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"C'est la pire chose qui peut vous arriver" : à l'heure du procès d'Harvey Weinstein, cinq femmes nous racontent comment le producteur les a piégées

Cinq femmes accusant le géant déchu d'Hollywood racontent à franceinfo leur histoire, l'impact de ces violences sur leur vie et le tournant qu'a marqué #MeToo. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Dominique Huett, l'une des femmes accusant Harvey Weinstein d'agression sexuelle, lors d'une conférence de presse avec plusieurs femmes accusant le producteur de violences sexuelles, le 6 janvier 2020 à New York (Etats-Unis).  (KENA BETANCUR / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Depuis Los Angeles, Caitlin Dulany suit avec une vive émotion les débuts du procès d'Harvey Weinstein, qui doit entrer dans le vif du sujet mercredi 22 janvier avec les plaidoiries d'ouverture, et se terminer le 6 mars. Accusé par deux plaignantes, Mimi Haleyi et une femme anonyme, d'agressions sexuelles et viols à Manhattan, le producteur de 67 ans risque la perpétuité. "C'est très personnel pour moi, et pour toutes les femmes qu'il a blessées", confie la comédienne à franceinfo. Car depuis 2017, Caitlin Dulany est l'une des quelque 100 femmes à avoir accusé l'ancien "dieu" du cinéma de harcèlement, d'agressions sexuelles et de viols. Alors qu'Harvey Weinstein nie en bloc ces accusations, elle témoigne, avec quatre autres femmes, auprès de franceinfo.

"Il s'avance vers moi, complètement nu" 

Plusieurs d'entre elles ont rencontré Harvey Weinstein dans les bureaux de sa société Miramax, à Manhattan. Katherine Kendall était une jeune actrice de 23 ans, "enchaînant réunions et auditions", lorsqu'elle a croisé le chemin de "celui qui représentait le monde du cinéma indépendant". En cette journée de 1993 chez Miramax, "il m'a présenté trois scénarios en me disant : 'Ils sont très bien pour toi', relate-t-elle à franceinfo. Puis il m'a dit : 'bienvenue dans la famille Miramax'. J'étais tellement flattée." Le producteur s'est également "comporté comme un ami, un mentor" quand Caitlin Dulany cherchait à percer, quelques années plus tard. "Il m'a plus ou moins invitée dans son monde", la conviant à des projections ou lui présentant des connaissances. Jusqu'au jour où Harvey Weinstein vient chercher la jeune comédienne à son appartement new-yorkais.

Je suis allée aux toilettes et quand je suis sortie, je l'ai retrouvé nu, dans mon lit.

Caitlin Dulany

à franceinfo

L'actrice, stupéfaite et furieuse, le prie de se rhabiller. "Il était toujours dans mon lit, et il tentait de négocier", assure Caitlin Dulany. "Ce n'est pas grave, pourquoi en fais-tu tout un plat ?" s'entend dire la jeune femme. Harvey Weinstein finit par s'exécuter et quitter l'appartement. "Je me sentais trahie."

Katherine Kendall a ressenti cette même "humiliation" en 1993. Ce soir-là, la comédienne est invitée à ce qu'elle pense être une projection, mais se retrouve seule au cinéma avec Harvey Weinstein. Une fois le film fini, la jeune femme, gênée, se dirige vers la bouche de métro la plus proche. "Il me propose de m'accompagner à la station, puis il me dit : 'Mon appartement est juste là, monte une minute', relate-t-elle. J'ai refusé, mais il a insisté." 

'Allez, juste cinq minutes, tu ne vas pas attendre en bas comme ça...' Il n'arrêtait pas de négocier et j'ai fini par me sentir bête. Personne n'aime dire cinq ou six fois non à quelqu'un.

Katherine Kendall

à franceinfo

Devant son insistance, Katherine Kendall cède. Pendant une à deux heures, ils parlent "art, cinéma, littérature". Puis Harvey Weinstein s'éclipse dans sa chambre et en ressort vêtu d'une robe de chambre, se souvient la jeune femme. "Tu me fais un massage ?" demande-t-il à l'actrice, qui refuse : "Je prends mes affaires pour partir et il s'avance vers moi, complètement nu." Le producteur insiste, bloque Katherine Kendall, réclame à "au moins voir [sa] poitrine". Harvey Weinstein accepte finalement qu'elle quitte les lieux et lui appelle un taxi. Mais il y monte avec elle. La jeune femme parvient à se réfugier dans un bar, prétextant un rendez-vous avec son compagnon. Pendant "15 à 20 minutes", le producteur continue de l'observer depuis le taxi, avant de partir. "J'ai eu tellement peur, dit-elle. J'ai cru qu'il allait me violer." 

