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Coupe du monde 2022 : routes à contresens, joueurs étourdis, places réservées... Le chauffeur du car des Bleus livre ses secrets

Avant de s'envoler pour le Qatar, mercredi après-midi, l'équipe de France doit déjà rejoindre sans encombre l'aéroport du Bourget. A François Castro, le chauffeur des Bleus depuis plus de vingt ans, de ne pas trop appuyer sur le champignon.

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial au Qatar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les fans de l'équipe de France saluent les champions du monde qui défilent sur un bus, à Paris, le 15 juillet 2018. (SIMON GUILLEMIN / HANS LUCAS / AFP)

Combien de fois a-t-il déjà "refait le match" dans sa tête, avant ce mercredi 16 novembre ? En milieu de matinée, François Castro refermera les soutes de son car, et non pas de son "bus" puisqu'il s'agit bien d'un véhicule utilisé pour des trajets sans arrêt. Il chatouillera une dernière fois les rétroviseurs, puis enclenchera la première de son Setra S516 HDH.

Il laissera ainsi derrière lui le centre d'entraînement de Clairefontaine (Yvelines). Des motards lui ouvriront la route, d'autres fermeront la marche. "Et ce sera comme ça" pendant 80 kilomètres, jusqu'au terminus : l'aéroport du Bourget, d'où décolleront les joueurs de l'équipe de France attendus au Qatar pour défendre leur titre. Son Mondial à lui s'arrêtera là, sur le tarmac : c'est un chauffeur d'une société locale qui prendra ensuite le volant, dans l'émirat. 

Si l'itinéraire s'établit "au dernier moment", François Castro connaît déjà le plan de table. Le staff s'assied devant, et les anciens derrière. "Lloris et Mandanda se mettent toujours au même endroit, raconte le chauffeur. Antoine Griezmann se met tout, tout au fond. Les nouveaux bouchent les trous". 

"Tu transportes les Bleus, quand même"

Quand Kylian Mbappé et ses coéquipiers seront descendus, François Castro effectuera son traditionnel tour du propriétaire, car il y a des têtes en l'air parmi les joueurs. Des écouteurs sans fil, des casques, voire des tenues, des trousses de toilette... "Presnel Kimpembe [forfait de dernière minute sur blessure] oublie toujours tout, c'est une catastrophe", rigole le chauffeur. Possible aussi qu'il retrouve "comme souvent" quelques restes de feuilles infusées de maté, cette boisson traditionnelle sud-américaine chère à Antoine Griezmann.

En les voyant défiler, "peut-être" se permettra-t-il de leur chuchoter à tous un discret "bonne chance". "Rien de plus : tu transportes les Bleus, quand même". Il y a aussi des consignes strictes "d'avant-match", que David Hernandez, directeur commercial et logistique de la Société services automobiles de la vallée de Chevreuse (Savac), lui a encore fait passer. "Briefing sur les horaires et programme des préparatifs, avec, surtout, du repos. Puis passage en revue du véhicule, mécanique et propreté", énumère-t-il. En clair : faire les vitres, passer l'aspirateur, astiquer les jantes, nettoyer les toilettes, vérifier que les 42 sièges du car s'inclinent à la manière de transats de plage, comme au premier jour. 

En réalité, François Castro connaît le protocole par cœur. Hôtel puis Stade de France. Stade de France puis hôtel. Clairefontaine vers le Stade de France. Stade de France vers Clairefontaine. Voilà vingt-et-un ans qu'il est le chauffeur officiel des Bleus dans l'Hexagone. Vingt-et-un ans qu'il cache un double de clés dans un endroit connu de lui seul. A son actif, plus de 100 "sélections", soit environ autant que Zinedine Zidane (108), qu'il a d'ailleurs eu "l'honneur" de voir dans son 471 CV. Le mot d'ordre est clair : "Se faire tout petit". La conduite, elle, doit être souple, toujours. Avec une concentration maximale. "Comme on est escorté, on fait des choses qu'on ne fait pas d'habitude sur la route." Ah ? "On prend des routes à contresens en pleine journée, on ne respecte pas trop les feux, on slalome entre les files de véhicules." 

"Sur le périph, c'est chaud, chaud, chaud. Parfois, j'entends le staff derrière : 'Oh là là, ça ne passe pas, ça ne passe paaaaas'. Et en fait, si, ça passe."

François Castro, chauffeur du car de l'Equipe de France

à franceinfo

Tous les chauffeurs qui se sont assis avant lui au volant le savent : jamais le car ne doit être arrêté. Comme un écho à l'aventure de José Alégria, chargé en son temps de ramener les Bleus victorieux 3-0 du Brésil à Clairefontaine, dans la nuit du 12 juillet 1998. Le paisible village yvelinois s'était alors transformé en épicentre de la joie nationale : "Je conduisais mon bus comme un chasse-neige. Je poussais les gendarmes qui poussaient eux-mêmes les gens. Le plus dur, ç'a été quand il a fallu tourner à un feu. Je ne voyais plus où était la route. Les gens étaient suspendus aux lampadaires. J'espérais juste que personne ne finisse sous mes roues", confiait en 2018 à franceinfo le chauffeur vétéran.

Pour Mandanda et Lloris, c'est "François", pas "Monsieur"

François Castro évoque un autre trajet inoubliable, dans un contexte cette fois tragique. "Le retour du Stade de France, le 13 novembre 2015 [jour des attentats près de l'enceinte sportive et à Paris]. J'en ai encore la chair de poule. C'était le plus dur émotionnellement. Personne ne parlait. On avait une heure de route, c'était interminable."

Le chauffeur des Bleus François Castro pose devant un car de son entreprise, Savac, à Chevreuse (Yvelines), le 14 novembre 2022. (FRANCOIS CASTRO / COLLECTION PRIVEE)

Même en se faisant le plus discret possible, le père de famille fait partie du décor. Le staff l'appelle d'ailleurs par son prénom. Pour Steve Mandanda et Hugo Lloris, c'est aussi "François", et non "Monsieur". Il a emmené Didier Deschamps comme joueur, et en fait de même maintenant comme sélectionneur. Entre eux, c'est du "une-deux" : lorsque "Dédé" commence à causer tactique avec ses adjoints, François Castro sait qu'il doit tendre sa main droite vers l'autoradio, et mettre un léger fond musical, "de la variété française souvent", histoire que la conversation reste privée.

Parfois, il peut aussi monter le son et se muer en chauffeur de salle. En 1998, Henri Emile, alors intendant des Bleus, l'avait chargé d'acheter une cassette de Gloria Gaynor pour ambiancer les trajets du groupe d'Aimé Jacquet. On était alors au début de la Coupe du monde. Philippe Tournon, ancien chef de presse, conserve un souvenir précis de cette scène dans son livre, au sujet de l'entêtant I Will Survive : "On n'a pas fini de l'entendre." De fait, la chanson est ensuite devenue l'hymne accompagnant le triomphe des joueurs français.

Vingt-quatre ans après, François Castro espère retrouver "ses" Bleus le plus tard possible. Ce serait bon signe. Son car et lui sont déjà disponibles pour les récupérer à l'aéroport.

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