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Le Grand Prix 2023 d'Angoulême décerné à Riad Sattouf, l’auteur qui a fait aimer la bande dessinée à ceux qui n’en lisent pas

Le dessinateur est connu dans le monde entier pour sa série "L'Arabe du futur", dans laquelle il raconte son enfance et sa jeunesse entre la France et la Syrie.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
L'auteur de bande dessinée et réalisateur Riad Sattouf, Grand Prix de la ville d'Angoulême 2023 sur la scène de la cérémonie d'ouverture de la 50e édition du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, le 25 janvier 2023 (YOHAN BONNET / AFP)

L'auteur de bande dessinée français Riad Sattouf a reçu mercredi 25 janvier le prestigieux Grand Prix du festival d'Angoulême 2023, qui récompense l'ensemble d'une œuvre. Riad Sattouf a confié à franceinfo Culture être "très touché, ému et heureux !" Il est aujourd'hui l'un des auteurs de bande dessinée les plus lus en France. Traduits dans 23 langues, les cinq premiers tomes de L'Arabe du futur, sa série sur son enfance, se sont vendus à 3 millions d'exemplaires.

Il succède à Julie Doucet, couronnée en 2022. Riad Sattouf l'a emporté sur les deux autres finalistes, Catherine Meurisse, autrice de La Légèreté, finaliste pour la 4e année consécutive, et l'Américaine Alison Bechdel, figure de proue de la BD queer, connue aussi pour avoir donné son nom au test de Bechdel, qui permet de mesurer le degré de féminisme des films.  

Né en 1978 d'un père syrien et d'une mère bretonne, Riad Sattouf a passé son enfance entre la Libye, la Syrie et la Bretagne. Après des études d'arts appliqués à Nantes, les Beaux-Arts à Rennes et des études de cinéma d'animation à l'école des Gobelins à Paris, il se lance dans la bande dessinée, un rêve qui le poursuit depuis l'enfance. "J'étais extrêmement pressé de devenir auteur de bande dessinée, et j'étais certain, une part de moi en tout cas, était persuadée que j'y arriverais. Mais en même temps, ça semblait tellement... comment dire irréaliste, complètement farfelu", confiait l'auteur à franceinfo Culture lors de la sortie du 6e et dernier tome de L'Arabe du futur, en novembre 2022.

Naissance d'un style

Il est encore à l'école des Gobelins quand il publie le premier album de sa première série, Petit Verglas, (scénario Éric Corbeyran), trois tomes publiés entre 2000 et 2002 chez Delcourt, une commande réalisée dans un style réaliste. Riad Sattouf n'a alors pas encore affirmé sa patte. 

A partir de 2002, il partage un atelier à Paris avec Joann Sfar, Mathieu Sapin et Christophe Blain et publie Manuel du puceau (Bréal Jeunesse, 2003, réédité en 2009 par L'Association) et Ma circoncision (Bréal Jeunesse 2004, réédité en 2008 par L'Association). Avec ces deux albums, Riad Sattouf développe son style, une ligne claire et humoristique qu'il ne cessera ensuite d'affiner.

Dans la même veine graphique, il publie en parallèle chez Dargaud les trois albums de la série Les Pauvres Aventures de Jérémie, dans lesquels il raconte le quotidien d'un anti-héros, un trentenaire dessinateur dans une boîte de jeux vidéo. Le premier album, sorti en 2003, est couronné par le Prix René-Goscinny du meilleur scénario. En 2004, il publie No Sex in New York, album hilarant sur son séjour à New York, qui rassemble les dessins publiés d'abord sous forme de feuilleton estival dans le journal Libération. 

"Le goût du réel"

En 2004, il commence à publier chaque semaine, dans Charlie Hebdo, La Vie secrète des jeunes, chroniques en un strip dans lesquelles il croque avec gourmandise leurs tics de langage, leurs accents, leurs gimmicks vestimentaires. Avec cette série, il affirme encore plus son style : un rapport subtil entre un dessin à la ligne claire qui synthétise les idées et des textes, bulles et apartés qui font mouche ainsi qu'une manière subtile, bien à lui, de faire passer des messages.