"Retrouve-moi à l'hôtel" 

De nombreuses femmes décrivent le même mode opératoire, lors de réunions dans les suites d'hôtel où séjournait Harvey Weinstein. Pour Liza Campbell, l'épisode remonte à 1995. L'auteure et artiste britannique avait alors travaillé comme lectrice de scénarios pour Miramax. Après quelques mois sans nouvelles, elle reçoit un appel d'Harvey Weinstein chez elle. "Je lui ai dit que je ne recevais plus de scénarios, et il m'a répondu : 'Je viens à Londres, retrouve-moi à l'hôtel Savoy à 15 heures, on parlera d'autres opportunités pour toi', témoigne-t-elle. A l'époque, de nombreuses réunions de travail avaient lieu à l'hôtel. Jamais je n'aurais pensé aller dans sa chambre." 

A son arrivée à l'hôtel, l'accueil l'envoie directement dans la suite du producteur. Deux assistants l'emmènent dans un salon. Après quelques minutes de conversation, Harvey Weinstein se rend dans la salle de bain. "Je l'entends alors me dire : 'Pourquoi ne sautes-tu pas dans le bain avec moi ?'" raconte Liza Campbell. Effrayée, l'auteure menace de "vraiment s'énerver" s'il sort de la salle de bain nu. Elle tente de quitter les lieux, non sans difficulté. 

Je l'entendais se déshabiller, sa voix changeait. Il fallait absolument que je parte. Je me suis dirigée vers la porte du salon, mais elle était fermée à clé.

Liza Campbell

à franceinfo

Elle tentera une deuxième, puis une troisième sortie, avant de parvenir à s'enfuir. Louisette Geiss n'a, elle, pas réussi à sortir assez vite. Lors du festival du film de Sundance, en 2008, l'actrice et auteure remercie Harvey Weinstein de son invitation à une projection. Elle voudrait lui présenter un scénario. Le producteur propose un rendez-vous dans la foulée, à l'hôtel où tous deux séjournent. Le restaurant étant fermé, Louisette Geiss doit monter dans la suite du magnat d'Hollywood. Mais elle a eu vent de certaines rumeurs et se méfie. "Je lui ai dit oui, mais seulement s'il ne me touchait pas, relève-t-elle. Il a ri. 'Bien sûr que non', m'a-t-il répondu." Mais le scénario décrit par d'autres se répète, assure-t-elle à franceinfo. Harvey Weinstein sort de la salle de bain en robe de chambre, et lui demande de le rejoindre dans le jacuzzi. 

Il est nu. Je lui dis que c'est ridicule, que je m'en vais. Il agrippe alors mon bras.

Louisette Geiss

à franceinfo

D'après son témoignage, Harvey Weinstein lui dit de "ne pas être bête" et promet de ne pas la toucher, avant de l'emmener dans la salle de bain. "Il m'a placée devant le miroir, à ses côtés, pour se masturber en me regardant." Quand elle parvient à s'extraire de la salle de bain, le producteur la suit, puis l'embrasse en lui promettant qu'il fera un film de son scénario, raconte l'ancienne actrice. 

Un cunnilingus sans consentement 

Mais pour d'autres femmes accusant Harvey Weinstein, ces chambres d'hôtel ont été le lieu d'agressions sexuelles et de viols. Au Festival de Cannes de 1996, quelques mois après leur rencontre, le producteur se montre de nouveau amical et sans ambiguïté avec Caitlin Dulany. Il regagne sa confiance. La comédienne se rend alors à un after à l'hôtel du Cap, et se retrouve, seule, dans la chambre du titan du cinéma. "Rapidement, j'ai eu très peur, se remémore-t-elle douloureusement. Il m'a agressée en me faisant un cunnilingus sans mon consentement, puis il s'est masturbé." 

