais imaginé que ça pourrait devenir un film. C'est la magie des rencontres. C'est d'abord une rencontre entre des gens qui se font confiance, et puis un réalisateur qui est capable de trouver les bonnes personnes pour incarner cette histoire. Il a inventé ce personnage extraordinaire de Clémence, absolument magnifique, qui incarne le passage de génération, joué par Céleste Brunnquell, qui crève l'écran. Et Thomas VDB, il incarne Jean-Marc, ce personnage qui est a ses hauts et ses bas, et a aussi sa façon à lui d'agir. Et Bouli Lanners fait une interprétation que je trouve extraordinaire. Il fait de moi un vrai personnage de cinéma. Tout ça pour dire que c'est une belle alchimie. Je crois qu'Antoine Raimbault a inventé un genre, le thriller politique à la française.
Vous avez participé à l'écriture du scénario ?
Non, pas du tout, parce que tout était déjà là. L'enquête était bouclée depuis dix ans, donc de ce côté-là, le travail était fait. Après, c'est le cinéma qui intervient. C'est comment faire de cette enquête, qui s'est déroulée sur presque deux ans, un film d'une heure trente, comment trouver une dynamique, un caractère visuel, et faire passer de manière cinématographique un certain nombre d'informations, de messages et de valeurs. Là-dessus, avec Jean-Marc, on l'a laissé faire. C'est la magie du cinéma. On a relu le scénario, mais on n'est pas du tout intervenus, sauf pour des détails, pour la cohérence, et la vraisemblance par rapport au fonctionnement des institutions européennes. Mais pour le reste, on lui a laissé une liberté totale.
Ça fait quoi de se voir sur grand écran ?
C'est quand même curieux. C'est une espèce de dédoublement de personnalité, on est soi-même dans le fauteuil, on a quelqu'un qui est vous-même aussi en face et qui bouge et qui n'est pas vous, mais qui est vous en même temps. Mais quand je vois le film terminé, monté, avec la musique, au bout de quelques minutes, je suis pris par le thriller, comme un spectateur qui a envie de se laisser embarquer. C'est comme si je découvrais l'intrigue, parce que l'intrigue de cinéma ne peut pas être la même que dans la vie, puisque la durée n'est pas la même. Donc il faut inventer, et ça, c'est là toute la force du cinéma, de rendre cinématographique une enquête qui se fait avec des téléphones portables, des coups de fil, des dossiers qu'on consulte, qu'on essaie de récupérer. Donc, c'est complètement une autre chose, et ça, c'est génial. Et moi, je suis très bon public, alors je fonce tout de suite, j'adhère !
Est-ce que vous avez trouvé le film vraisemblable ?
Ah oui, c'est plus que vraisemblable. D'ailleurs, l'affaire est en train de rebondir de manière incroyable. Giovanni Kessler, l'ancien responsable de l'Olaf (Office européen de lutte antifraude) qui avait fait appel, a déclaré à la barre qu'il avait reçu des ordres directement de Barosso pour mener l'enquête de cette manière. C'est ce que l'on soupçonnait, et qui est suggéré dans le film.
La réalité dépasse la fiction ?
Les gens vont penser qu'on a payé Kessler pour faire ces déclarations pile au moment où le film est en promo ! (rires). En tout cas, ce nouveau rebondissement, ce serait une vraie scène de cinéma. Sinon, bien sûr, il y a des moments, des choses qui se passent dans la réalité qui ne sont pas cinématographiques, et qu'il faut mettre en scène, mais ça n'enlève rien à la vérité des faits. Donc, oui bien sûr, il y a une ou deux scènes qui sont construites pour permettre d'illustrer cette réalité autrement. Mais évidemment, on ne va pas dire lesquelles !
Vous avez l'image de quelqu'un de très volcanique, et pourtant dans le film, vous apparaissez comme un personnage modéré, posé, qui donne des leçons de calme à la jeune stagiaire. Est-ce que cela vous ressemble ?
J'ai toujours agi de la même manière. Que ce soit pour le démontage du MacDo de Millau ou les fauchages, tout est toujours organisé, annoncé, public, et mené de manière non violente. On assume toujours nos actes. Là, dans cette enquête, on peut désobéir, être à la limite en faisant les choses pas tout à fait comme ferait le commun des élus, c'est toujours cette stratégie d'essayer de mener le combat jusqu'au bout. Ça peut durer un an, 10 ans, on n'en sait rien, mais on y va quand même. C'est comme ça qu'on a gagné sur les OGM ou le gaz de schiste... Et puis, il y a un rapport de force, qui intègre aussi un rapport individuel avec des gens que vous pouvez avoir en face de vous. Dans le film par exemple, quand Kessler est interrogé par la commission du contrôle budgétaire, je m'assois en face de lui là – et ça, c'est réel, ça s'est vraiment passé comme ça – chaque fois qu'il disait un truc, je lui disais : "menteur, ce n'est pas vrai". À la fin, il craque. Quand il est sorti de la salle, il voulait me casser la figure et ce sont ses assistants qui l'ont retenu parce qu'il y avait des appareils photo et que ça aurait fait désordre...
