"Parfois les difficultés sont créatrices" : le réalisateur Fred Cavayé sur le tournage suspendu de "Adieu Monsieur Haffmann"
Le cinéaste nous raconte comment il a vécu la suspension de son tournage au début du confinement et comment il s’y est adapté.
Auteur de six long métrages, dont Pour elle, Jeu, et Radin !, le réalisateur Fred Cavayé était en plein tournage quand il a été mis en suspens dès l’instauration du confinement généralisé du au coronavirus. Sur le point de clore cette adaptation pour le cinéma de la pièce de Jean-Philippe Daguerre, Adieu Monsieur Haffmann, aux quatre Molière, cette nouvelle donne l’a obligé à revoir ses plans.
Quand le tournage a été interrompu, Fred Cavayé et son équipe tournaient en extérieur dans le XVIIIe arrondissement de Paris avec un décor reconstituant l’époque de l’Occupation en 1942. Il témoigne.
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Franceinfo Culture : Comment se présentait l’équipe de tournage quand vous avez dû l’interrompre ?
Fred Cavayé : On était une équipe d’une quarantaine de personnes, au moins, avec des décors compliqués. C’était déjà une gestion complexe, il fallait surveiller le plateau à la fin de la journée, et ça va devenir encore plus compliqué quand on va reprendre. Jusqu’alors il fallait interdire complètement l’entrée du décor et vue la configuration du lieu, il fallait beaucoup de personnes pour sécuriser l’endroit. Il fallait bloquer quatre rues, avec ce que l’on appelle des "bloqueurs". A la reprise, il en faudra moins.
D'autre part, il va falloir aussi réduire le nombre des six à sept assistants qui gèrent les arrivées et les départs des acteurs et des figurants. Donc, désormais les équipes séront réduites. Il va falloir corriger l'organisation, ce qui a un impact sur le scénario.
Où en êtes-vous en termes d'écriture depuis la suspension du tournage de "Adieu Monsieur Haffmann" ?
Parfois les difficultés sont créatrices. Je suis en train de réécrire le film pour m’adapter aux nouvelles mesures imposées par l’épidémie. Par exemple, j’avais prévu de reconstituer la rafle du Vel d’hiv avec 200 figurants, eh bien j’ai trouvé une solution beaucoup plus sobre, et qui marche mieux, du moins on verra... Même chose pour une scène de cabaret avec 70 figurants qui seront réduits à quatre.
Mais tous les metteurs en scène en cours de tournage ou d’écriture, et qui vont pouvoir reprendre cet été, doivent forcément faire des réajustements d’écriture. Cette scène de cabaret avec 70 personnes, je ne pourrais pas le faire. Donc, je réécris cette scène que je ne pourrai pas tourner. Il y a des choses qui ne sont plus possibles.
Après, il va falloir voir comment on va pouvoir s'organiser sur le plateau. J’avais une scène de baiser par exemple ; maintenant, avec la distanciation imposée, comment la tourner ? Pendant quelques temps, ces nouvelles conditions vont changer beaucoup de choses qui vont impacter l'écriture et la mise en scène.
Suite aux annonces de Emmanuel Macron la semaine dernière sur le déblocage des tournages, vous espérez pouvoir reprendre le vôtre courant juin, selon ses prérogatives ?
Oui tout à fait. Parce que ce décor à Montmartre ne va pas pouvoir rester indéfiniment monté en l’état. Même s’il est devenu après les mesures de confinement un lieu de visite, il a aussi été un peu dégradé. On a pris la précaution par exemple de retirer les affiches à caractère antisémite de l’époque. On a retiré tout ce qui pouvait être ostentatoire avant de partir. Pour ne rien vous cacher, j’aimerais que le film ait autant de notoriété qu’a eu ce décor.
Il y a eu une telle couverture médiatique sur cette rue, j’ai eu des appels des Etats-Unis, il y a eu des sujets dans la presse, à la télévision, sur internet… C’est un très bon chef décorateur qui l’a conçu, avec lequel j’ai fait tous mes films. Il a même des collaborateurs qui viennent faire des retouches le week-end si des dégradations ont été constatées, incroyable. Je vais d’ailleurs pouvoir trouver grâce à ce décor des solutions pour ne pas tourner avec des figurants prévus à l'origine.
Vous avez êtes régulièrement toujours en ligne vos acteurs, Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau ?
