: Infographies Réalisateurs abonnés, parité du jury, variété de la sélection : le Festival de Cannes fait-il du cinéma quand il affirme avoir évolué ?
Pour répondre à cette question, franceinfo a étudié la Sélection officielle ainsi que le palmarès sur plus de sept décennies.
Les mêmes critiques reviennent à chaque fois et vous les avez certainement déjà entendues. Au Festival de Cannes, ce sont toujours les mêmes réalisateurs qui sont sélectionnés et toujours les mêmes cinéastes qui gagnent la Palme d'or. Les réalisatrices sélectionnées, primées ou nommées membres du jury, elles, ne sont pas légion.
A l'occasion de la 75e édition, qui se déroule du 17 au 28 mai au palais des Festivals, franceinfo a voulu vérifier si ces accusations, que l'on peut entendre dans la bouche des contempteurs du grand raout français du cinéma, étaient fondées. Une analyse approfondie de plus de sept décennies de sélections et de palmarès apporte la réponse, à l'aide de quatre graphiques.
Plusieurs réalisateurs ont leur carte d'abonné à Cannes
C'est l'une des critiques qui énervent le plus les patrons du Festival de Cannes, de Gilles Jacob à Thierry Frémaux. L'institution a certes connu des tentatives louables de renouvellement, comme en 2004, première année où le second nommé a officié seul à la sélection et envoyé au pied des marches du palais des Festivals 13 nouveaux venus sur les 19 cinéastes sélectionnés. Mais l'impression tenace qu'une vingtaine de grands noms du cinéma restent cramponnés à leur rond de serviette cannois demeure.
Pour preuve, la moyenne de participation au festival des presque 1 080 réalisateurs retenus depuis 1946 s'établit à 1,7, signe qu'un cinéaste qui voit l'un de ses films retenus a de fortes chances de revenir sur la Croisette au moins une seconde fois. La tendance s'est même accentuée. Le nombre de participations moyennes a grimpé à 2,7 depuis 2010. Sur les dix dernières années, les cinéastes sélectionnés ont donc déjà foulé le tapis rouge près de trois fois en moyenne. "La question sur la présence des habitués, on a l'impression que c'est la seule que s'autorisent les journalistes", grinçait Thierry Frémaux dans le documentaire Sélectionneur, au cœur du Festival de Cannes, en 2017. A raison, quand même.
Il est vrai, cependant, que du haut de ses quatorze sélections, Ken Loach fait grimper la moyenne. De même que Jim Jarmusch, les frères Dardenne ou les frères Coen, avec huit ou neuf sélections étalées sur trois décennies. Cette omniprésence se retrouve logiquement au palmarès : Ken Loach a remporté six prix (dont deux Palmes d'or et trois Prix du jury), les frères Coen cinq (une Palme, un Grand Prix et trois Prix de la mise en scène) et les Dardenne quatre (deux Palmes, un Grand Prix et le Prix du scénario). Logiquement, plus on participe, plus on a de chances de gagner.
La parité au sein du jury a progressé depuis les années 2000
Il a fallu attendre l'avènement de l'ère Frémaux et le début des années 2000 pour que les femmes se voient garantir quatre des neuf places de jurés, au minimum. En revanche, pour la présidence du jury, on repassera. Depuis sa création, le festival n'a été présidé que onze fois par des femmes, contre 56 fois par des hommes. Et sur ces onze présidentes, quatre l'ont été depuis 1997.
Commentaire de Gilles Jacob dans son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes : "Bizarrement, c'est à la présidence du jury que la parité est contredite dans les grandes largeurs." C'est le moins que l'on puisse dire...
La présence de réalisatrices dans la Sélection officielle est toujours ultra-minoritaire
Le nombre de réalisatrices reparties de Cannes avec une Palme d'or se compte sur les doigts d'une main : deux, à peine, en plus de sept décennies : Jane Campion en 1993 pour La Leçon de piano (et encore, ex-aequo, une demi-palme diront les mauvaises langues) et Julia Ducourneau sacrée l'année dernière avec Titane.
A la décharge du jury, l'absence des femmes se constate dès la Sélection officielle. Depuis 1946, les films réalisés par des femmes représentent seulement 4% des long-métrages retenus en compétition. En 2012, on trouvait encore une sélection de 22 films, tous réalisés par des hommes. Pas étonnant que les femmes soient à ce point sous-représentées dans les palmarès.
Les productions françaises et américaines surreprésentées dans la sélection
Le Festival de Cannes est né à la fin de la Seconde Guerre mondiale d'une alliance entre les studios américains et l'industrie cinématographique française, la plus puissante du monde naguère. Un mariage qui perdure dans l'importance accordée aux œuvres en provenance de ces deux pays dans la sélection. Ce, de manière continue depuis la première édition, en 1946.
Entre 1972 (année à partir de laquelle le festival a sélectionné librement ses films, s'affranchissant de la tutelle des Etats) et 2022, la part des films made in France ou made in USA dans la sélection s'élève en moyenne à 38%, si on prend comme critère le pays d'origine du financement, même partiel, des longs-métrages. Cette hégémonie se retrouve dans le palmarès : près d'un film palmé sur deux (47%) a été financé par une maison de production ou un studio d'un des deux pays. Le cru 2022 du festival fera-t-il mentir ces statistiques ? Suspense.
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