"Donc je vais jusqu’au bout, pour faire craquer l’adversaire, ce sont des rapports de force. Ce sont des conflits. C’est rude, mais il faut les mener d'une manière qui soit compatible avec les valeurs qu'on défend."
José BovéAncien député européen Europe Écologie
La fin et les moyens, c'est très important pour moi. Comme le disait Gandhi, "La fin est dans les moyens, comme l'arbre est dans la graine". Pour moi, on ne peut pas aller vers quelque chose de juste avec des moyens qui ne le sont pas.
La fin ne peut pas justifier pas les moyens ?
Ah non, jamais. C'est tout le problème avec les révolutions. On l'a vu avec la Terreur pendant la Révolution française. Je suis anti-machiavel !
Pour la plupart des gens, l'Europe et les institutions européennes, c'est assez abstrait, et surtout, mal connu. Est-ce que vous pensez que le film peut changer cette image ?
Ce que le film montre, c'est que la majorité au Parlement européen, ça n'existe pas. Il faut en inventer une, en créer une pour chaque thème. Ce sont des compromis passés entre les différents groupes, et ça, en soi, c'est passionnant. Ce sont des pratiques totalement étrangères au fonctionnement politique français, où c'est tout noir ou tout blanc, la majorité ou l'opposition, où on est ou tout vilain ou tout gentil. Et ça n'a pas beaucoup de sens. Donc avec le film, les spectateurs vont pouvoir découvrir la complexité et les rouages démocratiques européens, et comment des bords politiques différents, voire opposés, peuvent travailler ensemble quand ils ont le même objectif. Dans le film, on voit que je travaille sur cette affaire avec Inge Grassle, présidente de la commission du contrôle budgétaire. Elle est membre du PPE, donc un parti de droite. En Europe, c'est normal, c'est comme ça que ça fonctionne et donc, c'est vraiment un apprentissage, et je pense qu'il est important que les Français comprennent que les dynamiques sont différentes.
Est-ce que vous pensez qu'un film, que le cinéma en général, peut jouer un rôle politique, en l'occurrence, éventuellement donner envie ou pas aux électeurs de se déplacer aux urnes pour les prochaines élections européennes ?
Je dirais que c'est notre intention commune avec Antoine Raimbault. Le Parlement européen, c'est quand même 700 députés. Et on les voit voter dans le film. C'est donc une manifestation de la démocratie, un enjeu important. Ces députés sont tous élus le même jour, ou presque, dans toute l'Europe, à la proportionnelle. C'est vraiment le choix des citoyens. Et là, les prochaines, c'est au mois de juin ! Quand on a commencé à travailler sur le film, il y a trois ans, on ne pensait pas aux élections européennes. Mais plus la fin du projet arrivait, plus la date des élections approchait, et donc à ce moment-là, Antoine s'est battu pour essayer de faire en sorte que le film sorte dans les salles avant les élections, dans un délai suffisamment long pour que les gens puissent aller le voir et qu'on ne se retrouve pas embringués dans la campagne. Le pari a été tenu et c'est super, puisqu'on a commencé la promotion le 20 mars et que le film sort le 1er mai, donc plus de cinq semaines avant les élections.
Donc, en même temps que la promotion du film, vous faites campagne pour que les citoyens aillent voter ?
Donc, oui, clairement, c'est maintenant la volonté de toute l'équipe, à la fois les vrais gens avec qui on fait partie de l'histoire, mais aussi l'équipe du film, le réalisateur et tous les comédiens. Ils sont tous chauds maintenant pour faire la promotion du vote aux élections européennes. Dans toutes les avant-premières, on leur dit que si chacun d'entre eux dans la salle réussit à convaincre dix personnes d'aller voter, ce sera déjà génial. Après, on verra bien pour qui ils votent, pourvu que ça défende la démocratie, que ça défende l'Europe, et qu'on puisse aller en avant vers des solutions démocratiques. Voilà, c'est ça qui compte. Peut-être qu'on parviendra à en convaincre quelques-uns. Si le cinéma peut servir à ça, c'est génial.
"Est-ce qu'un film, ou une chanson, peut changer le monde ? C'est compliqué, mais si ça pouvait contribuer à éveiller le sens civique, ce serait déjà une grande victoire."
José BovéAncien député européen Europe Écologie
Je ne dis pas que ce film va révolutionner le monde, mais si chacun fait un petit bout avec les moyens qu'il a, c'est déjà pas mal. Antoine Raimbault et ses comédiens, ils font ça avec le cinéma, et c'est magnifique. Je suis heureux, enchanté de contribuer à ça. Je suis très heureux d'en être. C'est pour ça que je fais la tournée avec eux, parce que ça me paraît vraiment important.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.