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Rencontre avec Riad Sattouf : "L'Arabe du futur", c'est lui

Riad Sattouf publie "L'arabe du futur"(Allary), un premier album autobiographique. Le tome 1 raconte l'enfance entre la France, la Libye et la Syrie. L'auteur de "La vie secrète des jeunes", "Jérémie", "Pascal Brutal", signe un album très personnel, où son histoire éclaire d'un regard singulier des faits politiques, manière bien à lui, l'air de ne pas y toucher, de dénoncer la bêtise.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Riad Sattouf à sa table de travail
 (Laurence Houot / Culturebox)

Un vaste espace, deux gros fauteuils. "Là c'est notre salon", déclare Riad Sattouf en préparant le café. Chemise à carreaux, l'œil qui pétille derrière ses lunettes pas cerclées, l'auteur de "L'arabe du futur" partage cet atelier du XXe arrondissement avec Christophe Blain et Mathieu Sapin, deux autres auteurs de BD. En l'observant en coin, sans inquiétude mais quand même, on ne peut pas s'empêcher de penser à ses personnages, Jérémie, l'adolescent attardé gauche et obsédé sexuel, Pascal Brutal, l'archétype de la virilité à gourmette…

Une photocopie de sa carte d'identité d'enfant épinglée au dessus de sa table de travail, avec une photo de sa jolie bouille ("J'étais mignon hein?"), nous ramène à un autre personnage, celui de Riad, le petit héros de son dernier album. "Ca faisait longtemps que je voulais raconter cette histoire mais je ne savais pas sous quel angle l'attaquer", explique Riad Sattouf. Il parle de son dernier album, "L'arabe du futur", le premier clairement autobiographique et assumé comme tel. "Il me manquait une fin symbolique à l'histoire", ajoute-t-il "Avec le Printemps Arabe, je me suis retrouvé à devoir aider une partie de ma famille restée en Syrie. Je tenais enfin la conclusion de mon histoire syrienne, ma fin symbolique. Ça m'a permis de trouver le ton, le bon angle pour raconter cette histoire".

De la Bretagne à la Syrie, en passant par la Libye


L'histoire, c'est celle d'un petit garçon tout beau tout blond, justement. Années 70, présidence de Pompidou, sa mère bretonne, et son père Syrien, fréquentent le même restaurant universitaire. En 1978, naissance de Riad et doctorat du père, la famille part en Libye et s'y installe pendant quelques années. L'enfant unique est au centre du monde. 
"Je m'appelle Riad. En 1980, j'avais 2 ans et j'étais un homme parfait"
 (Riad Sattouf / Allary)
Puis changement de décor, retour en France et arrivée d'un petit frère, avant que la famille ne reparte en Syrie. "Je ne voulais pas seulement raconter mes aventures, mais dessiner la figure du père, un arabe qui essaie de sortir de sa condition, très attaché à l'idée de l'éducation. Je voulais raconter une trajectoire et la mettre en parallèle avec un contexte politique", explique Riad Sattouf, qui confie s'être adonné à l'exercice autobiographique avec prudence.

"Là je partais de personnages réels, donc c'était plus complexe. Ce qui était important pour moi, c'était d'être le plus honnête possible avec moi-même et ma propre mémoire". Résultat, des personnages beaucoup plus nuancés que ceux dessinés habituellement par Sattouf. "Pour le père, par exemple, ce personnage issu d'un milieu pauvre, qui réussit à devenir docteur mais qui reste néanmoins superstitieux, qui croit aux forces du mal, il fallait montrer toutes ces contradictions. Cela en fait un personnage plus insondable, plus humain aussi, un personnage qui évolue. On ne sait pas trop ce qui va se passer, en fait…"
"L'arabe du futur", le père
 (Riad Sattouf / Allary)
 "C'est le regard du lecteur qui transforme une histoire en fait politique"

Riad Sattouf est un fin observateur du monde qui l'entoure. Il l'avait déjà démontré dans ses albums précédents, comme "La vie secrète des jeunes", où il raconte en une planche des scènes dont il est témoin, dans la rue, dans le métro, ou en vacances…  "Je ne fais pas particulièrement de la politique", explique-t-il. "C'est par la description des faits, des évènements, qu'une histoire peut devenir politique. Moi je raconte, et c'est le regard du lecteur qui transforme cette histoire en fait politique. Par exemple, quand je dessine une mère qui répète sans arrêt à son enfant "Bouge pas !" Ça peut se lire comme 'ne bouge pas, ne fais pas de mouvement'. Mais ça peut aussi être entendu au sens de "ne change pas, ne grandis pas! Et là, ça devient politique.", explique Riad Sattouf.

"Je ne me dis pas tiens, je vais faire une virulente critique de la politique moyen-orientale. Déjà parce que je ne m'y connais pas assez. Je peux juste raconter ce que j'ai vu quand j'étais enfant dans le petit village de Ter Maaleh, près de Homs", explique le dessinateur. "Dessiner des maisons fissurées dans un régime bancal, on crée comme ça des symboles, mais je ne fais de discours politique. Moi-même en tant que lecteur, quand je sens le point de vue de l'auteur, ça me crispe…J'ai mon avis bien sûr, et je l'exprime, forcément, mais je ne veux pas l'imposer. C'est très important pour moi que les gens puissent se faire leur opinion".