Oui, bien sûr. Daniel me demandait récemment si j’avais des nouvelles pour la reprise du tournage. Gilles Lellouche se fait pousser la moustache pour pouvoir retourner, puisqu’il a une moustache dans le film. Et plus elle repousse, il me dit retrouver son personnage. Quand le matin, il se voit dans la glace il revoit le rôle de François. Même chose pour Sara Giraudeau, sans parler de moustache... Elle travaille à renouer avec son personnage. C’est également le cas avec mon chef monteur, avec lequel j’ai déjà pratiquement monté 80% du film.
Quand il vous arrive des impondérables, comme cette épidémie, il faut les transformer en valeurs ajoutées. J’ai donc profité de cette suspension de tournage pour monter le film et quand je vais reprendre le tournage, je vais le faire à la lumière de ce qui est déjà monté. Je ne vais pas exactement tourner ce qui était prévu. Je vais pouvoir préciser la psychologie des personnages et affiner la narration. Le film sera plus cohérent que si je n’avais pas été obligé de m’arrêter.
C’est d’ailleurs un cas de figure courant dans les studios américains. Ils tournent, mais ils font aussi des "retakes" de scènes qui n’avaient pas été prévues au départ. Ils tournent le film et prévoient trois semaines supplémentaires pour tourner des choses dont ils auront peut-être besoin pour corriger le premier montage. Forcément, c’est un plus. Une méthode que l’on n’applique pas en France, en raison du coût que cela représente.
Tout cela restera une sacrée aventure. J’étais déjà confiné depuis janvier, quand je faisais le film. Je ne suis pas allé au restaurant depuis le mois de décembre. C’est un truc que j’espère ne plus jamais vivre (rires). Je suis immergé dans le film depuis six mois, et avec ce confinement, je n’ai pas pu m’en détacher, et il ne le fallait pas. Mais les deux mois qui viennent de passer, c’était huit heures par jour, sept jours sur sept, en ne voyant personne. Mais je crois que tout le monde aura son histoire à raconter sur cette expérience. Ce film sera marqué par elle.
L’histoire de "Adieu Monsieur Haffmann" est aussi une histoire de confinement, allez-vous ajouter une allusion à la situation actuelle ?
Non, je trouve que cela serait déplacé. Quand on sera sortis de tout cela, je pense que les gens auront envie qu’on leur parle d’autre chose. Ce qui m’intéressait en adaptant Adieu Monsieur Haffmann, bien avant le confinement, c’était la résonnance qu’a le sujet avec notre époque. Dans les libertés que j’ai prises par rapport au texte original, les personnages nous entraînent dans d’autres directions que celles de la pièce, avec l’accord de l’auteur, Jean-Philippe Daguerre. Le postulat est le même, mais les personnages changent. Le film parle de certaines personnes que nous côtoyons tous les jours et qui peuvent devenir des salauds. Il y en a eu pendant le confinement. Peu, mais il y en a eu.
Comment avez-vous été amené à adapter cette pièce ?
Il se trouve que je suis très proche de Philippe Daguerre depuis vingt ans. Et il y a six ans, il m’avait envoyé ce qu’il me présentait comme sa première pièce, Adieu Monsieur Haffmann, en me demandant ce que j’en pensais. J’ai d’abord refusé de la lire, ne venant pas du théâtre, et je ne voulais pas lui raconter n’importe quoi. Par contre, je suis allé voir la pièce à sa première, pour lui donner mon avis de spectateur. Une jeune productrice venait d’acheter les droits de la pièce, et elle travaillait avec le producteur de mon dernier film, dont j'ai pu me rapprocher facilement. Quand je suis sorti de la représentation, j'ai dit tout de suite à Jean-Philippe (Daguerre) que ça m’intéressait.
Je me retrouvais donc engagé, bien avant le phénomène qu’allait devenir la pièce, sans aucun calcul. Après les quatre Molière, je ne cessais de croiser des gens de cinéma qui me demandaient : "mais comment tu as réussi à l’avoir, tout le monde a essayé". C’était le cas, mais complètement par hasard.
C’est assez émouvant en fait, parce que je crois que quand on veut faire des bonnes choses, au cinéma ou ailleurs, ça se réalise pour de bonnes raisons. Et là, on était dans la bonne configuration. C’est une bonne pièce, d’un ami, je suis le sien, ce sont de bonnes bases. Je lui ai demandé par exemple de faire le premier clap le premier jour de tournage. Il y a de la sincérité là-dedans. Je ne sais pas si cela fait les bons films, mais cela va dans le bon sens.
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