C'était terrifiant. Je me suis figée, comme si j'étais sortie de mon corps. J'avais extrêmement peur qu'il me viole, qu'il me blesse.

Caitlin Dulany

à franceinfo

En état de choc, l'actrice tait cette agression, "terrifiée" par Harvey Weinstein. Elle ressent alors "de la honte", comme Dominique Huett après des faits similaires en 2010. La jeune actrice vient cette année-là d'arriver à Los Angeles. Après une première rencontre dans un restaurant new-yorkais, Dominique Huett recontacte le producteur pour trouver du travail à Hollywood. Harvey Weinstein lui donne rendez-vous au restaurant de l'hôtel Peninsula, à Beverly Hills. "Il me dit qu'il aime ma voix, qu'elle ressemble à celle de Lauren Bacall, que j'ai beaucoup de potentiel, se souvient Dominique Huett. Puis il me demande si j'ai des implants mammaires. Je tente de rester la plus professionnelle possible." Le producteur la fait alors monter dans sa chambre pour parler "de rôles plus spécifiques".

Il se rend dans la salle de bain et sort en peignoir. Puis il me demande un massage, en me disant que je pourrais avoir une belle carrière. J'ai senti qu'il fallait que je le masse puisque ma carrière était en jeu. C'est là qu'il m'a agressée sexuellement.

Dominique Huett

à franceinfo

Encore marquée par le traumatisme, Dominique Huett décrit "une expérience hors du corps", dont elle ne dira rien à personne. "C'est la pire chose qui vous arrive, et vous vous en souvenez pour toujours", insiste de son côté Caitlin Dulany. 

Vivre avec, jusqu'au mouvement #MeToo

Ces deux comédiennes, qui débutaient à l'époque, ont tiré un trait sur leurs ambitions cinématographiques après les faits qu'elles relatent. "J'ai quitté New York pour Los Angeles, pour rester loin de ce monde" du cinéma indépendant, raconte Caitlin Dulany. Elle espérait pourtant y percer. "Ma carrière en tant qu'actrice n'est jamais survenue, renchérit Dominique Huett. Je suis rentrée chez moi au Texas, puis j'ai travaillé dans la mode et déménagé à New York."

Cela a été ma dernière expérience dans l'industrie du divertissement. J'en avais plus qu'assez d'être considérée comme une travailleuse du sexe.

Louisette Geiss

à franceinfo

S'interdisant de parler par peur de représailles, la plupart des femmes interrogées par franceinfo affirment avoir souffert d'anxiété, parfois de dépression après ces événements. "J'étais constamment dans un état de peur", relate Dominique Huett. Et Katherine Kendall d'ajouter : "Je suis tellement anxieuse. Et cette anxiété a été paralysante."

C'est en octobre 2017 qu'un tournant inédit intervient pour ces femmes. Après de premiers articles du New York Times* et du New Yorker*, toutes décident de dévoiler leur histoire. "Il était important de parler, estime Katherine Kendall. J'avais souffert trop longtemps. Toute la peur que je ressentais était moins importante que le fait de contribuer à dire 'stop'." La comédienne a ainsi intenté un procès au civil contre Harvey Weinstein, aux côtés de Caitlin Dulany, Louisette Geiss et une trentaine d'autres femmes. Un accord de principe, d'un montant de 25 millions de dollars, a été trouvé en décembre. Dominique Huett a quant à elle porté plainte contre la société The Weinstein Company, pour avoir – elle en est convaincue – rendu possibles ces abus.  

Plus de deux ans après leur prise de parole, ces plaignantes notent l'impact tant personnel que sociétal de #MeToo. "C'est comme une sororité géante. Le changement arrive", se félicite Caitlin Dulany.

Même si cela peut faire revivre le traumatisme au début, le fait de s'engager, de parler, m'a aidée à guérir. Je suis extrêmement reconnaissante de ce mouvement.

Caitlin Dulany

à franceinfo

Voir Harvey Weinstein face à la justice "me donne de la foi", poursuit Dominique Huett. Beaucoup craignent néanmoins l'issue de ce procès et le possible acquittement de leur agresseur présumé. "Si c'est le cas, confie Caitlin Dulany, je serai dévastée." 

* Lien en anglais

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