La méthode Sattouf

Et c'est tout l'art de Riad Sattouf, pointer sans juger, en adoptant un regard légèrement décalé sur le monde. Ici, c'est en se mettant dans la peau d'un enfant qu'il offre au lecteur une vision sur les mondes qu'il traverse. "J'aime bien le point de vue candide de l'enfant. Le regard de l'adulte est souvent empreint d'un commentaire. L'enfant permet de libérer le point de vue. Dans "L'Arabe du futur" par exemple, le regard de l'enfant admiratif du père qui fait n'importe quoi, avec une voix off qui explique le contexte historique, c'est ça qui fait surgir l'ironie dramatique des situations, et c'est ça aussi, il me semble, qui fait naître l'émotion", explique le desinateur.
"L'arabe du futur", sur la route de Homs
 (Riad Sattouf / Allary)
Riad Sattouf prend son temps pour répondre, soucieux d'exprimer avec justesse ce qu'il a à dire. Il a attrapé une guitare électrique (dans son atelier il y en a plusieurs, exposées devant la bibliothèque), et s'est mis à gratter pendant qu'on parle.

"L'éducation est un sujet qui m'a toujours beaucoup intéressé"

"Essayer de comprendre comment les adultes modèlent les enfants sans s'en rendre compte… J'ai voulu appliquer cela aussi à ma propre famille. J'aime bien observer ces choses-là.  Rien n'est inné, en fait, c'est ce que je pense. Mais je ne détiens pas la vérité. Si ça se trouve les gens naissent complètement cons et je me trompe depuis le début" ajoute-t-il en riant.

"L'Arabe du futur c'est la vision de mon père. Il voulait éduquer l'Arabe de demain, il fallait aller à l'école, et sortir de sa condition. C'était très important", explique-t-il. A la question de savoir si son père a réussi à faire de lui  l'Arabe du futur, Riad Sattouf sourit, et s'en sort avec une boutade "Vous ne voudriez quand même pas que je vous raconte la fin ! C'est comme si on vous disait dès le premier épisode de Star Wars qui est Dark Vador, ce serait pas drôle !"

"La BD c'est ma langue maternelle"

Même s'il ne répond pas à cette question, on peut le dire, Riad Sattouf est bien l'Arabe du futur que son père rêvait d'éduquer. A 36 ans il a déjà construit une œuvre, de la BD au cinéma. "La BD, c'est ma langue maternelle. Quand je suis seul devant ma page blanche, avec mon encre de Chine, c'est plus intime. Pas comme au cinéma, où on travaille avec toute une équipe et les aléas qui vont avec. Ce sont deux langues différentes", explique-t-il.

"J'ai toujours adoré la BD, déjà enfant quand j'entendais les voix dans ma tête en lisant Tintin. Ensuite c'est devenu mon moyen d'expression, naturellement. J'ai besoin de l'image. Il y a des choses que je ne pourrais jamais exprimer avec des mots. La BD, c'est plus subjectif, j'ai l'impression. Et je suis très heureux que la BD ait évolué. On peut aborder tous les sujets aujourd'hui et je suis toujours content quand des gens qui n'en lisent jamais lisent mes BD", ajoute le dessinateur. "Et puis il y a l'humour. J'idolâtre les gens qui font des trucs drôles", dit-il.
Riad Sattouf, story-board
 (Laurence Houot / Culturebox)
"Je peux passer des heures à ne rien faire"

On sonne à la porte. Un autre journaliste. Depuis que "L'arabe du futur" est en librairie ça n'arrête pas. Il faut dire que l'album est en tête des ventes de BD depuis sa sortie. Vite, je glisse mes dernières questions.

Ce qu'il fait quand il ne dessine pas ? "Je fais de la musique. Sinon je m'assieds sur le canapé et je regarde le mur en face. J'ai de très longues périodes d'inactivité", dit-il. Des moments pendant lesquels naissent les personnages et les histoires. "Les personnages naissent vite. Je trouve que n'importe qui peut faire un bon personnage. Par contre pour les histoires, c'est plus compliqué. C'est beaucoup plus long à l'écriture qu'au dessin. Je réfléchis beaucoup. Je fais des story-boards au crayon et ensuite je mets au propre. Entretemps, il y a plein de changements."

Son livre préféré ? "Je lis très peu de BD… Sinon de tout, des essais, des romans... Mon livre préféré? "Je vous en donne deux mais c'est pour faire mon intéressant. "L'étoffe des héros" de Tom Wolfe et "Les mémoires d'outre tombe", de Chateaubriand, surtout le début, le Breton pendant la Révolution française, jusqu'aux guerres napoléoniennes." Et quand on lui dit que Chateaubriand n'est pas particulièrement connu pour sa drôlerie "Ah bon? Il me fait hyper marrer moi Chateaubriand".

Son rêve?  "Oulà, mais c'est intime comme question… J'aimerais faire encore plein de livres, et plein de films", conclut-il. En attendant, il nous prépare déjà la suite de "L'Arabe du futur", deuxième tome l'année prochaine, et le 4e tome de "Pascal Brutal" (Fluide Glacial) sort en septembre prochain.


L'arabe du futur", une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) Riad Sattouf (Allary Editions – 158 pages – 20,90 euros).

A LIRE AUSSI :
Les pauvres aventures de Jérémie (Poisson Pilote - 173 pages - 22,50 euros).
Pascal Brutal Tomes 1,2 et 3 (Fluide Glacial)
La vie secrète des jeunes Tomes 1,2 et 3 (L'Association)
Manuel du puceau (L'Association).

A VOIR AUSSI :
Les beaux gosses (Riad Sattouf - 2009)
Jacky au royaume des filles (Riad Sattouf - 2014)

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