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"Vous n'avez encore rien vu" : la tête pleine de projets, Riad Sattouf publie l'ultime tome de "L'Arabe du futur"

Commencée il y a huit ans, l'aventure de "L'Arabe du futur" s'achève avec la publication le 24 novembre du sixième et dernier tome de la série. L'auteur de BD de 44 ans s'est confié à franceinfo Culture.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 22min
L'auteur de bande dessinée Riad Sattouf à Paris le 10 novembre 2022, avec la couverture du tome 6 de "L'arabe du futur" (PIERRE LE MASSON)

Avec la publication le 24 novembre du sixième et ultime tome de L'Arabe du futur, sa série autobiographique (Allary éditions), Riad Sattouf conclut une aventure qui a commencé il y a un peu plus de huit ans. Entre temps, il est devenu l'un des auteurs de bande dessinée les plus lus en France. Traduits dans 23 langues, les cinq premiers tomes de la série se sont vendus à 3 millions d'exemplaires.  

Dans le dernier tome de L'Arabe du futur, sans doute le plus intime et le plus touchant de la série, Riad Sattouf raconte les années 1994 à 2011 et dévoile la résolution des drames qui ont secoué sa famille, jusqu'à la guerre en Syrie. On y découvre aussi son parcours d'étudiant, ses débuts au cinéma, et surtout comment il a réalisé son rêve de toujours : devenir un auteur de bandes dessinées. Ces années sont marquées par l'absence du père, dont la voix reste pourtant omniprésente tout au long du récit, sous la forme d'une petite bulle rouge coincée dans un coin de presque toutes les cases…

Ce dernier opus clôt cette merveilleuse série qui interroge avec subtilité et humour de nombreuses questions universelles, comme la mémoire, l'enfance, l'identité ou la violence.

"L'Arabe du futur 6", page 9 (RIAD SATTOUF / ALLARY)
 

Il y a huit ans, pour la publication du premier tome de L'Arabe du futur, Riad Sattouf nous avait reçus dans son atelier. Cette fois, il nous a donné rendez-vous au premier étage d'un café parisien. Pull marin et sourire accroché aux oreilles, pimpant comme jamais, il confie à franceinfo Culture sa "joie mêlée de mélancolie", et le "sentiment de libération" qu'il éprouve à la veille de la publication de ce dernier opus, qui marque pour lui la fin de huit ans de travail, et l'accomplissement d'un rêve d'enfant : celui de devenir un auteur. Avec, cerise sur le gâteau, des lecteurs, beaucoup de lecteurs.  

Franceinfo Culture : c'est la fin de l'aventure de L'arabe du futur, c'est un événement pour les lecteurs, mais aussi, j'imagine, un évènement pour  vous ? 

Riad Sattouf : C'est vrai que j'ai commencé cette bande dessinée en 2014 en sachant exactement où je voulais finir. Donc j'ai un peu la sensation d'avoir fait un long voyage et d'arriver bientôt à destination. C'est à la fois un soulagement et en même temps, c'est vrai qu'il y a peut-être une petite mélancolie à l'idée de terminer l'histoire. Quand on finit un livre, il y a toujours une petite sensation de "désemparement".  Ça se dit "désemparement" ? (il vérifie). Oui ça se dit. Donc voilà, on se sent un peu désemparé. Comme en plus, j'ai eu des mois particulièrement actifs, où j'étais vraiment à fond dans mon livre, me retrouver sans cette pression que j'avais tous les jours…  Je suis très content, en fait, d'avoir terminé, très content de pouvoir livrer l'histoire complète au lecteur.   

Couvertures de la série "L'Arabe du Futur", 2022 (RIAD SATTOUF / ALLARY)

Cela veut dire que vous avez travaillé tous les jours sur "L'Arabe du futur" depuis 2014, donc depuis 8 ans ? 

D'abord, je n'ai pas la sensation de travailler. Quand je fais des bandes dessinées, pour moi, ce n'est pas un travail, c'est un truc qui m'occupe toute la journée. Il y a les moments où je dessine, mais quand j'arrête de dessiner, l'histoire reste dans ma tête. Quand je me lève le matin, elle est déjà dans ma tête et la nuit, quand je me réveille elle est là aussi.

"On ne peut pas quitter comme ça une histoire ou un livre qu'on est en train de faire. D'une certaine manière, c'est en permanence en chargement."

