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Nominations aux César 2022 : une sélection de films représentative d’un renouveau du cinéma français

Avec "Illusions perdues", "Annette" et "Aline", en tête de la sélection des César 2022, les choix de l’Académie reflètent la qualité et la diversité d’un cinéma qui a réuni comme rarement en 2021 critique et public.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Benjamin Voisin dans "Illusions perdues de Xavier Giannoli (2021).  (Roger Arpajou / 2021 CURIOSA FILMS – GAUMONT – FRANCE 3 CINEMA – GABRIEL INC. - UMEDIA)

Avec Illusions perdues, l'adaptation de Balzac par Xavier Giannoli (15 nominations), Annette, le drame musical de Léos Carax (11), et Aline, le vrai-faux biopic de Céline Dion signé Valérie Lemercier (10), les choix de l’Académie des César pour l’édition 2022 reflètent la qualité et la diversité du cinéma français en 2021. Il s'agit également de films qui ont réuni, comme rarement, la critique et le public, malgré la désaffection des salles en raison de la crise sanitaire, depuis deux ans.

"Illusions perdues" : Balzac, enfin

Illusions perdues fait une quasi-unanimité chez les cinéphiles, la critique et le public. Contrairement à Flaubert, Stendhal ou Zola, Balzac n’a pas été aussi souvent que cela adapté au cinéma, hormis Eugénie Grandet, dont est sorti peu avant le film de Giannoli une énième version. Drame rural, il laisse ici la place à ce qui constitue sans doute la quintessence de la Comédie humaine, la description d’une époque et son commentaire par un écrivain qui y reflétait sa propre expérience.

Giannoli la capte et la visualise comme personne. Balzac ne s’est jamais retrouvé à l’écran comme dans son film. Avec un casting qui a le génie de distribuer des rôles parfaitement adaptés aux personnages - Benjamin Voisin, Cécile de France, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Jeanne Balibar et Gérard Depardieu – sa reconstitution historique de la Restauration des années 1820-30 est une merveille. Espérons que le cinéaste réalise la suite d’Illusions perdues, encore plus romanesque, Splendeur et misère des courtisanes.

"Annette" : drame musical noir et lumineux

Film musical, opéra-rock diront certains, sur un scénario de Ron et Russell Mael, qui forment le duo rock Sparks, Annette est une œuvre à part, à l'image de son réalisateur. Il aura fallu patienter neuf ans, après Holy Motors, pour retrouver derrière la caméra cet habitué du Festival de Cannes, où il a reçu le Prix du scénario. Interprété par Marion Cotillard et Adam Driver (nommé meilleur acteur aux César), associée au groupe culte Sparks à la musique, la distribution est trop belle et novatrice.

Fidèle à ses narrations labyrinthiques et à ses images sophistiquées, Leos Carax filme un mélodrame tragique 2.0, la chronique néo-romantique d’un couple d'artistes qui se déchire, dynamité par la jalousie, et dont l'aboutissement sera la manipulation de leur enfant. Annette marquera sans doute une date dans la filmographie de Leos Carax, comme une réussite dans l’art délicat du film musical, mais aussi comme œuvre à part entière.

"Aline" : faux-vrai biopic de Céline Dion solaire et personnel

Valérie Lemercier, comédienne et réalisatrice, retrace, avec humour et tendresse, la carrière exceptionnelle et atypique de la chanteuse québécoise, dans un film à la dimension internationale, comme la star. Retracer la carrière de Céline Dion semble un sujet tout trouvé pour Valérie Lemercier, devant et derrière la caméra. Sous la forme d’un faux-biopic, puisque tous les noms et lieux ont été changés.
Valérie Lemercier porte haut son sujet dans son quatrième long métrage.

Elle passe de comédies intimistes à un sujet international, Céline Dion, dans une mise en scène flamboyante, comme son héroïne. La comédienne interprète Aline, de ses 8 ans à aujourd’hui. Sa voix de chanteuse est celle de Victoria Sio, mais elle se donne à plein régime sur scène et dans ses multiples transformations. L’ampleur de la mise en scène sert un récit plein de rebondissements, à l’humour constant sauf quand l’émotion déborde jusqu’aux larmes, comme Céline.

"Titane", "Bac Nord" et "La Fracture"

On peut s’étonner que Titane de Julia Ducournau, Palme d’or à Cannes, n’apparaisse que dans quatre catégories. Il faut dire que le film est clivant dans son récit que l’on a taxé de trop "lâche", alors que sa structure rappelle William Burroughs ou J. G. Ballard, des références majeures de la réalisatrice, comme David Cronenberg qui les a portés à l’écran.

Réalisatrice également citative de Brian De Palma ou Dario Argento, elle va au-delà de l’hommage dans sa mise en scène inventive, sophistiquée et impressionnante. Sa jeune actrice Agathe Rousselle, pour la première fois dans un premier rôle, remarquable dans une prestation très physique et transformiste, se retrouve dans la catégorie Meilleur espoir féminin : mérité. Vincent Lindon, dans un second rôle à contre-emploi formidable, est par contre ignoré.

Le splendide polar Bac Nord de Cédric Jimenez, présent dans sept catégories, traite de ce qui avait été présenté en 2012 comme l’affaire des "flics ripoux" de Marseille. Projeté hors compétition à Cannes, nerveux et tendu comme peu de polars français depuis sa raréfaction au cinéma, le film de Cédric Jimenez est sorti dans un climat de malaise pérenne de la police : haute tension.

Bac Nord ne fait pas un portrait complaisant de la police, comme on a pu le dire. Les trop rares moments de vie privée de ces flics désabusés les humanisent et les rapports à double tranchant qu’entretient le plus jeune d’entre eux avec son indic, sont troublants. Tous en sortiront traumatisés. Gilles Lellouche (nommé meilleur acteur) en flic jusqu’au-boutiste décroche la palme de l’interprétation, son meilleur rôle à ce jour.

Avec ses sept nominations pour La Fracture, l’Académie reconnaît enfin une des réalisatrices majeures du cinéma français dans une comédie hors-normes, genre dans lequel on ne l’attendait pas. Elle brocarde la crise sociale française dans un film choral autour des Gilets jaunes et des personnels soignants, tout en parlant d'amour.

Si le sujet est grave, le film est d’une drôlerie irrésistible, en embarquant Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmai et une actrice non professionnelle, la remarquable soignante Assiatou Diallo Sagna, dans une comédie hors des sentiers battus. Sa mise en scène, virevoltante au cœur de ce chaos en huis-clos de l’hôpital, le rythme dans lequel elle nous entraîne, donne une vision absurde du monde contemporain qui touche juste.

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