"Je ne fais pas de discours politique. Moi-même, en tant que lecteur, quand je sens le point de vue de l'auteur, ça me crispe… J'ai mon avis bien sûr, et je l'exprime, forcément, mais je ne veux pas l'imposer. C'est très important pour moi que les gens puissent se faire leur opinion. C'est le regard du lecteur qui transforme une histoire en fait politique", expliquait-il à franceinfo Culture en 2014.

Il développe également son "goût pour le réel". "Ce n'est pas intellectualisé, mais je crois que j'aurais du mal à inventer une histoire qui se passe dans notre monde, mais complètement imaginaire. Pour moi, ce n'est pas suffisant", confiait-il à franceinfo Culture à l'occasion de l'exposition L'écriture dessinée consacrée à son œuvre à la Bibliothèque publique d'information (BPI) du Centre Pompidou en 2018. "Riad Sattouf a un talent extrême à croquer, à dessiner les mœurs de nos contemporains", affirmait Emmanuèle Payen, commissaire de l'exposition de la BPI en 2018.

Il poursuit cette exploration du réel avec la publication en 2005 de Retour au collège (Hachette Littératures)dans lequel il consigne ses observations faites au cours d'une immersion dans la classe d'un collège parisien. Un de ses premiers grands succès de librairie. Il publie également en 2005 une série pour les tout-petits, Pipit Farlouse, l'histoire d'un petit oiseau collégien qui essaie de rejoindre le monde des hommes. 

En 2006 naît son personnage de Pascal Brutal (Fluide glacial), un homme qui fait de la moto, collectionne les succès avec les femmes, ne doute de rien, porte la gourmette et travaille fort sa musculature de rêve, bref "un personnage qui va de l'avant", et qui tranche avec ses anti-héros habituels.

Couverture du tome 1 de la série "Pascal Brutal", de Riad Sattouf, 2009 (FLUIDE GLACIAL)

"Une figure extrême de la virilité", résume Riad Sattouf, qui s'intéresse de près à cette question de la masculinité, une thématique présente dans toutes ses œuvres. Le tome 3 des aventures de Pascal Brutal, publié en 2009, a été récompensé par le Fauve d'or, décerné à l'unanimité par le jury du festival d'Angoulême 2010. 

Conteur de l'enfance et de l'adolescence

Riad Sattouf fait de l'enfance et de l'adolescence son sujet de prédilection. "L'adolescence est un moment intense où toutes les émotions adultes arrivent et on ne sait pas les gérer. Ado, quand on est amoureux, on est très amoureux, quand on est triste, on est très triste. Tout est extrêmement intense : quand on est sale, on est très sale, quand on sent mauvais, on sent très mauvais, quand on sent bon, on sent très bon, il y a une sorte de puissance du ressenti à cet âge-là que je trouve très agréable à raconter en bande dessinée", confiait-il à franceinfo Culture en 2018. Ce sera le sujet de son premier long-métrage, Les Beaux Gosses, sorti en 2009, César du premier film en 2010.  

“Il a un talent incroyable, et très fin, très délicat, pour montrer la manière dont on grandit. Comment on devient grand est une question qui nous intéresse tous, finalement, et Riad Sattouf, d'un récit personnel, touche à l'universel."

Emmanuèle Payen

commissaire de l'exposition "L'écriture dessinée", à la BPI du Centre Pompidou en 2018

La commissaire de l'exposition de la BPI consacrée au dessinateur soulignait "sa manière de montrer comment les enfants grandissent dans les interstices que peuvent leur laisser la cellule familiale, le monde qui les entoure, qui est complexe, parfois un peu fissuré, et comment c'est à l'intérieur de ces fissures que les personnalités se développent et s'épanouissent".