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

Une fois que j'ai dessiné toutes les pages, que j'ai écrit tous les textes, que j'ai relu 50 fois pour enlever toutes les fautes, que j'ai vérifié 60 fois les couleurs, que j'ai refait la maquette, la couverture, le machin, le truc… Alors arrive ce moment où le livre nous échappe. Je pense que c'est un petit peu comme quand un enfant grandit. On se dit mais est ce qu'il va vraiment savoir se débrouiller tout seul ? On n'a pas envie qu'il grandisse, et puis pof, c'est fini, voilà.  

Ça fait un vide ?

Comme j'ai toujours plusieurs projets en cours, je ne ressens pas cette sensation de vide. Je n'ai pas cette impression de n'avoir rien à faire ou de n'avoir aucune histoire sur laquelle travailler. Il y en a toujours de nouvelles qui arrivent. 

C'est sans doute le plus intime des six tomes. Est-ce que c'était prévu au programme ça ? 

C'est vrai que je n'avais pas imaginé les choses comme ça. Je savais où j'allais terminer, mais je ne savais pas par où j'allais passer. Et il est vrai que ce tome-là, je l'ai fait d'une manière un peu différente des autres. Les autres tomes de L'Arabe du futur  je les prédécoupais tous. C’est-à-dire que je dessine des pages de croquis au crayon de papier, avec des micro-cases où le texte et le dessin sont indicatifs, comme un story-board. Hergé faisait ça. Une fois que j'ai toutes mes pages sous cette forme, je les mets dans un classeur. C'est une sorte de première version du livre, que je fais lire à mes lecteurs de confiance, mes amis etc. Et ils me font leurs remarques, me disent s'ils comprennent bien, si c'est bien clair, etc.

"Avec ce dernier tome, je n'ai pas pu faire tout ce travail préparatoire parce qu'au début de l'année, je me suis cassé le bras, et donc j'ai pris six mois de retard sur tous mes projets"

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

Les gens me disaient "si ça se trouve, tu t'es cassé le bras parce que tu avais trop de choses à faire, tu avais trop de pression ou des choses comme ça", mais je pense que ce n'était pas du tout ça. Si on doit trouver une raison inconsciente à ce qui nous arrive, je crois que j'ai fait ça exprès, disons inconsciemment, pour me mettre dans une situation d'urgence qui m’obligeait à faire ce sixième tome, quoi qu'il advienne. Et donc je n’ai pas eu trop de temps pour réfléchir. Je suis allé plus directement dans le récit.

"L'Arabe du futur 6", page 8 (RIAD SATTOUF / ALLARY)

Vous vous êtes lâché ? 

Oui on peut dire ça comme ça. Mais c’est aussi parce que c’était l’un de mes objectifs de montrer que L’Arabe du futur est la conséquence de ce que je suis devenu. Je voulais raconter, à travers mon exemple, comment on devient ce que l’on est, comment ce que l’on devient est la somme de tout ce que l’on a vécu. J'étais extrêmement pressé de devenir auteur de bande dessinée et j'étais certain, une part de moi en tous cas était persuadée que j'y arriverais. Mais en même temps, ça semblait tellement... comment dire irréaliste, complètement farfelu.

"Et c’est cela aussi que je voulais raconter dans "L'Arabe du futur", dire comment on peut parfois avoir la sensation d'avoir des tares ou des lacunes, mais qu’il y a toujours un chemin pour y arriver."   

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

 

On l’avait déjà découvert dans les précédents tomes mais dans ce dernier, à travers la résolution de toute cette histoire, on réalise à quel point vous avez traversé des épreuves difficiles, qu’est-ce qui vous a donné la force de les surmonter ?

C’est vrai que j’ai traversé beaucoup d’épreuves, comme de devoir aller dans des festivals de BD plein de microbes… Non mais plus sérieusement, L’Arabe du futur, c’est aussi des rencontres et des hasards. Avec ce livre, je voulais montrer comment les hasards arrivent tout le temps en fait. Souvent, on dit “Oui, t'as eu la chance de faire ceci ou cela”.

"C'est vrai qu'il y a de la chance, mais en fait je trouve que tout le monde a de la chance tout le temps. Il y a des hasards tout le temps dans la vie."

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

A la fin du sixième tome de L’Arabe du futur, je raconte ma rencontre avec un auteur que j’admirais. Ce jour-là, j’ai failli ne pas oser aller lui parler. Ne pas oser, parce qu’on est timide ou complexé, c’est une chance de manquée. Parfois la vie tient à pas grand-chose... C'est aussi ce que je racontais dans le premier tome de L'Arabe du futur quand ma grand-mère avait été subjuguée par mon premier dessin que j'avais fait quand j'avais 4 ans, alors qu'il n’avait rien de génial. Elle n’en revenait pas. Déjà d’avoir un petit enfant, et de voir qu’il dessinait, c’était quelque chose de surnaturel. Ce regard un peu admiratif que j'ai vu dans ses yeux, a décidé un peu de la suite de mon existence et c'est un hasard, ça aurait pu être la flûte ou les mathématiques !   

C’est important le regard des autres ? 

Oui j'aime bien parler du regard des autres, et du regard qu'on porte sur soi-même, de la façon dont on se voit, qui parfois est fausse, parfois est vraie, parfois est trop précise justement. J'avais lu que les dépressifs en général ont une vision beaucoup trop réaliste des choses. Je trouve ça extrêmement marrant parce qu'on pourrait penser que les dépressifs, justement, se fourvoient complètement. En fait pas du tout, ils ont hyper raison de penser qu’ils sont des ringards ou que le monde est fichu. Le principe du bonheur, c'est donc de se mentir un peu à soi-même. Les gens heureux ne voient pas les choses telles qu'elles sont. Et c’est aussi ça que je voulais montrer dans L’Arabe du futur, c’est que parfois, trop tenir compte du regard des autres peut rendre un petit peu malheureux. Cela ne veut pas dire que l’on a tort, je ne sais pas comme dire ça. C’est tragi-comique.   

"L'Arabe du futur 6", page 9 (RIAD SATTOUF / ALLARY)

Dans ce dernier tome de "L’Arabe du futur", il y a justement le regard omniprésent, et très critique, du père sur vous, et en même temps, cette voix en dit beaucoup sur sa personnalité à lui, son impuissance, ses échecs ... 

La question est de savoir si la voix intérieure qu'on a dans notre tête, est la nôtre ou bien si c'est la voix de tous les gens qu'on connaît, qu'on a rencontrés. Par exemple, quand on se regarde tout nu devant une glace, est-ce que c'est nous qui jugeons notre corps ou bien est-ce que c'est la voix des gens ? Qui nous dit qu'on est trop gros, ou qu'on est musclé ? Il y a des gens qui se trouvent très beaux, alors qu’ils sont très moches, et d'autres qui se trouvent moches alors qu'ils sont très beaux. Qui est-ce qui parle ? En fait, c'est difficile de répondre vraiment à cette question. On a l'impression que cette voix, c'est nous, mais ce n’est peut-être pas le cas.

"Je voulais montrer comment ce personnage du père quand il était là, influençait son environnement, et comment quand il n'est plus là, il continue à influencer son environnement. C’est cette idée que l’on peut être pourchassé comme ça par des personnes qui ne sont pas dans la réalité".

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

Par exemple, en ce qui me concerne, Hergé me parle très souvent. Je pense très souvent aux conseils qu’il pourrait me donner même si évidemment dans la réalité, il n'en aurait sans doute rien à secouer de mes bandes dessinées. Mais pourtant je l’imagine en train de me dire (avec l’accent belge) “fais attention à être toujours bien clair, bien fluide pour le lecteur"… Je suis sûr que tout le monde est habité par des voix intérieures, et je voulais dessiner ça dans L’Arabe du futur. Quand j’étais enfant et que je lisais Tintin, j’ai été marqué par ces deux petites voix de Milou, le démoniaque et l’ange...

Qu’est-ce que cette série a changé pour vous ? 

Quand j’ai commencé à écrire cette histoire, j'avais une vision de tous les personnages que je voulais faire intervenir dans le récit, parce que dans la vie, je vois toujours les gens un petit peu comme des personnages. Cela allait des personnages du passé, aux personnages du présent. J’avais une vision, et je voulais donner un sens à toute cette histoire. Et au fur et à mesure, il s’est passé quelque chose d'assez étrange.

"L'ensemble des souvenirs que j'avais dans la tête à la fois de la Syrie, mais aussi de tous les personnages et de tout ce que je raconte dans "L'Arabe du futur" a été remplacé dans ma tête par les images que j’ai dessinées."