En 2014, Riad Sattouf publie le premier tome de L'Arabe du futur (Allary éditions), dans lequel il commence le récit de son enfance entre la Bretagne, la Libye et la Syrie. Ce premier tome lui a valu un deuxième Fauve d'Or à Angoulême, en 2015.

L'Arabe du Futur", tome 1, p. 7, 2014 (RIAD SATTOUF / ALLARY EDITIONS)

La même année, il se lance une autre série qu'il publie dans Le Nouvel Obs, puis chaque année dans un nouvel album, où il raconte le quotidien d'une petite Parisienne à la vie "normale", en opposition avec sa propre enfance, plus "exceptionnelle", qu'il raconte dans L'Arabe du futur. "En tant qu'auteur, cela m'apportait énormément d'essayer d'avoir un autre point de vue que le mien sur la jeunesse, celui d'un jeune justement", confiait-il à franceinfo lors de la sortie du premier tome des Cahiers d'Esther en 2016.

Deux enfances, dans deux séries qu'il construit dès lors en parallèle. Il a mis en novembre dernier un point final à L'Arabe du futur en publiant le 6e et dernier tome, en sélection officielle à Angoulême. Quant à Esther, elle aura bientôt 18 ans, un anniversaire qui sonnera la fin de ses aventures de papier en 2024 (encore deux albums).

Couverture des "Cahiers d'Esther - Histoires de mes 16 ans", juin 2022 (RIAD SATTOUF / ALLARY EDITIONS)

Avec Le Jeune Acteur 1 : Aventures de Vincent Lacoste au cinéma, publié en 2021 aux Editions du Futur, sa maison d'édition, Riad Sattouf s'est lancé dans une nouvelle série sur l'acteur révélé en 2009 dans Les Beaux Gosses. L'auteur a également réalisé Jacky au royaume des filles en 2014 et prépare actuellement un film avec les Inconnus.

"La BD, c'est ma langue maternelle"

Ces incursions dans le monde du cinéma sont demeurées exceptionnelles, la bande dessinée restant son expression privilégiée. "J'ai toujours adoré la BD, déjà enfant quand j'entendais les voix dans ma tête en lisant Tintin. Ensuite, c'est devenu mon moyen d'expression, naturellement. J'ai besoin de l'image. Il y a des choses que je ne pourrais jamais exprimer avec des mots”, confiait le dessinateur à franceinfo Culture en 2014. "La BD, c'est ma langue maternelle. Quand je suis seul devant ma page blanche, avec mon encre de Chine, c'est plus intime. Pas comme au cinéma, où on travaille avec toute une équipe et les aléas qui vont avec. Ce sont deux langues différentes", ajoutait-il.

Couvertures de la série "L'Arabe du Futur", 2022 (RIAD SATTOUF / ALLARY)

Aujourd'hui vendues à des millions d'exemplaires, ses bandes dessinées ont valu à Riad Sattouf une renommée internationale et ont surtout converti un lectorat habituellement rétif à la bande dessinée. "Je suis toujours content quand des gens qui n'en lisent jamais lisent mes BD", soulignait-il déjà en 2014 au moment de la sortie du premier tome de L'Arabe du futur.  

"J'ai commencé par faire des bandes dessinées très trash, puis j'ai fait des livres pour les gens qui ne lisent pas de BD. Alors si ce prix est l'occasion de convertir à cet art que j'aime tant de nouveaux lecteurs, j'en serai très heureux !"

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

Ce Grand Prix est une consécration pour cet auteur "originaire d'un milieu culturel qui n'était absolument pas disposé à l'expression artistique", et un signal envoyé à la jeunesse qu'il chérit tant. "C'est cela aussi que je voulais raconter dans L'Arabe du futur, dire comment on peut parfois avoir la sensation d'avoir des tares ou des lacunes, mais qu'il y a toujours un chemin pour y arriver."

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