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

C’est étrange. J'ai lu quelque part que la mémoire se renouvelle régulièrement, que pour entretenir la mémoire le cerveau réécrit régulièrement les souvenirs. Et bien je crois que j’ai réécrit tous les souvenirs que j'avais de ces années-là à travers le dessin et que c’est devenu L’Arabe du Futur. C’est étonnant à observer. Quand j’ai dessiné mes cousins de Syrie par exemple, je leur ai fait d'autres têtes que celles qu’ils ont en vrai, et en fait leurs vraies têtes se sont effacées et elles ont été remplacées par les dessins que j'ai faits d'eux. Il se passe des choses étranges dans le cerveau, c'est assez amusant.   

"L'Arabe du futur 6", page 7 (RIAD SATTOUF / ALLARY)

Comme si le dessin avait cristallisé vos souvenirs ? 

Oui, un petit peu. Et ce n’est pas plus mal en fait. Quand j'étais plus jeune, et que j'habitais en Syrie, souvent, les habitants de mon village m'expliquaient par A plus B Comment on vivait en France, comment étaient les femmes en France, etc., alors qu'ils n’étaient jamais sortis de leur village. Quand j'étais ensuite en France, à Rennes ou à Paris, les jeunes Français qui n’étaient jamais sortis de leur ville m'expliquaient comment on vivait au Moyen-Orient et me disaient que ce que je leur racontais devait être complètement fou parce que je n’avais pas bien vu les choses. Je trouvais tout ça une fois de plus tragi-comique, de se retrouver entre deux points de vue comme ça, et cela a nourri très tôt l’envie que je pouvais avoir de raconter mon point de vue. Et je suis très heureux d’avoir pu le partager.

"Ce qui est très amusant, c'est que cette histoire qui n'avait jamais intéressé personne, j'ai pu la partager avec des millions de lecteurs. Voilà, c’est une forme de libération personnelle, de partage, de communion. Et je me sens un peu libéré de tout ça."

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

Mais surtout, je suis très content d’avoir des lecteurs. Publier un livre déjà, c'est difficile, mais avoir des lecteurs, c'est encore plus difficile. Et je me rends compte que j'ai énormément de chance d'avoir des lecteurs qui sont tous d'ailleurs extrêmement intelligents, des lecteurs très variés, de toutes origines, de toutes classes sociales. Cela me fait très très plaisir. Et puis maintenant que L’Arabe du futur est fini, je vais enfin pouvoir commencer ma vraie vie d’auteur. 

C’est-à-dire ?

Et bien je commence ma vie d'auteur maintenant. Je n’ai pas prévu de prendre ma retraite donc je vais me mettre à faire beaucoup plus de livres que je n'en faisais avant. J’ai envie de faire plein de livres... “Vous n’avez encore rien vu” comme dit le titre du film d’Alain Resnais ! 

Maintenant que L’Arabe du futur est achevé, vous ne raconterez pas la suite de votre histoire ? 

Il y aura la suite du Jeune acteur, encore deux tomes, et puis de toutes façons quand on est auteur, même quand on fait de la science-fiction ou de la Fantasy, on est obligé de s'inspirer de son histoire personnelle donc, même si je fais un film je suis obligé de m’inspirer un peu de mon histoire.    

Donc vous vous relancez dans l’aventure du cinéma ? 

Oui tout à fait, je suis en train d’écrire un film pour les Inconnus. Ce sera une histoire à moi, mais ils joueront dedans. Je les adore. Ce sont mes idoles de jeunesse. C’est une fiction. On va voir ce que cela va donner.    

Vous êtes l'un des auteurs de BD les plus lus en France, et même dans le monde, vous avez créé votre propre maison d'édition, vous avez aussi lancé il y a quelques années "Les Impressions du futur". Vous êtes devenu un chef d’entreprise ? 

Et je rêve aussi de monter une librairie ! Une fois de plus, c’est la conséquence de ce dont on rêve. Enfin, disons, de ce dont je rêvais quand j'avais 14, 15 ans. A cette époque-là j'idolâtrais les auteurs et les artistes indépendants. J'aimais la musique indépendante, par exemple le rock américain indépendant, loin des grands labels, des choses comme ça. J'aimais les auteurs de BD indépendants. Un de mes auteurs préférés, c'était Robert Crumb. J'adore Chris Ware... Ce sont des gens indépendants. Cris Ware s’est auto-édité. Et moi, je rêvais comme ça d'être indépendant, d'être le plus libre possible. Donc voilà, c'est la raison pour laquelle j'ai monté une maison d'édition, c'est simplement pour être très libre.    

On dirait que la fin de L’Arabe du futur a libéré mille projets ? 

Disons que quand les années passent, on se rend compte que l'on a de moins en moins de temps disponible et donc le temps devient de plus en plus précieux. On m'a proposé de réaliser des films de franchise, des choses comme ça, ou de reprendre des personnages de bande dessinée... Même si c'est très prestigieux, que ça peut être extrêmement rémunérateur, je me suis dit mais est-ce que ça vaut vraiment le coup de consacrer ce temps précieux à ce genre de choses où est-ce que je préfère le consacrer à mes propres projets.

"Des grands éditeurs m’ont proposé beaucoup d’argent pour travailler avec eux, mais je me dis est-ce que ça vaut le coup que j’enrichisse des héritiers de milliardaires ? Je préfère faire mes trucs à moi. La liberté de travailler sur ses propres projets, ça n’a pas de prix. Je pense d’abord à ce qui me plaît."

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

L’idée de faire un film avec les Inconnus par exemple, je ne sais pas ce que cela va donner, mais passer à côté de cette possibilité de faire un film avec les héros de mon enfance, ça, c’était inenvisageable. Voilà, j’essaie de suivre mes envies, et de faire ce que j’aime.

Finalement l’"Arabe du futur", c’est vous ?

Je laisse le lecteur réfléchir à la question. Il peut m’envoyer sa copie par la poste... L’Arabe du futur c’est une idée. C'est à la fois ce que me disait mon père quand j'étais jeune, quand il me disait L’Arabe du futur doit aller à l'école parce que pour lui c’était en opposition avec "L’Arabe du passé", un passé auquel il appartenait un peu, un monde qui était illettré, paysan. Et puis en même temps, ce titre évoque la notion désuète de nationalisme. Qu'est-ce que ça veut dire être arabe ? C'est comme d'être marseillais ou tourangeau...

Extrait de la couverture du premier tome de "L'Arabe du futur" (RIAD SATTOUF / ALLARY)

C'est quelque chose de complètement désuet, mais en même temps, c'est  totalement actuel parce que le monde se referme complètement sur les identités. Cela semble aussi aberrant de dire qu'on est arabe, qu'on est marseillais, mais en fait il y a des émissions qui s'appellent “Les Marseillais”, il y a des gens qui sont fiers d’être marseillais, qui sont fiers d’être rennais, qui sont fiers de je ne sais quoi. Donc c'est vrai que c'est aussi une manière d’interroger le nationalisme L'Arabe du futur, c’est interroger ce qui fait notre identité, comment on se définit, comment on choisit de se définir.  On est peut-être tous des "Arabes du futur" …

Et vous, si vous deviez vous définir, que diriez-vous ? 

C’est très très simple, et pourtant j'ai mis longtemps à le comprendre. Étant de deux origines complètement différentes, qui ont beaucoup de points communs, mais qui peuvent sembler complètement opposées, très tôt, j'ai eu envie de liberté. Déjà je n’étais pas croyant. La foi en Dieu m'a toujours semblé être une aberration. Je n’ai jamais été musulman par exemple. Jamais. Mais d'un autre côté, avec mon nom, je n’ai jamais réussi non plus à être complètement considéré comme un Français à 100%.

"Cela m'a toujours mis un peu en porte à faux ces origines imposées par la nature. Et donc hyper tôt j’ai eu envie de devenir un auteur."

Riad Sattouf

à franceinfo Culture

Je me rendais bien compte que parmi les auteurs, il y avait à la fois des gens de toutes origines, de toutes orientations sexuelles, de tous genres. Au Japon, en Argentine, il y avait des auteurs et des autrices... En France, il y avait des auteurs pilotes d'avion comme Saint-Exupéry, il y avait Moebus qui faisait des nuits blanches pour faire des illustrations... J'adorais cette communauté transnationale, transidentitaire, et j'avais envie d'en faire partie.

Extrait de la couverture du tome 6 de "L'Arabe du futur", 2022 (RIAD SATTOUF / ALLARY)

Voilà, je me suis dit très tôt que c'était vers ça que je voulais aller, parce que j'y serais plus libre en fait. Je trouve ça très déprimant de se renfermer sur une identité. Je n’ai pas du tout cette façon de penser. ”Un homme n'a pas de racines, il a des pieds”. J'adore cette phrase de Salman Rushdie.

"L'Arabe du futur volume 6, Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011)", de Riad Sattouf (Allary éditions, 184 pages, 24,90 €)

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